2.4. Le cadre juridico-politique du village :
2.4.1. Cadre juridique :
A Bouamphanh après un programme d'allocation des terres
exécuté en 2000, la surface officielle admise pour les cultures
est de pratiquement 500 ha, soit 20 % des 2850 ha que compte la surface totale
du finage villageois. L'assolement est dispersé93.
Le finage n'est pas le même qu'à la
création du village en 1969. Il s'est vu agrandit grappillant les
territoires voisins où les populations ont du déménager
pour <<développer Bouamphanh ». Les autorités locales
des bureaux de l'Agriculture et des forêts donnent
régulièrement des rendez-vous aux villageois pour faire le point
sur les décisions gouvernementales récentes et sur
l'évolution de la situation locale. Une fois par mois, les responsables
du district viennent à Bouamphanh, <<car ce village est une cible
importante »94.
En cas de besoin de terres, les paysans doivent s'adresser
à leur chef de village et aux responsables villageois qui en
référeront à leurs supérieurs. La réponse
n'est donc pas immédiate, les décisions pour augmenter les
surfaces cultivables, contraire à l'évolution
générale et aux volontés politiques, ne sont pas prises
à la légère.
Des villageois ont été choisis par les
responsables locaux en contre partie d'un maigre salaire, pour s'occuper de
l'agriculture, de l'élevage et des forêts du village. Ils sont au
nombre de six hommes appartenant au groupe ethnique Khamou. Ils font surtout
très attention à ce que les villageois ne défrichent pas
près des ruisseaux, des sources et des points d'eaux afin de ne pas
assécher le village. Que des familles ne respectent pas les consignes
légales soit une chose mais qu'elles rendent difficile la vie de leurs
voisins sans eau, n'est pas toléré.
L'autre aspect très suivi par ces
délégués agricoles et forestiers est la surveillance des
coupes illégales. Il existe dans cette région du Sud de
Phongsaly, beaucoup de sortes d'arbres très recherchés par le
marché chinois et thaï. La plupart sont des bois doux comme les
kapokiers
93 Chaque famille exploite des parcelles plus ou moins
réparties dans la friche. L'assolement réglé serait
l'exploitation en commun d'un pan forestier unique.
94 Le chef lieu du canton numéro 7 du district de Khoua
selon le chef du bureau provincial gérant l'agriculture et les
forêts.
sauvages Bombax malaboricum, cratoxylon, Wrightia tomentosa,
Alstonia Scholaris, ainsi que d'autres espèces.
Sur ce finage, il semble qu'aucune dérogation ou
arrangement ne soit permise. C'est pour cette raison que certains habitants
partent jusqu'à la province de Sayabouri pour défricher dans les
parcs nationaux avec l'accord des autorités mais à l'encontre des
lois.
Les délégués ont été
formés par les responsables de la province qui leurs ont appris ce que
sont des terres fertiles. Selon eux, il faudrait qu'elles aient une couleur
mauve associée à la couleur noire, mélange de sable et
d'argile avec une profondeur de 25 à 30 cm. Sur les plateaux de la
province de Phongsaly, la fertilité serait «moyenne » avec une
couleur brune du sol et une profondeur de 30 à 50 cm.
Sur 2850 ha, le village de Bouamphanh possède les 5
catégories de terrains officiels.
Carte peinte sur des planches en bois à l'entrée du
village.
Elle représente le zonage du finage. Elle fut
dressée en 2000 par les autorités.
-La « forêt de production »95 : Zones
forestières utilisées pour les besoins de collecte, pêche
et chasse dans des quantités imposées.
-La « forêt dégradée »96
: Zones forestières destinées à la plantation ou à
l'allocation foncière pour des besoins économiques en accord avec
les planifications par les autorités.
-La « forêt de régénération
»97 : Friches de moins de 5 ans protégées pour
permettre aux arbres d'atteindre leur maturité et à
l'écosystème d'atteindre un certain équilibre naturel.
-« forêt de conservation »98 : Zones
forestières protégeant les espèces animales et
végétales après 5 années de friches.
-La «forêt de protection »99 : Zones
forestière protégeant les bassins versants contre
l'érosion ainsi que des zones de « sécurité nationale
».
Les villageois ont des droits et des devoirs dans chaque partie
autorisée à être utilisée. Le principal devoir
est de ne pas défricher, brûler et cultiver dans les parcelles
protégées par les
95 Pa Tang kam palit en langue lao.
96 Pa sasoy en langue lao.
97 Pa hongham en langue lao.
98 Pa sangouane en langue lao.
99 Pa pong kan leng nam en langue lao.
autorités de la province. En contre partie ils ont le
droit de cultiver librement sur le territoire réservé aux
cultures.
Le second devoir est de réduire les surfaces agricoles
qui ne font pas partie des terres officiellement cultivables. Le chef du
village pense qu'il «peut le faire ». Son positivisme ne semble
cependant pas prendre en compte le décalage énorme qui
s'opère entre les droits fonciers du village et les pratiques
réelles mises en place.
Alors que 500 ha, soit 20 % des 2850 ha du finage étaient
officiellement autorisées à être exploitées
après l'allocation des terres, 1400 ha soit 50 % du finage le sont
réellement.
Les 92 familles exploitent chacune 12 ha en rotation sur 4
années et environ 10 % du finage, soit 300 ha sont mis en réserve
en cas de nécessité100.
Selon certaines sources, les surfaces exploitées en
agriculture d'abattis-brûlis sont moins contrôlées chaque
année.
Les autorités locales sont tolérantes. Selon les
entretiens, les surfaces autorisées à être cultivées
en abattis-brûlis seraient aujourd'hui de 1 ha par famille par an.
De plus, de l'avis des villageois et des autorités, si
une famille défriche, brûle et cultive dans une zone
protégée, les autorités locales ne lui demandent pas de
payer immédiatement l'amende officielle. La famille est en sursit. Elle
cultivera pendant une année cette parcelle défrichée
illégalement mais il ne faudra pas qu'elle recommence une autre fois,
sinon l'amende tombera.
Les autorités locales ne se pressent pas pour appliquer
les instructions gouvernementales. Si des paysans possédaient des champs
sur des terres qui n'étaient pas encore protégées et
qu'ils doivent désormais les abandonner pour en cultiver d'autres
peut-être moins fertiles ou qu'ils ne peuvent pas changer d'emplacements
rapidement pour différentes raisons, les autorités demandent de
réduire peu à peu les surfaces mais pas de tout bouleverser du
jour au lendemain.
Si les autorités acceptent de réduire
progressivement les surfaces cultivées, c'est à dire de
réduire le nombre d'emplacements qui tournent dans un cycle de rotation
annuel réduit à 4 ans depuis 10 ans, et donc de réduire
les temps de friche des emplacements qui restent, c'est avant tout pour laisser
progressivement s'adapter les paysans pratiquant des cultures
itinérantes à un mode de production sédentaire, sans
rotation des parcelles. Les responsables agricoles et forestiers acceptent
d'ailleurs parfois que certaines familles élargissent leurs surfaces
cultivables pour qu'elles puissent retrouver une meilleure situation
économique. Il s'agit d'une sorte de contrat entre les 5 groupes de
travail paysans et les autorités : Nous acceptons de vous laisser le
temps, nous serons tolérants à propos des surfaces
défrichées illégalement, à propos du nombre
d'année de jachère et à propos des réductions des
surfaces cultivables, mais vous devrez d'ici 2010 ne plus avoir d'essart en
rotation, ne plus défricher de nouvelles parcelles, devenir des paysans
respectueux des lois nationales et des défis nationaux, comme la lutte
contre la déforestation.
Monsieur Leng, chef du village, décrit les responsables
du district et de la Province comme les
100 92 multiplié par 12 égal 1104 ha plus 300
égal 1404 ha autorisés à l'exploitation agricole en
rotation sur 4 an. La surface cultivée par an est donc de 350 ha (1400
ha autorisés aux cultures / 4 ans de rotation des parcelles = 350 ha
cultivés / an).
principaux décideurs du calendrier agricole, de la
répartition des terres entre les villageois et entre les terres
protégées et celles mises en cultures. < Les responsables
agricoles viennent à notre aide ». Comme son voisin Monsieur Paeng,
il a intégré les principes des autorités laotiennes et ne
semble pas vouloir les critiquer.
A Bouamphanh, <les habitants ne partagent pas les terrains
disponibles entre tout le monde ». Certains villageois ont
hérité des parcelles et d'autres se les sont attribuées
durant l'allocation foncière. Ils ont tous les meilleures terres,
principalement des rizières irriguées. Les autres villageois
n'ayant pas eu d'ancêtres à Bouamphanh ni assez d'argent pour
acheter les parcelles doivent cultiver des essarts qui sont libres d'être
cultivé après l'avis du conseil des anciens101. Le
conseil des ancien distribue les parcelles non attribuées pour un temps
définit entre une et cinq années. Ce laps de temps relativement
court permet de faire circuler à tous les villageois les meilleures
terres.
Généralement le conseil des anciens distribue
les parcelles en fonction de la force de travail familiale ( l'accès
à un motoculteur ou un buffle pour le labour des rizières
irriguées, le nombre d'actifs par famille, l'accès aux outils
indispensables...), les rendements connus des parcelles adaptés aux
familles, la position sociale des chefs de famille (leur ancienneté au
village, leur statut professionnel, leurs liens avec les autorités...)
et en fonction des accords entre particuliers.
Une fois la distribution effectuée, les villageois sont
libres de s'entendre pour échanger les parcelles. Chaque année
quelques villageois ne respectent pas les décisions et défrichent
des parcelles qui leurs conviennent, parfois dans la zone autorisée mais
contre l'avis du conseil et parfois en dehors de la zone autorisée.
Le choix des essarts à la fin de la saison des pluies
revient donc aux chefs de familles. Ce choix se fait en connaissance des
terrains fertiles. Chaque chef de famille a une propriété ou un
droit d'usure sur environ 3 ha par an occupés par différents
cultivars. Les parcelles des familles sont des essarts de riz pluvial (hay
en lao) qui s'étendent généralement sur 0,5 hectare
par famille, une rizière irriguée (na en lao) d'un
hectare maximum, un essart-jardin (souan en lao) de 0,5
hectare102 et parfois une plantation ou un verger sédentaire
de moins d'un hectare. Certain chef de famille utilisent un même type
d'essart dans deux lieux du finage et ne possèdent pas certains autres
types de parcelles.
Si la famille possède un essart-jerdin, elle devra
exploiter ce même emplacement tous les ans durant 3 ans et devra faire
une demande aux autorités pour renouveler la culture de maïs dans
un autre lieu du finage.
Avec un temps de friche de 4 ans pour les essarts de riz
pluvial, les paysans doivent avoir 4 essarts en rotation. Chaque année
ils défrichent une parcelle en friche. Ils n'ont aucun devoir de
paiement, car les essarts de riz (hay) ou de maïs (souan) associés
aux légumes, piments, tabac ou coton, sont gratuits et libres
d'accès. La plupart des villageois ont hérité des
emplacements depuis de longues années, mais les nouveaux arrivants
doivent d'abord attendre que le conseil des anciens tolère leur
installation sur le territoire. Certaines très bonnes terres en friches
sont redistribuées régulièrement. Les
bénéficiaires prioritaires seraient <les familles qui font de
la
101 Qui comprend le chef du village, le chaman, les chefs de
familles, la responsable de L'union des femmes lao ;
102 Ces données obtenues grâces aux entretiens avec
différents villageois concordent avec celles d'O. Ducourtieux qui nota
en moyenne 2,2 ha d'essarts par famille dans d'autres village du nord de la
province. O. Ducourtieux 2006.
culture commerciale ».
Officiellement, «tout le monde a de bonnes terres »
dans la région. Cependant les voisins akha de Hongleuc demandent parfois
d'emprunter pour une année des emplacements sur le territoire de
Bouamphanh. Ce don est, semble t-il, gratuit et personne ne s'offusque de
devoir prêter les parcelles du village. La solidarité entre
voisins d'ethnies différentes semble officiellement fonctionner.
Tout le monde suivrait les décisions communes car
l'économie des familles s'en trouverait bénéficiaire.
Le chef du village ne fait aucune critique en défaveur des
autorités. Selon ses déclarations, tout se passerait bien
grâce aux décisions gouvernementales et communales.
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