I - 2 - 2 - Apport conjoint des théories des
organisations et de la finance
organisationnelle à
l'irruption de la création de valeur dans la
gouvernance d'entreprise
Les théories des organisations et de la firme d'une
part, et la finance organisationnelle d'autre part, regorgent d'une multitude
d'écrits. Notamment le théorie de la motivation, la
théorie des besoins, les rationalités productive, administrative,
et structurelles, la théorie de la rationalité limitée, la
théorie de l'agence, la théorie des droits de
propriété, la théorie des coûts de transaction, la
théorie du financement hiérarchique, le courant systémique
des organisations, l'approche actionnaliste, le courant behaviouriste, etc.
L'objectif ici est loin de ressortir la contribution de tous
ces écrits à la l'irruption de la création de valeur dans
le gouvernance d'entreprise. Mais, de choisir parmi elles, celles qui
s'inscrivent le plus dans une logique de gouvernement d'entreprise et de
création de valeur. Les recherches antérieures, notamment celles
de Wanda R. (2001) (structure financière et performance
des entreprises) et de Remaud H. (2001) (Modes de gouvernance
et création de valeur en PE) ont retenu les théories de l'agence
et du financement hiérarchique comme pertinentes pour l'analyse de la
création de valeur et du gouvernement d'entreprise.
I - 2 - 2 - 1 - Apport de la théorie de
l'agence à l'appréciation de la création de
valeur
La notion d'agence est définie par Jensen et
Mekling, (1976) comme un contrat par lequel une personne
appelée principal ou mandant, délègue
à une autre personne appelée agent ou
mandataire le pouvoir de prendre à sa place un certain nombre
de décisions. Au-delà du risque de conflit
d'intérêts qui existe entre les parties concernées
(intérêt du mandant et intérêt du mandataire),
l'information diffusée joue un rôle déterminant entre les
acteurs.
La relation d'agence peut être élargie à
l'ensemble des parties prenantes de l'entreprise ; dans ce cas les
dirigeants sont des « agents » qui sont les seuls à
être en relation avec les parties prenantes (Hill et Jones,
1992). Ainsi, pour assurer la pérennité de l'entreprise,
les dirigeants doivent non seulement créer de la valeur pour les
actionnaires, mais également pour toutes les parties prenantes de telle
sorte qu'aucune d'entre elles ne se sente défavorisée.
Il existe alors une sorte de contrat social. Car dans cette
approche, les parties prenantes influencent les décisions
stratégiques des dirigeants et ceux-ci doivent leur rendre compte sur la
façon dont ils assurent leurs attentes. Il existerait donc une
asymétrie informationnelle latente qui est revisitée par la
théorie des signaux.
En effet, la théorie des signaux se fonde sur
l'hypothèse forte que les dirigeants d'une entreprise disposent d'une
meilleure information que les investisseurs de cette entreprise. En d'autres
termes, et selon Remaud H. (2001), les dirigeants sont mieux
à même de prévoir les flux avenirs de l'entreprise ;
ils savent dans quel état de la nature l'entreprise se situe. Dans cette
optique, tout signal, émis par les dirigeants d'une entreprise tendant
à faire croire que les flux seront meilleurs que prévus ou que le
risque sera moindre, permettra une création de valeur pour
l'investisseur. Celui-ci sera donc toujours à la quête d'un signal
lui permettant d'espérer une rentabilité supérieure ou un
risque minime.
Cependant, pour que la signalisation soit crédible, le
signal doit être accompagné par sa propre sanction s'il est
biaisé afin de décourager la propension à
l'émission de faux signaux. Ce qui n'était malheureusement pas le
cas dans le début des années 2000. La théorie d'agence et
la théorie des signaux nous permettent ainsi de mieux comprendre la
relation entre actionnaires et dirigeants d'une part, et entre entreprise et
stakeholders d'autre part dans le processus de création de valeur.
Toutefois, ces théories nous permettent moins de cerner le comportement
des dirigeants dans le processus du choix de l'un ou l'autre modèle de
financement.
En effet, la mise en oeuvre d'un projet rentable passe par un
choix judicieux de financement. Ceci suppose de trouver la meilleure
structure du capital c'est-à-dire la meilleure répartition entre
Dettes et Fonds Propres. Cette répartition est optimale lorsqu'elle
permet de maximiser la valeur de la firme ou de minimiser les coûts.
C'est ce qui constitue l'objet de la théorie du financement
hiérarchique.
I - 2 - 2 - 2 - Apport de la théorie du
financement hiérarchique à l'appréciation de
la
création de la
valeur
Encore appelée théorie du « pecking
order », cette théorie a été
modélisé pour la première fois par Myers S.C et
Majluf N.S. (1984) et permet entre autres à l'entreprise de
signaler à l'extérieur, sa capacité de créer de la
valeur. Mais bien avant eux, Donaldson (1961) cité par Denglos
G. (2003) conclut que les firmes s'abstiennent habituellement
d'émettre des actions et n'empruntent que si l'investissement requiert
des fonds supérieurs aux cash flows existants. Pour lui les
firmes se financent prioritairement par autofinancement puis par emprunts et en
dernier recours par augmentation de capital.
En effet, pour assurer leur croissance, certaines
sociétés s'endettent, d'autres émettent des actions ou
puisent dans leurs réserves (autofinancement). Pour Myers S.C.
(1984) la théorie du financement hiérarchique apporte
une explication de cette disparité de pratique sous l'hypothèse
que la règle de décision en matière de financement est de
choisir la source la moins onéreuse.
En fait les choix sont beaucoup plus complexes, tant au niveau
de leur mise en oeuvre qu'au niveau de leur conception théorique, ce qui
explique l'absence de consensus sur la question. En effet, aux coûts
explicites d'un mode de financement ont été progressivement
ajouté d'autres coûts tel que ceux lié à la
fiscalité, aux contrats (Berle A. et Means G., 1932) ou
ceux associés à l'asymétrie d'informations
(Williamson O., 1988).
Cette multiplicité des coûts s'explique sans
doute par les objectifs divergents des différentes parties prenantes de
l'entreprise, explicatifs de la relation d'agence qui existe entre ces
stakeholders. L'objectif de l'actionnaire étant de maximiser le profit,
celui des dirigeants est la valeur de la firme, tandis que celui des autres
partenaires (clients et prêteurs par exemple), minimiser les risques
liés à l'achat ou le financement des investissements
spécifiques. La réalisation de ces deux objectifs suppose, selon
Cornell B. A. et Shapiro (1987), la minimisation des
coûts des contrats implicites. Pour minimiser les coûts de ces
contrats, la firme a intérêt à ne pas épuiser ses
capacités d'autofinancement et d'endettement avant la date à
laquelle elle doit honorer ses contrats implicites. En effet, à cette
date, l'émission d'actions peut être très coûteuse.
Ainsi, contrairement au modèle de Myers et Majluf, la
hiérarchie soutenue est donc : autofinancement, augmentation du capital
et endettement, en dernier ressort.
La conclusion ci-dessus, bien que contradictoire à
l'ordre de financement proposé par Myers et majluf, et par Donaldson,
constitue un regain d'intérêt sur le débat du financement
hiérarchique. Elle nous oblige à examiner plus en profondeur, la
contribution des uns et des autres à l'éclaircissement de la
théorie du financement hiérarchique. Myers et Williamson ont
proposé des modèles plus célèbres.
Dans son modèle ; Williamson O. (1988)
suppose qu'afin de rendre viable à long terme la relation contractuelle
entre les parties au contrat (actionnaires, dirigeants et créanciers),
il est nécessaire d'effectuer des perpétuels ajustements ex-post.
Dans ce cadre, la dette et l'augmentation de capital ne sont plus à
considérer seulement comme des sources de financement, mais aussi comme
moyens permettant de réaliser plus au moins ces ajustements.
Si l'actif est spécifique, l'augmentation de capital
(avec une diffusion de titres qui ne soit pas trop importante) est plus
efficace que l'endettement pour réaliser les ajustements des contrats
liant la firme aux apporteurs de capitaux, puisque si l'investissement
spécifique est par exemple un projet de recherche et de
développement, les actionnaires toléreront davantage que les
prêteurs le fait qu'il ne dégage pas la rentabilité
escomptée dans les délais prévus. Par contre, si l'actif
n'est pas spécifique, l'endettement qui est une formule de financement
plus simple, parait plus approprie.
Donc selon Williamson, la spécificité de l'actif
reste la caractéristique clé expliquant le choix d'un mode de
financement et la structure financière. Williamson O.
(1988) avance en plus l'idée séduisante que,
contrairement à l'approche conventionnelle qui considère au
départ une firme entièrement financée par fonds propres et
recherche ensuite des justifications à l'usage de la dette, il faudrait
considérer la dette comme l'instrument « naturel » de
financement et les fonds propres comme la solution de dernier ressort.
Dans le modèle de Myers S.C. (1999),
celui-ci conçoit la firme comme une coalition recherchant à
augmenter le volume des fonds propres et du surplus organisationnel
(c'est-à-dire son pourvoir de redistribuer au personnel des
bonifications). Dans ce cas, l'augmentation de capital sera
préférée à l'endettement s'il est nécessaire
de recourir à un financement externe. Mais, il
considère que pour financer des investissements, la firme
préfère conserver des bénéfices plutôt que de
recourir à une augmentation de capital qui obligerait à
distribuer des dividendes supplémentaires. Donc, dans ce cas, la firme
privilégie l'autofinancement à l'augmentation de capital. Ainsi
Myers S.C. (1999) conclut que chaque firme applique une
hiérarchie entre les financements de la manière suivante :
d'abord l'autofinancement, ensuite l'augmentation de capital et la
dette en dernier ressort ; ce qui est contradictoire avec le
modèle de Myers S.C. et Majluf N.S. (1984).
Il en ressort des enseignements sur la typologie des
dirigeants. Cette typologie a d'ailleurs fait l'objet d'une étude
particulière chez Remaud H. (2001) qui a ainsi pu
classer les comportements types des dirigeants en trois
catégories :
· Le dirigeant au comportement
"patrimonial" qui préfère s'endetter,
pour financer ses investissements, plutôt que s'autofinancer ;
· Le dirigeant au comportement
"entrepreneurial" plutôt proactif, est
prêt à ouvrir son capital ou à faire appel à
l'extérieur, afin de conserver son autonomie de
décision ;
· Le dirigeant au comportement
"managérial" dont les objectifs entrent en
concurrence avec ceux des actionnaires qui l'ont nommé aux commandes de
l'entreprise.
Toutefois, l'objectif du dirigeant, qu'il soit
managérial, entrepreneurial ou partenarial, reste de créer de la
valeur. La valeur ainsi créée peut être destinée
à l'actionnaire seul ou à l'ensemble des parties prenantes. Il
peut également s'agir d'une valeur stratégique ou
concurrentielle. Quelle que soit la typologie retenue, la mise en oeuvre de
politiques RSE présente des enjeux de création de valeur
importants.
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