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Matrice de comptabilité sociale au Cameroun et évaluation de l'impact d'une politique fiscale sur la pauvreté

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par Serge Alain LONANG TCHATCHOUANG
Institut sous régional de statistique et d'économie appliquée - Ingénieur statisticien économiste 2008
  

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

Le Cameroun comme nombre de pays de l'Afrique subsaharienne connait depuis la fin des années quatre vingt, une forte dégradation du bien être de ses populations. Ici en effet, la pauvreté touche près de 40% des ménages. Cet état de chose est en partie une conséquence de la crise économique à laquelle le pays a fait face dès la fin de l'année 1986. Elle a entrainé une forte dégradation des termes de l'échange, mettant fin à une période de croissance qui avait débuté en 1960 et s'était accentuée en 1978 avec le début de l'exploitation pétrolière. Pour faire face, les autorités se sont engagées en 1987, dans une politique d'ajustement appuyée par un programme autonome, sans intervention des Bailleurs de fonds internationaux. L'objectif de ce programme était : la réduction des dépenses de l'État, et l'allègement du poids du secteur public au sens large. Ces mesures se sont avérées insuffisantes pour juguler les effets de la crise. Au contraire, les mesures de contraction des dépenses publiques combinées aux conséquences de la crise ont accentué la détérioration des conditions de vie des ménages. Le gouvernement en est donc venu à adopter, en 1988, un accord de confirmation du FMI1 et un crédit d'ajustement structurel de la Banque mondiale. Ces réformes ont non seulement été lentes et insuffisantes pour stopper la chute de la production, mais de plus, elles ont encore contribuées à la dégradation des conditions de vie des ménages. En fait, ces réformes se sont traduites entre autres par deux baisses importantes des salaires des agents de l'État soit une réduction de plus de 50%, la limitation des recrutements dans la fonction publique, et la diminution des effectifs des agents de l'État. L'enquête sur l'emploi et les conditions de vie des ménages réalisée en 1993 dans la ville de Yaoundé par la direction de la statistique et de la comptabilité nationale et l'institut de recherche GIS-DIAL révèle une augmentation du chômage et une dégradation des conditions

1encore appelé de stand-by il permet à un pays membre du FMI de dépasser la limite de 25% des quotas par an pour ses droits de tirage

de vie. Près de 9 ménages sur 10 ont diminué leur consommation de près de 55%, et ce sont les couches les plus vulnérables qui ont payé le plus lourd tribut de la restructuration. En 1997, le gouvernement Camerounais adopte un programme triennal. Il s'agit d'un autre programme d'ajustement (PAS), mais renforcé cette fois par une prise en compte du volet social de l'ajustement. Ce programme prescrit le renforcement des acquis et la poursuite des efforts pour la promotion d'une croissance économique forte et de qualité. Il est soutenu par une facilité pour la croissance et la réduction de la pauvreté mise en place par le FMI. La conduite à terme de ce programme a permis au Cameroun de bénéficier de mesures d'allègement de la dette et de lutte contre la pauvreté dans le cadre de l'Initiative Pays Pauvres Très Endettés (IPPTE) mise en uvre par le FMI dès 1996. A la suite de ce programme, les autorités camerounaises ont validé en 2003 en accord avec les institutions de Brettons Wood le Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP) qui va constituer dès lors le cadre de référence pour la lutte contre la pauvreté au Cameroun.

Avec son admission à l'Initiative Pays Pauvres Très Endettés (IPPTE) et la mise en uvre du Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP), la lutte contre la pauvreté occupe ainsi une place privilégiée dans les choix de politique économique des autorités. Dans ce contexte, les questions liées au suivi et à l'évaluation de la pauvreté revêtent une importante particulière.

Afin d'assurer le suivi et l'évaluation de sa stratégie de réduction de la pauvreté, le gouvernement a prévu la mise en place d'un système d'information fiable qui devrait permettre d'apprécier et de suivre l'évolution de ce fléau. Ce système repose sur un dispositif à trois volets : le suivi d'exécution, le suivi d'impact et le suivi participatif. Le suivi d'impact porte sur l'analyse de la pauvreté et s'effectue à travers la mise en uvre d'un programme statistique minimum. Le suivi d'indicateurs pertinents permettant d'analyser périodiquement l'évolution de la pauvreté, et la collecte d'information permettant de produire les indicateurs de suivi.2 Les indicateurs de suivi sont déterminé à partir des données collectées auprès des ménages dans le cadre de l'Enquête camerounaise Auprès des Ménages (ECAM) dont la périodicité théorique est de cinq ans. Mais, les décideurs ici ne disposent pas d'outils qui leur permettraient de connaitre quel serait l'évolution de ces indicateurs entre deux enquêtes. Cette carence constitue une préoccupation au sein notamment de l'Institut National de la Statistique (INS) en charge de l'élaboration des

2DSRP Cameroun,avril 2003,P 142-147

indicateurs de suivi et d'évaluation des progrès en matière de développement social et notamment de la réduction de la pauvreté.3

La question est en fait celle de savoir comment évolueraient les différents indicateurs de pauvreté suite à l'application d'une mesure de politique économique particulière? Si l'on se limite à la politique fiscale, et que l'on considère l'ordonnance présidentielle du 28 septembre 2006 portant révision de la fiscalité applicable sur certains produits de première nécessité dont l'objectif principal était l'amélioration des conditions de vie des populations, il est alors question de savoir quel serait l'impact d'une telle mesure sur la pauvreté? permettrait-telle effectivement une amélioration du bien-être des populations? si oui dans quelles mesures?

Pour parvenir à répondre à ces préoccupations, une méthode consiste à effectuer des simulations de politiques et à déterminer l'impact sur l'économie. Pour ceci, il est nécessaire de disposer d'une Matrice de Comptabilité Sociale (MCS). Il s'agit d'une représentation matricielle des flux de richesse dans une économie. Elle constitue un important instrument d'analyse de l'économie, elle permet également d'évaluer l'impact des chocs sur l'économie. Son importance vient du fait que non seulement elle fournit un cadre consistant pour la comptabilité socio-économique, mais de plus, elle constitue une base de données pour une large variété de modèles économiques dont les plus répandus sont la "Social Accounting Matrix Multiplier" ou "l'analyse à partir des multiplicateurs de la MCS", les Modèles d'Équilibre Général Calculable (MEGC).

Au Cameroun les travaux sur la matrice de comptabilité sociale ont été abordés par plusieurs auteurs. Les matrices les plus récentes sont celles construites en 2000 sur la base des données de 1996 par le Dr EMINI4, et celle proposée par Cogneau et Roubeau de l'institut de recherche DIAL en 1993.

La matrice proposée par Cogneau et Roubeau se compose de six types de comptes :

- les comptes de branches : Les branches d'activité de l'économie sont réparties dans

quatre catégories : l'agriculture, le pétrole, le commerce formel et informel, et les autres

branches formelle et informelle.

- les comptes de produits : Les produits sont regroupés dans trois catégories : les produits agricoles, le pétrole, et les autres produits formel et informel;

3Décret N° 2001/100 du 20 Avril 2001 portant création, organisation et fonctionnement de l'Institut National de la Statistique

4cette matrice est basée sur celle de Njinkeu et Bamou en 1993

- les comptes de facteurs : Les facteurs sont considérés d'après la nomenclature suivante : le travail indépendant et le capital agricole, le travail indépendant et le capital informel, le travail informel, le travail formel, le capital informel, le capital formel, le facteur spécifique pétrole;

- les comptes de secteurs institutionnels : Ils considèrent deux secteurs : les ménages (les ménages agricoles, les ménages exerçant dans l'informel et les ménages exerçant dans le formel), et l'État.

- le compte de capital

- le compte du reste du monde.

En 2000, Emini propose une matrice de comptabilité financière pour le Cameroun. Celle-

ci est construite dans le but de paramétrer le " Integrated Macroeconomic Model for Poverty

Analysis " dans le cas du Cameroun. Elle comporte elle aussi six types de comptes : - les comptes de facteurs : les facteurs considérés sont le travail et le capital; - les comptes des secteurs institutionnels : six secteurs sont représentés. Les ménages,

les sociétés non financières, les administrations, les banques commerciales, la banque

centrale, et le reste du monde.

- les comptes de branches : les branches sont regroupées dans trois catégories. L'agriculture, les industries et les administrations.

- les comptes de produits : les produits sont regroupés dans deux catégories. Les produits de l'agriculture et les produits de l'industrie.

- les comptes de capital pour les secteurs institutionnels;

- les comptes financiers : les actifs financiers considérés ici sont, la monnaie fiduciaire, les dépôts bancaires, les crédits domestiques, les crédits étrangers, le refinancement, les avances de trésorerie, les ressources étrangères, et les actifs étrangers.

Ces deux matrices ont ceci en commun qu'elles présentent des niveaux d'agrégation importants. Ainsi :

- la présentation des comptes des administrations ne permet pas une analyse exclusive de la fiscalité. Pour cela il serait nécessaire d'isoler les éléments liés à la fiscalité dans le compte des administrations des autres postes de ce compte.

- La structure des comptes de produits et de branches ne permet pas une analyse par branche ou par produit. En effet, afin de pouvoir observer l'impact d'une modification

de la fiscalité sur certains produits, il faudrait pouvoir isoler ces produits des autres.

- la structure des comptes de ménages ne permet pas une analyse en fonction du niveau de vie. Pour étudier les modifications des conditions de vie des ménages, on a besoin distinguer les ménages selon leur niveau de vie (pauvre, intermédiaire ou non pauvre).

De plus ces matrices ayant été construites il y a assez longtemps, il n'est pratiquement pas pos-

sible de les utiliser à nouveau.

Compte tenu de tout ce qui précède, la construction d'une nouvelle matrice de comptabilité sociale pour la Cameroun constitue un préalable indispensable pour la conduite de travail. Cette matrice devra présenter un niveau de désagrégation suffisant pour permettre l'analyse de l'impact d'une mesure fiscale appliquée sur des produits particuliers, sur le bien être des ménages.

Fort de tous ceci, l'objectif de ce travail sera de proposer une méthodologie pour l'évaluation à court terme de l'impact d'une mesure de politique fiscale sur la pauvreté, sur la base d'une Matrice de Comptabilité Sociale. De façon spécifique, il s'agira de :

- Construire la matrice de comptabilité sociale du Cameroun;

- Construire la matrice des multiplicateurs de la matrice de comptabilité sociale; - Simuler une mesure fiscale et évaluer son impact sur la pauvreté.

L'hypothèse sous-jacente à ce travail est que toute mesure de politique fiscale est susceptible d'influencer le bien-être des ménages, et cette influence peut être évaluée à partir d'une matrice de comptabilité sociale.

Pour atteindre les objectifs suscités, nous procèderons en deux étapes.

La première sera consacrée à la construction de la Matrice de Comptabilité Sociale. Pour ce faire, on commencera par construire une matrice macroéconomique (MCS Macro) qui sera ensuite désagrégée afin d'obtenir une matrice microéconomique (MCS Micro).

Dans la seconde étape, nous utilisons cette dernière matrice pour construire une matrice de multiplicateurs à partir de laquelle nous pourrons effectuer des simulations de politique fiscale et évaluer les impacts sur la pauvreté.

Plan de travail

Le travail sera structuré en trois chapitres :

- le premier sera consacré à la présentation des aspects théoriques concernant la matrice

de comptabilité sociale et son utilisation pour l'analyse de la pauvreté;

- le second abordera la construction de la matrice de comptabilité sociale;

- Enfin, dans le troisième, il sera question de simulation et d'analyse d'impact sur la pauvreté.

 

CHAPITRE PREMIER

 

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote