INTRODUCTION GÉNÉRALE
Le Cameroun comme nombre de pays de l'Afrique subsaharienne
connait depuis la fin des années quatre vingt, une forte
dégradation du bien être de ses populations. Ici en effet, la
pauvreté touche près de 40% des ménages. Cet état
de chose est en partie une conséquence de la crise économique
à laquelle le pays a fait face dès la fin de l'année 1986.
Elle a entrainé une forte dégradation des termes de
l'échange, mettant fin à une période de croissance qui
avait débuté en 1960 et s'était accentuée en 1978
avec le début de l'exploitation pétrolière. Pour faire
face, les autorités se sont engagées en 1987, dans une politique
d'ajustement appuyée par un programme autonome, sans intervention des
Bailleurs de fonds internationaux. L'objectif de ce programme était : la
réduction des dépenses de l'État, et l'allègement
du poids du secteur public au sens large. Ces mesures se sont
avérées insuffisantes pour juguler les effets de la crise. Au
contraire, les mesures de contraction des dépenses publiques
combinées aux conséquences de la crise ont accentué la
détérioration des conditions de vie des ménages. Le
gouvernement en est donc venu à adopter, en 1988, un accord de
confirmation du FMI1 et un crédit d'ajustement structurel de
la Banque mondiale. Ces réformes ont non seulement été
lentes et insuffisantes pour stopper la chute de la production, mais de plus,
elles ont encore contribuées à la dégradation des
conditions de vie des ménages. En fait, ces réformes se sont
traduites entre autres par deux baisses importantes des salaires des agents de
l'État soit une réduction de plus de 50%, la limitation des
recrutements dans la fonction publique, et la diminution des effectifs des
agents de l'État. L'enquête sur l'emploi et les conditions de vie
des ménages réalisée en 1993 dans la ville de
Yaoundé par la direction de la statistique et de la comptabilité
nationale et l'institut de recherche GIS-DIAL révèle une
augmentation du chômage et une dégradation des conditions
1encore appelé de stand-by il permet à
un pays membre du FMI de dépasser la limite de 25% des quotas par an
pour ses droits de tirage
de vie. Près de 9 ménages sur 10 ont
diminué leur consommation de près de 55%, et ce sont les couches
les plus vulnérables qui ont payé le plus lourd tribut de la
restructuration. En 1997, le gouvernement Camerounais adopte un programme
triennal. Il s'agit d'un autre programme d'ajustement (PAS), mais
renforcé cette fois par une prise en compte du volet social de
l'ajustement. Ce programme prescrit le renforcement des acquis et la poursuite
des efforts pour la promotion d'une croissance économique forte et de
qualité. Il est soutenu par une facilité pour la croissance et la
réduction de la pauvreté mise en place par le FMI. La conduite
à terme de ce programme a permis au Cameroun de bénéficier
de mesures d'allègement de la dette et de lutte contre la
pauvreté dans le cadre de l'Initiative Pays Pauvres Très
Endettés (IPPTE) mise en uvre par le FMI dès 1996. A la suite de
ce programme, les autorités camerounaises ont validé en 2003 en
accord avec les institutions de Brettons Wood le Document de Stratégie
de Réduction de la Pauvreté (DSRP) qui va constituer dès
lors le cadre de référence pour la lutte contre la
pauvreté au Cameroun.
Avec son admission à l'Initiative Pays Pauvres
Très Endettés (IPPTE) et la mise en uvre du Document de
Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP), la lutte
contre la pauvreté occupe ainsi une place privilégiée dans
les choix de politique économique des autorités. Dans ce
contexte, les questions liées au suivi et à l'évaluation
de la pauvreté revêtent une importante particulière.
Afin d'assurer le suivi et l'évaluation de sa
stratégie de réduction de la pauvreté, le gouvernement a
prévu la mise en place d'un système d'information fiable qui
devrait permettre d'apprécier et de suivre l'évolution de ce
fléau. Ce système repose sur un dispositif à trois volets
: le suivi d'exécution, le suivi d'impact et le suivi participatif. Le
suivi d'impact porte sur l'analyse de la pauvreté et s'effectue à
travers la mise en uvre d'un programme statistique minimum. Le suivi
d'indicateurs pertinents permettant d'analyser périodiquement
l'évolution de la pauvreté, et la collecte d'information
permettant de produire les indicateurs de suivi.2 Les indicateurs de
suivi sont déterminé à partir des données
collectées auprès des ménages dans le cadre de
l'Enquête camerounaise Auprès des Ménages (ECAM) dont la
périodicité théorique est de cinq ans. Mais, les
décideurs ici ne disposent pas d'outils qui leur permettraient de
connaitre quel serait l'évolution de ces indicateurs entre deux
enquêtes. Cette carence constitue une préoccupation au sein
notamment de l'Institut National de la Statistique (INS) en charge de
l'élaboration des
2DSRP Cameroun,avril 2003,P 142-147
indicateurs de suivi et d'évaluation des progrès en
matière de développement social et notamment de la
réduction de la pauvreté.3
La question est en fait celle de savoir comment
évolueraient les différents indicateurs de pauvreté suite
à l'application d'une mesure de politique économique
particulière? Si l'on se limite à la politique fiscale,
et que l'on considère l'ordonnance présidentielle du 28 septembre
2006 portant révision de la fiscalité applicable sur certains
produits de première nécessité dont l'objectif principal
était l'amélioration des conditions de vie des populations, il
est alors question de savoir quel serait l'impact d'une telle mesure
sur la pauvreté? permettrait-telle effectivement une amélioration
du bien-être des populations? si oui dans quelles mesures?
Pour parvenir à répondre à ces
préoccupations, une méthode consiste à effectuer des
simulations de politiques et à déterminer l'impact sur
l'économie. Pour ceci, il est nécessaire de disposer d'une
Matrice de Comptabilité Sociale (MCS). Il s'agit d'une
représentation matricielle des flux de richesse dans une
économie. Elle constitue un important instrument d'analyse de
l'économie, elle permet également d'évaluer l'impact des
chocs sur l'économie. Son importance vient du fait que non seulement
elle fournit un cadre consistant pour la comptabilité
socio-économique, mais de plus, elle constitue une base de
données pour une large variété de modèles
économiques dont les plus répandus sont la "Social Accounting
Matrix Multiplier" ou "l'analyse à partir des multiplicateurs de la
MCS", les Modèles d'Équilibre Général Calculable
(MEGC).
Au Cameroun les travaux sur la matrice de comptabilité
sociale ont été abordés par plusieurs auteurs. Les
matrices les plus récentes sont celles construites en 2000 sur la base
des données de 1996 par le Dr EMINI4, et celle
proposée par Cogneau et Roubeau de l'institut de recherche DIAL en
1993.
La matrice proposée par Cogneau et Roubeau se compose de
six types de comptes :
- les comptes de branches : Les branches
d'activité de l'économie sont réparties dans
quatre catégories : l'agriculture, le pétrole, le
commerce formel et informel, et les autres
branches formelle et informelle.
- les comptes de produits : Les produits sont
regroupés dans trois catégories : les produits agricoles, le
pétrole, et les autres produits formel et informel;
3Décret N° 2001/100 du 20 Avril 2001
portant création, organisation et fonctionnement de l'Institut National
de la Statistique
4cette matrice est basée sur celle de Njinkeu
et Bamou en 1993
- les comptes de facteurs : Les facteurs sont
considérés d'après la nomenclature suivante : le travail
indépendant et le capital agricole, le travail indépendant et le
capital informel, le travail informel, le travail formel, le capital informel,
le capital formel, le facteur spécifique pétrole;
- les comptes de secteurs institutionnels :
Ils considèrent deux secteurs : les ménages (les
ménages agricoles, les ménages exerçant dans l'informel et
les ménages exerçant dans le formel), et l'État.
- le compte de capital
- le compte du reste du monde.
En 2000, Emini propose une matrice de comptabilité
financière pour le Cameroun. Celle-
ci est construite dans le but de paramétrer le "
Integrated Macroeconomic Model for Poverty
Analysis " dans le cas du Cameroun. Elle comporte
elle aussi six types de comptes : - les comptes de facteurs :
les facteurs considérés sont le travail et le capital; -
les comptes des secteurs institutionnels : six secteurs sont
représentés. Les ménages,
les sociétés non financières, les
administrations, les banques commerciales, la banque
centrale, et le reste du monde.
- les comptes de branches : les branches sont
regroupées dans trois catégories. L'agriculture, les industries
et les administrations.
- les comptes de produits : les produits sont
regroupés dans deux catégories. Les produits de l'agriculture et
les produits de l'industrie.
- les comptes de capital pour les secteurs
institutionnels;
- les comptes financiers : les actifs
financiers considérés ici sont, la monnaie fiduciaire, les
dépôts bancaires, les crédits domestiques, les
crédits étrangers, le refinancement, les avances de
trésorerie, les ressources étrangères, et les actifs
étrangers.
Ces deux matrices ont ceci en commun qu'elles
présentent des niveaux d'agrégation importants. Ainsi :
- la présentation des comptes des administrations ne
permet pas une analyse exclusive de la fiscalité. Pour cela il serait
nécessaire d'isoler les éléments liés à la
fiscalité dans le compte des administrations des autres postes de ce
compte.
- La structure des comptes de produits et de branches ne
permet pas une analyse par branche ou par produit. En effet, afin de pouvoir
observer l'impact d'une modification
de la fiscalité sur certains produits, il faudrait pouvoir
isoler ces produits des autres.
- la structure des comptes de ménages ne permet pas une
analyse en fonction du niveau de vie. Pour étudier les modifications des
conditions de vie des ménages, on a besoin distinguer les ménages
selon leur niveau de vie (pauvre, intermédiaire ou non pauvre).
De plus ces matrices ayant été construites il y a
assez longtemps, il n'est pratiquement pas pos-
sible de les utiliser à nouveau.
Compte tenu de tout ce qui précède, la
construction d'une nouvelle matrice de comptabilité sociale pour la
Cameroun constitue un préalable indispensable pour la conduite de
travail. Cette matrice devra présenter un niveau de
désagrégation suffisant pour permettre l'analyse de l'impact
d'une mesure fiscale appliquée sur des produits particuliers, sur le
bien être des ménages.
Fort de tous ceci, l'objectif de ce travail sera de proposer
une méthodologie pour l'évaluation à court terme de
l'impact d'une mesure de politique fiscale sur la pauvreté, sur la base
d'une Matrice de Comptabilité Sociale. De façon
spécifique, il s'agira de :
- Construire la matrice de comptabilité sociale du
Cameroun;
- Construire la matrice des multiplicateurs de la matrice de
comptabilité sociale; - Simuler une mesure fiscale et évaluer son
impact sur la pauvreté.
L'hypothèse sous-jacente à ce travail est que
toute mesure de politique fiscale est susceptible d'influencer le
bien-être des ménages, et cette influence peut être
évaluée à partir d'une matrice de comptabilité
sociale.
Pour atteindre les objectifs suscités, nous
procèderons en deux étapes.
La première sera consacrée à la
construction de la Matrice de Comptabilité Sociale. Pour ce faire, on
commencera par construire une matrice macroéconomique (MCS Macro) qui
sera ensuite désagrégée afin d'obtenir une matrice
microéconomique (MCS Micro).
Dans la seconde étape, nous utilisons cette
dernière matrice pour construire une matrice de multiplicateurs à
partir de laquelle nous pourrons effectuer des simulations de politique fiscale
et évaluer les impacts sur la pauvreté.
Plan de travail
Le travail sera structuré en trois chapitres :
- le premier sera consacré à la
présentation des aspects théoriques concernant la matrice
de comptabilité sociale et son utilisation pour l'analyse
de la pauvreté;
- le second abordera la construction de la matrice de
comptabilité sociale;
- Enfin, dans le troisième, il sera question de simulation
et d'analyse d'impact sur la pauvreté.
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