I - 1 - 2 - Définir la Responsabilité
Sociale de l'Entreprise : ambiguïtés
institutionnelles,
managériales et académiques
La RSE est un concept en pleine évolution pour lequel
il n'existe pas, à l'heure actuelle, de définition
universellement acceptée. Les qualificatifs ne manquent pas à son
égard : concept vague, flou sémantique,
ambiguïté lexicale, concept ombrelle, notion ondoyante et
protéiforme, sont autant d'expressions sensées décrire
l'hétérogénéité à la fois des
discours et théories sur la RSE et des pratiques plus éparses.
Elle est généralement interprétée comme
étant la façon dont les entreprises intègrent les
préoccupations sociales, environnementales et économiques
à leurs valeurs, à leur culture, à leur prise de
décisions, à leur stratégie et à leurs
activités d'une manière transparente et responsable, et donc la
façon d'instaurer des pratiques exemplaires, de créer de la
richesse et d'améliorer la société.
Sue le plan de la généalogie, le concept de RSE
fait référence à deux visions distinctes: la RSE comme
obligation contraignante et la RSE comme engagement volontaire. Cette
distinction est au coeur des discussions internationales sur la RSE entre ceux
qui veulent que des contraintes s'imposent sur les entreprises (ONG,
syndicats...) et ceux qui ne le souhaitent pas (milieu d'affaires).
Depuis les années 1960 et 1970, on assiste à une
multiplication de définitions du concept de responsabilité
sociale de l'entreprise. L'une des explications à cette connotation
polysémique de la RSE est que ce domaine est non seulement
influencé par les évolutions théoriques, mai aussi, par
des agendas politiques, sociaux et managériaux. D'où la
difficulté à concilier les attentes de l'ensemble des parties en
question. Selon Allouche et al. (2004), les tentatives de
définition de la RSE par les acteurs concernés, entreprises,
agences de notations et chercheurs, ont généré une
confusion dans la conceptualisation de cette notion. Déjean et
Gond (2004) font la différence entre les définitions
institutionnelles et celles académiques de la RSE. Nous nous proposons
donc de développer les définitions institutionnelles,
managériales et académiques de la RSE, en prenant chaque fois le
soin de ressortir leurs contributions respectives à la conceptualisation
de cette notion.
I - 1 - 2 - 1 - Vers une définition univoque de
la RSE : définitions institutionnelles et
managériales
La responsabilité sociétale fait l'objet d'une
attention accrue de la part de nombreuses entreprises ainsi que
d'organisations de nature très diverses : des ONG, des institutions
européennes et mondiales, mais aussi des associations religieuses, des
associations professionnelles et des réseaux d'entreprises.
Ainsi, La commission européenne (2001) a adopté
une définition qui ménage les deux aspects fondamentaux de la RSE
(contrainte et volontarisme) : « Être socialement
responsable signifie non seulement satisfaire pleinement aux obligations
juridiques applicables mais aller au-delà et investir davantage dans le
capital humain, l'environnement et les relations avec les parties prenantes,
cela suppose l'intégration volontaire par les entreprises de
préoccupations sociales et environnementales à leurs
activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes
». En effet, le livre vert (2001) de la Commission
Européenne, qui est devenu une référence dans les
organismes internationaux et qui est évoqué dans la
majorité des travaux sur la RSE, la définit
comme : « l'intégration volontaire des
préoccupations sociales et écologiques des entreprises à
leurs activités commerciales et leurs relations avec toutes leurs
parties prenantes internes et externes (actionnaires, personnels, clients,
fournisseurs et partenaires, collectivités humaines,...), et ce, afin de
satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables et investir dans
le capital humain et l'environnement ».
Pour la Business for Social Responsibility, la CSR
(Corporate Social Responsibility) se réfère
généralement au fait de relier les prises de décision en
entreprise à des valeurs éthiques, de se conformer aux
contraintes légales, de respect pour les personnes, la communauté
et le gouvernement. [...] la CSR est définie comme le fait que
l'entreprise se comporte de manière à satisfaire ou
dépasser les attentes éthiques, légales, commerciales et
publiques que la société manifeste envers les entreprises
(F. DEJEAN & J-P. GOND, 2003). A cette définition,
vient s'ajouter celle de la World Business Council on Sustainable
Development pour qui la CSR est l'engagement de l'entreprise à
contribuer à un développement économique durable, en
travaillant avec ses employés, leur famille, la communauté locale
et la société dans son ensemble pour améliorer la
qualité de vie.
La plupart des définitions accordent une place
centrale à la notion d'engagement de l'entreprise, et spécifient
que cet engagement doit aller au delà des obligations et des attentes
légales. Cependant, ces définitions divergent quant à leur
approche de la structure de la CSR, et les axes privilégiés par
les organismes ne sont pas toujours les mêmes. Ainsi une entreprise d'un
secteur donné définira la CSR en fonction des stakeholders
pertinents de son point de vue, alors que des institutions à
caractère plus international auront tendance à privilégier
les relations avec la communauté locale et les familles des
employés, renvoyant à des problèmes plus
spécifiques tels que le travail des enfants.
L'impression d'ensemble qui se dégage des ces
définitions est le caractère en partie contingent du contenu de
la CSR en fonction du niveau où se situe l'organisation (secteur /
niveau national ou supranational) et de ses problématiques propres. Nous
allons dans le sous-paragraphe suivant, donner les définitions
académiques de la RSE.
I - 1 - 2 - 2 - Rapprochement des définitions
théoriques et académiques de la RSE
Selon M. Friedman (1970), la
responsabilité sociale des entreprises est d'accroître ses
profits. La seule responsabilité des entreprises est envers ses
actionnaires. Cette proposition de Friedman repose sur les postulats de la
« main invisible de Adam Smith », car pour lui, seules les
forces du marché génèrent la richesse collective, ce qui
n'est pas totalement acceptable dans le contexte actuel. Par exemple, dans des
cas de fraudes comme Enron et bien d'autres, cette responsabilité envers
les actionnaires n'a pas été respectée. Autrement dit, la
RSE ne se limiterait pas à cela.
En effet, nombreux sont les auteurs qui s'opposent à
cette vision étroite de la responsabilité sociétale de
l'entreprise. Au contraire de la vision de Friedman, selon la théorie
des stakeholders, il existe un contrat implicite entre l'entreprise et la
société. Si ce contrat est rompu, l'entreprise perd sa
légitimité et ne peut bientôt plus fonctionner. En
conséquence, l'entreprise doit gérer ses relations avec ses
parties prenantes, i.e. avec tous ceux qui peuvent affecter ou peuvent
être affectés par les activités de l'entreprise.
Ainsi, selon Freeman (1984), l'entreprise est
responsable devant toutes ses parties prenantes.
Les définitions académiques du
concept de RSE ont ceci en particulier qu'elles fournissent un cadre d'analyse
général indépendant des objectifs propres à une
organisation donnée. C'est le cas, par exemple, de la définition
de Mc Williams et Siegel (2001) selon laquelle la RSE est
l'ensemble des actions visant le bien social au-delà des
intérêts de la firme et de ce qui est demandé par la loi.
Les divergences liées à la définition de la RSE renvoient
aux fondements et aux mobiles qui ont poussé à
l'intégration de la responsabilité sociale.
Selon le père du concept moderne de la RSE H.
Bowen (1953) : « La CSR renvoie à l'obligation pour
les hommes d'affaires d'effectuer les politiques, de prendre les
décisions et de suivre les lignes de conduite répondant aux
objectifs et aux valeurs qui sont considérées comme
désirables dans notre société ». Le caractère
obligatoire que souligne Bowen dans cette définition est propre à
un système assidu de contrôle du respect de la
réglementation. C'est le cas dans plusieurs pays d'Europe (France et
Grande Bretagne par exemple). Ramené au contexte subsaharien en
général, et camerounais en particulier, cette définition
trouve mal son application.
Mc Guire (1963) et Davis
(1973) soutenus plus tard par M. T. Jones (1980),
perçoivent la RSE comme la prise en compte par l'entreprise, de
problèmes qui vont au delà de ses obligations économiques,
techniques et légales et reconnaissance par celle-ci, de ses
responsabilités envers la société. Vu sous cet angle, la
RS débute là où s'arrête la loi. Que dira t-on des
entreprises qui ne se conforment qu'au stricte minimum requis par la loi, parce
que ne faisant face à aucune compétition sur le
marché ?
A. B. Carroll (1979) ne se contente pas
seulement de limiter les champs d'action possibles de l'entreprise responsable
car pour elle, « la CSR intègre l'ensemble des attentes
économiques, légales, éthiques et philanthropiques que
peut avoir la société à l'égard d'une entreprise
à un moment donné ». Suivant le même ordre
d'idées que Carroll, Wood (1991) souligne
que: « La signification de la responsabilité
sociétale ne peut être appréhendée qu'à
travers l'interaction de trois principes : la légitimité, la
responsabilité publique et la discrétion
managériale, ces principes résultant de la distinction
de trois niveaux d'analyse, institutionnel, organisationnel et individuel
». Les définitions proposées par Carroll et Wood vont plus
loin que les approches précédentes en spécifiant les
catégories d'analyse de la CSR et en systématisant les acquis des
recherches antérieures.
On constate une assez forte proximité entre les plus
anciennes définitions de la CSR et les approches managériales.
Ces définitions se contentent en général de mettre en
avant le caractère discrétionnaire de la CSR, en insistant sur le
fait qu'elle recouvre des dimensions qui dépassent les aspects purement
économiques ou légaux de l'activité de l'entreprise.
Mais au fait, qu'est ce que la responsabilité sociale
ou sociétale de l'entreprise ?
De toutes les définitions et
approches développées ci-dessus, nous pouvons définir la
responsabilité sociale de l'entreprise comme la prise en compte par
l'entreprise des variables extra économiques dans la réalisation
de ses objectifs à long et moyen terme. C'est un processus
d'amélioration, dans le cadre duquel, les organisations, les
entreprises, les pouvoirs publics et les collectivités locales
intègrent de manière volontaire, systématique et
cohérente des préoccupations d'ordre social, environnemental et
économique dans leur gestion au quotidien. En d'autres termes, une
entreprise socialement responsable est celle dont l'atteinte des objectifs
économiques est conjointe à l'intérêt collectif de
toutes les parties prenantes et dans le respect des contraintes légales
naturelles.
La responsabilité sociétale s'appuie ainsi sur
des principes directeurs et des outils (normes, standards et labels) qui
permettent, non seulement, de mesurer la réalité de ces pratiques
et leur valeur ajoutée, mais aussi d'en maximiser les impacts positifs
pour les entreprises, les collectivités et la société dans
son ensemble.
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