GENERALITÉS SUR LA MCS ET LA MATRICE DES
MULTIPLICATEURS
1.1 La Matrice de Comptabilité Sociale
La matrice de comptabilité sociale, constitue un
système comptable permettant l'élargissement de la structure des
comptes nationaux en intégrant dans un cadre unique les flux de
production par branches d'activités, les rémunérations des
facteurs, et les comptes de revenus et de dépenses des différents
agents économiques. Elle se présente sous la forme d'un tableau
carré entrées-sorties où, pour une année
donnée, sont enregistrés des flux comptables de recettes(en
ligne) et de dépenses (en colonne).
1.1.1 Revue de la littérature
L'idée de la matrice de comptabilité sociale
nait de la volonté de donner une représentation
synthétique des flux de revenus dans un système
socioéconomique. On considère que les premiers travaux dans ce
sens sont ceux de François QUESNAY au 18ème
siècle concernant l'économie de la FRANCE.
QUESNAY propose dans son ouvrage "le tableau
économique"1, une représentation de la
circulation des biens économiques dans le corps social. Il compare la
circulation des biens dans l'économie à la circulation du sang
dans l'organisme humain. Chaque agent est ainsi assimilé à un
membre du corps social. Dans le cadre de ses travaux, il introduit pour la
première fois les notions d'interdépendance entre les
activités économiques, et entre la production et la
répartition. Ainsi, il construit ce qu'il appelle "tableau annuel
des échanges", qui est en fait une première
représentation matricielle des flux de revenus dans une économie.
Ce tableau montre comment chaque classe dépend des autres à
travers l'interdépendance des activités économiques, de
1publié en 1759
même que les relations qui s'établissent entre la
production et la répartition.
Dans le tableau sont représentés en ligne et en
colonne, les Trois classes d'agents économiques
considérées par QUESNAY (tableau 1) :
- la classe des producteurs qui est composée des
Fermiers et des travailleurs agricoles; - la classe des propriétaires
fonciers qui est composée des commerçants et des artisans; - la
classe stérile.
Tableau 1 : Le tableau annuel des
échanges
Ressources/Emplois
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Fermiers
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Travailleurs agricoles
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Propriétaires fonciers
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Artisans
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Total
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Fermiers
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Travailleurs agricoles
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Propriétaires fonciers
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Artisans
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Total
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Bien que QUESNAY aborde dans son ouvrage une nouvelle
méthode de présentation et d'analyse de l'économie,
celle-ci demeure néanmoins assez limitée puisqu'elle porte
essentiellement sur le secteur agricole. Plus tard, des économistes
à l'instar de WASSILY LEONTIEFF vont prolonger les concepts introduits
par QUESNAY. Ainsi, LEONTIEFF va construire un tableau des échanges
industriel et en déduire les multiplicateurs de l'activité
de production.
C'est à Sir Richard STONE en 1960 que revient le
mérite d'avoir proposé la première véritable MCS.
En effet, dans ses travaux intitulés "Input-output and social account",
menés dans le cadre du "program for growth" de l'université de
Cambridge, STONE dirige une équipe de chercheurs qui va compiler une MCS
pour la Grande Bretagne. Cette MCS servira de base de données pour
l'élaboration et la résolution du "Cambridge growth model".
Cette matrice est constituée de 4 comptes : compte de
production, compte de consommation, compte d'accumulation, et compte du reste
du monde.
En 1976, Graham PYATT et Erick THORBECKE proposent une
formulation générale pour la MCS. L'année suivante, en
1977, PYATT assisté cette fois-ci de ROE dans le cadre d'une mission
internationale pour le compte du BIT2, construisent des matrices de
comptabilité sociale qui ont servi d'outil de programmation
économique pour le Sri Lanka, l'Iran, et la Colombie.
2Bureau International du Travail
En 1988, Haider KHAN propose une méthodologie de
désagrégation des comptes des ménages pour conduire les
analyses d'impact de la politique économique sur la pauvreté.
Selon lui, dans cet exercice, six aspects devraient être pris en
considération 3.
- La classification des ménages suivant leurs
caractéristiques Socio-économiques; - Le processus de
génération du revenu des ménages;
- Les mécanismes de redistribution;
- La structure de la consommation des ménages;
- Les liens entre la consommation, le revenu des ménages
et les possibilités de l'économie;
- Les capacités de création et d'absorption des
ménages.
Déjà à ce moment, la MCS n'est plus
utilisée seulement pour représenter l'économie, mais aussi
comme base de données pour des analyses de l'économie, notamment
pour les analyses de la pauvreté.
Ainsi PYATT et ROE en 1977, et KEUNING en 1997 se servent
d'une MCS pour analyser la redistribution des revenus et la pauvreté.
L'analyse de la pauvreté n'est pas le seul domaine d'utilisation de la
MCS. En 2004, CARDENETTE analyse le développement régional en
Andalousie4. PYATT et Jeffery ROUND en 1985, ROBINSON en 1986 et VOS
et JUNG en 2003 utilisent une MCS pour analyser les stratégies de
croissance dans les pays en développement.
J. ROUND en 2001 identifie trois caractéristiques
principales d'une MCS5 :
- elles permettent la présentation des comptes de la
nation sous forme d'une matrice car-
rée dans laquelle les revenus et les dépenses pour
chaque compte sont représentés dans
les lignes et les colonnes correspondantes, les transactions
sont représentées dans les
cellules. De cette façon, la MCS permet une
représentation plus explicite des interrela-
tions entre les agents économiques;
- elles sont aisément compréhensibles dans la
mesure où elles représentent toutes les activités
économiques du système;
- elles présentent une grande flexibilité en ce
sens qu'elles peuvent être modifiées et
3Haider Khan,"Social accounting matrix (SAMs) and CGE
modelling : Using macroéconomic computable
général equilibrium models for assessing poverty
impact of structural adjustment policies", P26 4Impact
assessment using a SAM
5"A Gender Aware Mavroeconomic model for
Evaluating Impacts of policies on Poverty reduction in Africa:
the case of South-Africa", P4
adaptées pour les besoins spécifiques
d'études.
De ces caractéristiques, ROUND dégage trois
principales raisons à l'utilisation de la MCS :
- la MCS permet la réconciliation des données
provenant de sources différentes et décrivant les
caractéristiques structurelles de l'économie;
- elle constitue un moyen efficace de présentation de
l'information en ce sens qu'elle présente de manière simple les
interdépendances structurelles dans l'économie au niveau
macroéconomique et méso économique, ainsi que les liens
qui existent entre la distribution des revenus et la structure de
l'économie;
- elle constitue une base de données pour la
modélisation (modèle de multiplicateurs à prix fixe, MEGC,
etc.).
Entre les années 80 et 90, le nombre de pays
expérimentant les MCS n'a cessé de croître. Cet engouement
pour les MCS s'explique par le fait que la MCS en réunissant dans un
cadre unique les principaux tableaux de synthèse de la
comptabilité nationale (tableau des ressources et des emplois (TRE), le
tableau des comptes économiques intégrés (TCEI), le
Tableau des Opérations Financières (TOF), etc.), a permis de
répondre à de nouvelles questions macro-économiques,
notamment les questions liées à la croissance économique,
à la redistribution, à la pauvreté, au chômage,
etc.
La notion de matrice de comptabilité sociale n'apparait
dans le SCN qu'à partir de 1993. Dans le SCN de 1968, la structure
comptable était expliquée au moyen d'une matrice illustrative
couvrant l'ensemble du Système, et l'accent était en outre
largement mis sur le Système comme base pour l'analyse
entrées-sorties. Désormais, le tableau entrées-sorties
constitue un cadre matriciel largement employé pour offrir une
information élaborée de façon détaillée et
cohérente sur les flux de biens et de services et la structure des
coûts de production. Cette matrice contient plus d'informations que les
comptes en T en ce qui concerne les biens et les services, la production et la
formation des revenus; ainsi, la dépense de consommation finale est
présentée par produit ou par branche d'origine, et la
consommation intermédiaire est présentée à la fois
par produit ou par branche d'origine et par produit ou par branche de
destination. Les liens détaillés entre ces comptes sont
développées plus avant dans le tableau des ressources et des
emplois du SCN, moyennant une spécification des catégories de
biens et de services produits par branche d'activité. Toutefois, ces
matrices n'intègrent pas les interrelations entre la
valeur ajoutée et la dépense finale. En
élargissant un tableau de ressources et d'emplois, ou un tableau
entrées-sorties, pour montrer dans sa totalité la circulation du
revenu au niveau méso économique, on saisit un trait essentiel
d'une matrice de comptabilité sociale (MCS). La MCS est définie
ici comme la présentation des comptes du SCN dans une matrice qui
développe les liens entre le tableau des ressources et des emplois et
les comptes des secteurs institutionnels. Dans de nombreux exemples, les MCS
ont été appliquées à l'analyse des interrelations
entre les caractères structurels d'une économie et la
distribution du revenu et de la dépense entre les groupes de
ménages. Les MCS sont étroitement liées aux comptes
nationaux, dans lesquels peut se refléter leur attention
caractéristique portée au rôle des individus dans
l'économie, au moyen, notamment, d'une désagrégation
supplémentaire du secteur des ménages et d'une
représentation détaillée des marchés du travail
(distinguant, par exemple, les diverses catégories de personnes
employées). Par ailleurs, les MCS comportent en général un
tableau de ressources et d'emplois ou d'entrées-sorties relativement
moins détaillé.6
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