3.11. L'école :
L'école de Bouamphanh est une école primaire
composée des classes officielles. Les collèges se trouvent
à Lat sang et à Muang Khoua. Seuls quelques élèves
iront s'y inscrire.
130 élèves sont inscrits à l'école
dont 30 originaires des villages voisins et dormant dans un dortoir. Ces
<< internes » vivent avec l'instituteur Jay Pèt qui a sa
chambre particulière près du dortoir et qui est responsable de
leur vie périscolaire. Toutes les semaines, un nouveau groupe de 5
<< internes » est responsable de collecter et de cuisiner pour
eux-mêmes et leur instituteur avec qui ils partagent leurs repas des
midis et des soirées. Les repas du matin sont souvent déjà
consommer par les enfants avant que Jay Pèt ne se réveille.
Chaque groupe d'enfant est chargé de la vaisselle, de
la cuisine, de la collecte lorsque l'instituteur leur demande et de l'arrosage
du potager commun.
Ce dernier n'est pas très grand (15 m2) pour
fournir des légumes toute l'année à ces groupes
<<d'internes ». Le chef du village n'a pas accepté de laisser
agrandir le potager car selon lui << sa surface est suffisante pour des
instituteurs qui ne restent que deux ». L'instituteur ne doit pas avoir de
temps pour cultiver, il n'est pas agriculteur.
L'instituteur Jay Pèt tient la 3e et
4e classe de primaire au village. Il déclare gagner 120.000
kips par mois pour son travail. Son niveau n'est pas le plus
élevé dans l'ancienneté scolaire, ainsi les autres
instituteurs plus expérimentés, mariés avec des enfants,
habitants à part entière du village, gagnent 300.000 kips par
mois.
Comme lui, les plus jeunes instituteurs sont mutés tous
les deux ans dans une nouvelle école. Très souvent d'origine
khamou locale, plus rarement d'origines akha ou phounoi et rarement d'origine
Lao, les instituteurs du district doivent s'intégrer à un nouveau
village, une ethnie différente de la leur, des conditions de vie souvent
plus pauvres que dans leurs familles.
Ils doivent ainsi s'installer dans leurs nouvelles chambres ou
chez de nouveaux villageois (souvent le chef des villages). Durant deux ans, la
vie de ces jeunes instituteurs n'est pas facile. Etant donné leurs
salaires et le temps mis à les recevoir, ils n'arrivent pas à
garder assez d'argent chaque mois et vont tenter de se procurer de la
nourriture. Ils demandent aux élèves d'aller collecter en
forêt ou vont seuls, chercher des pousses de bambous, des légumes
feuilles, des petits gibiers pris à leurs pièges, des poissons.
Ces temps de collecte sont très fatiguant pour des instituteurs qui
travaillent réellement 7 heures par jour. Ils vendent aussi quelques
photos de leurs appareils, échangent des services contre des aides
alimentaires ou se font offrir par les villageois quelques kilogrammes de riz
pour plusieurs semaines, des morceaux de gibiers quelques fois imposants, des
produits de la collecte. Ces dons des villageois et leurs accueils chaleureux
au sein de leurs familles marquent pour longtemps ces jeunes instituteurs. Au
bout de deux ans, leur village de mutation est devenu leur village, leur
famille.
Après la fin des cours, les responsables de
l'éducation au district et au canton129 viennent faire les
bilans avec les instituteurs. Les mauvais résultats des enfants akha et
pala du village sont, selon tout le monde, le fruit d'une presque
impossibilité de pouvoir articuler et concevoir la langue lao, qui est
le principal enseignement des instituteurs. Les enfants seraient, par leurs
origines ethniques, incapables de pouvoir écrire et parler
convenablement lao.
Le dilettantisme des instituteurs n'est pas remarqué.
Leurs absences répétées pour voir des
129 muat : canton scolaire, différent du canton
administratif.
parents hors du village, pour aller travailler autre part
qu'à l'école, ne sont pas prises en compte.
Selon des études D'Yves Goudineau130 sur les
effets des déplacements de population, l'école serait contre
toute attente un facteur de l'intégration laotienne des nouveaux
arrivants, enfants comme adultes. Par l'école et la maîtrise de la
langue lao (tout comme une proximité plus grande aux marchés et
aux voies de communication), les familles auraient de plus grandes chances de
s'intégrer et par la même de voir leurs conditions de vies
s'améliorer.
Une fois leurs contrats terminés le 10 juin, leurs
isolements dans les villages lointains achevés, ils souhaitent partir en
ville, au moins quelques pour travailler dans les constructions de
bâtiments pendant leurs congés ou aller rejoindre une petite amie
ou une femme inaccessible pendant les plusieurs mois
précédents.
Leurs souhaits pour l'année suivante sont de rester
instruire en ville, près d'une piste ou d'une route. Les montagnards
sont pour eux de très bons amis mais ils ne peuvent se résoudre
à vivre comme eux. Cependant ils savent bien que leurs chefs ne les
muteront pas en ville d'ici une dizaine d'année.
Les élèves ont dit préférer vivre
à Bouamphanh plutôt que dans leurs villages, car il y aurait une
école primaire avec toutes ses classes officielles et un marché.
Toutefois, ce discours ressemble à celui d'un adulte, peut-être
celui de leurs parents.
Un élève avoue préférer Bouamphanh
pour son animation, sa télévision le soir, ses karaokés en
VCD les matins et soirs, les allées et venues d'étrangers au
village.
Très peu d'élèves préfèrent
leur village à Bouamphanh même si certains disent avoir plus de
copains au village de leurs parents. La famille n'est pas mentionnée
dans les raisons de préférer son village ou Bouamphanh.
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