2.2. Le cadre juridique agricole et forestier national
61 :
Sur le terrain, les diverses « appartenances »
locales peuvent se juxtaposer mais aussi se succéder, s'imbriquer ou se
superposer. La mise en place d'une politique de conservation de la
biodiversité, n'est donc pas une simple question d'articulation entre
scientifiques et acteurs locaux. C'est surtout la confrontation d'organisations
territoriales, de représentations de la nature et de la
société radicalement différentes. Les
particularités statistiques (équilibre entre les
éléments) et qualitatives (présence
d'éléments rares, d'endémisme...) qui ont pour les
scientifiques la garantie d'une bonne biodiversité, ne sont pas
forcément valorisées par les cultures locales. L'anthropologie
juridique nous apprend que les conceptions territoriales des communautés
rurales, dissociant par exemple la propriété de la terre et
l'accès à ses ressources, ne sont guère compatibles avec
les délimitations géométriques de
l'espace62.
Avec les savoirs-faire naturalistes locaux, la question des
droits de propriété intellectuelle (qui correspondent aux droits
des paysans à sélectionner et utiliser les semences) et
territoriaux sont propulsés sur le devant de la scène car ils
correspondent à des ressources biologiques à conserver.
2.2.1. Historique :
En 1975 le nouveau régime politique reconnaît que
le problème principal dans le domaine agricole n'est pas une
répartition inégalitaire du foncier mais une diffusion
insuffisante des techniques modernes retardant l'émergence d'une
agriculture moderne intensive.
Le programme de collectivisation appliqué entre 1975 et
1979 visait justement à intensifier l'usage du sol et augmenter la
production rizicole en mettant en commun les moyens de productions et en
réformant l'organisation du travail. Il fut dans une large mesure un
échec.
Dans les années quatre-vingt, une réorientation
stratégique se fait, répondant aux pressions des bailleurs de
fonds (Banque Mondiale et Fonds Monétaire International) dont ils
deviennent dépendant après la disparition des aides provenant du
bloc soviétique.
58 GoL 2003 : 55.
59 UNDP 2001 : 74.
60 L. Chazée, 1998 : 186- 189.
61 Source tirée d'O. Evrard, 2004.
62 E. Le Roy, 1999; O. Evrard, 2004.
Les bailleurs conditionnent le versement de leurs aides en partie
à la réalisation d'un droit foncier63.
Dans le domaine forestier il s'agit d'établir un
recensement et un contrôle strict des surfaces boisées afin de
gérer les revenus qu'elles procurent ou pourraient procurer à
l'Etat. Il s'agit donc dans le domaine agricole de stopper la
déforestation par le développent de l'économie de
plantation et d'une agriculture sédentaire, commerciale, jugée
plus productive que l'agriculture sur brûlis cyclique. L'objectif est
ainsi d'éradiquer l'agriculture d'abattis brûlis en limitant les
surfaces disponibles à ses effets et en sécurisant les droits des
agriculteurs pour leur permettre d'investir durablement sur leurs terres. Ces
deux éléments doivent permettre d'augmenter les recettes fiscales
de l'Etat par l'intermédiaire de la collecte de taxes foncières
sur toutes les parcelles cultivées.
En 1986, le 4e Congrès du Parti Communiste
marque une libéralisation de l'économie. Les dirigeants
socialistes acceptent d'introduire la propriété privé et
la libre entreprise au Laos. Les réfugiés sont autorisés
à revenir dans le pays et l'Etat leur reconnaît le droit de
récupérer leurs terres lorsque celles ci ont été
mises en valeur pendant leur absence par des membres de leurs familles.
Les rizières nationalisées après 1975,
redeviennent propriétés des villages.
Le gouvernement, aidé par des spécialistes des
bailleurs de fonds, élaborent une législation forestière
nationale déjà débutée dans les années
soixante-dix avec cinq grandes catégories de zones forestières
(Forêts de production, de conservation, de protection, de
régénération et dégradées)64 et
mettent en place un programme d'allocation foncière visant à
sédentariser et à intensifier les systèmes agraires, let
motif de cette période.
L'allocation des terres constitue l'une des six grandes causes
nationales relatives au développement rural et à la gestion des
ressources naturelles. Les autres causes nationales pour le
développement rural sont la création de zones nationales de
conservation de la biodiversité, la sédentarisation de
l'agriculture, l'éradication de la culture de l'opium, des programmes
forestiers communautaires et les déplacements et regroupements de
populations dans les zones focales.
L'allocation foncière se donna pour but de faire
disparaître complètement l'agriculture sur brûlis d'ici
2010, d'intensifier et de diversifier l'agriculture de montagne, de
protéger les forêts des bassins versants, de protéger la
biodiversité, de classifier les sols forestiers et agricoles nationaux,
de clarifier et sécuriser les droits pour chaque parcelle, d'encourager
les investissements permettant l'intensification agricole, d'améliorer
les conditions de vie des montagnards par l'adoption de modes de vie
sédentaires.
La théorie sous-jacente de la réforme
foncière est que l'individualisation des droits permet leur
sécurisation par l'investissement sur des terres en cultures
sédentaires qui facilitent les crédits en garantissant
fiscalement les terres. Cet investissement faciliterait le développement
du secteur agricole et contribuerait à la réduction de la
pauvreté. Les marchés fonciers faciliteraient une
répartition optimum des terres, c'est à dire une affectation
approprié des terres
63 Voir la liste exhaustive des réformes structurelles
à entreprendre dans un article de Yves Bourdet : « Le processus de
transition laotien et ses résultats, 1980-1994 », Les cahiers de la
Péninsule, n°3, 1995 : 78-79.
64 La Loi sur la forêt n°96/NA11, datant de 1996.
à ceux qui ont les moyens de mettre chaque
différentes terres en valeur. Cette logique repose sur des
présupposés critiquables :
- Les systèmes fonciers coutumiers seraient totalement
étrangers au système de la propriété
privé.
- Les systèmes fonciers traditionnels seraient
nécessairement peu sécurisant.
- Ils seraient trop rigides et empêcheraient l'affectation
optimum des ressources. Le marché posséderait par contre cette
vertu.
- L'accès au crédit permettrait l'enrichissement
d'une majorité de personne.
Des expériences antérieures, comme en
Thaïlande, ont pourtant montré que la privatisation des terres
à entraîné une insécurité foncière
pour les petits agriculteurs, favorisé la spéculation
foncière et accéléré l'exode rural65.
Pour parvenir aux objectifs fixés, les programmes de
l'allocation des terres incluent un zonage des finages basé
prioritairement sur le degré de pente des terres
considérées, une planification de l'affectation des espaces
à tel ou tel type de production, l'introduction de cultures commerciales
et de vergers, l'amélioration des réseaux de transports et des
connections avec les marchés locaux, la généralisation des
systèmes de micro-finance et la délivrance de titres fonciers.
En 1996, un décret du premier ministre sur l'allocation
des terres66 insiste sur la nécessité de transformer
les terres cultivées de façon itinérante en terres
agricoles permanentes ainsi que sur les besoins de former des personnels en
charge d'appliquer ces procédures. Le programme National de
l'éradication de la Pauvreté (NPEP) identifie 47 districts
absolument prioritaires parmi les 72 districts prioritaires localisés
essentiellement dans les provinces du Nord sur les 142 que compte le pays. Les
services du ministère de l'Agriculture et des Forêts (FIPD, RSEC)
ainsi que des organismes techniques plus ou moins autonomes (NAFRI, NAFES) et
aidés par différents programmes étrangers
(Coopération bilatérale suédoise, IRD, CIRAD, FAO...) sont
donc chargés de travailler chaque année dans six districts afin
de récolter les données, former les personnels locaux, effectuer
les études de suivi, initier une dynamique d'allocation
foncière.
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