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Savoirs et savoir- faire locaux face aux politiques agraires: diagnostic d'un système agraire dans un village Khamou ou du Nord Laos

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par Pierre- Yves Heurtier
Université Aix-Marseille 1 - Master 2 anthropologie sociale et culturelle 2006
  

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2.4. Le cadre juridico-politique du village :

2.4.1. Cadre juridique :

A Bouamphanh après un programme d'allocation des terres exécuté en 2000, la surface officielle admise pour les cultures est de pratiquement 500 ha, soit 20 % des 2850 ha que compte la surface totale du finage villageois. L'assolement est dispersé93.

Le finage n'est pas le même qu'à la création du village en 1969. Il s'est vu agrandit grappillant les territoires voisins où les populations ont du déménager pour <<développer Bouamphanh ». Les autorités locales des bureaux de l'Agriculture et des forêts donnent régulièrement des rendez-vous aux villageois pour faire le point sur les décisions gouvernementales récentes et sur l'évolution de la situation locale. Une fois par mois, les responsables du district viennent à Bouamphanh, <<car ce village est une cible importante »94.

En cas de besoin de terres, les paysans doivent s'adresser à leur chef de village et aux responsables villageois qui en référeront à leurs supérieurs. La réponse n'est donc pas immédiate, les décisions pour augmenter les surfaces cultivables, contraire à l'évolution générale et aux volontés politiques, ne sont pas prises à la légère.

Des villageois ont été choisis par les responsables locaux en contre partie d'un maigre salaire, pour s'occuper de l'agriculture, de l'élevage et des forêts du village. Ils sont au nombre de six hommes appartenant au groupe ethnique Khamou. Ils font surtout très attention à ce que les villageois ne défrichent pas près des ruisseaux, des sources et des points d'eaux afin de ne pas assécher le village. Que des familles ne respectent pas les consignes légales soit une chose mais qu'elles rendent difficile la vie de leurs voisins sans eau, n'est pas toléré.

L'autre aspect très suivi par ces délégués agricoles et forestiers est la surveillance des coupes
illégales. Il existe dans cette région du Sud de Phongsaly, beaucoup de sortes d'arbres très
recherchés par le marché chinois et thaï. La plupart sont des bois doux comme les kapokiers

93 Chaque famille exploite des parcelles plus ou moins réparties dans la friche. L'assolement réglé serait l'exploitation en commun d'un pan forestier unique.

94 Le chef lieu du canton numéro 7 du district de Khoua selon le chef du bureau provincial gérant l'agriculture et les forêts.

sauvages Bombax malaboricum, cratoxylon, Wrightia tomentosa, Alstonia Scholaris, ainsi que d'autres espèces.

Sur ce finage, il semble qu'aucune dérogation ou arrangement ne soit permise. C'est pour cette raison que certains habitants partent jusqu'à la province de Sayabouri pour défricher dans les parcs nationaux avec l'accord des autorités mais à l'encontre des lois.

Les délégués ont été formés par les responsables de la province qui leurs ont appris ce que sont des terres fertiles. Selon eux, il faudrait qu'elles aient une couleur mauve associée à la couleur noire, mélange de sable et d'argile avec une profondeur de 25 à 30 cm. Sur les plateaux de la province de Phongsaly, la fertilité serait «moyenne » avec une couleur brune du sol et une profondeur de 30 à 50 cm.

Sur 2850 ha, le village de Bouamphanh possède les 5 catégories de terrains officiels.

Carte peinte sur des planches en bois à l'entrée du village.

Elle représente le zonage du finage. Elle fut dressée en 2000 par les autorités.

-La « forêt de production »95 : Zones forestières utilisées pour les besoins de collecte, pêche et chasse dans des quantités imposées.

-La « forêt dégradée »96 : Zones forestières destinées à la plantation ou à l'allocation foncière pour des besoins économiques en accord avec les planifications par les autorités.

-La « forêt de régénération »97 : Friches de moins de 5 ans protégées pour permettre aux arbres d'atteindre leur maturité et à l'écosystème d'atteindre un certain équilibre naturel.

-« forêt de conservation »98 : Zones forestières protégeant les espèces animales et végétales après 5 années de friches.

-La «forêt de protection »99 : Zones forestière protégeant les bassins versants contre l'érosion ainsi que des zones de « sécurité nationale ».

Les villageois ont des droits et des devoirs dans chaque partie autorisée à être utilisée. Le
principal devoir est de ne pas défricher, brûler et cultiver dans les parcelles protégées par les

95 Pa Tang kam palit en langue lao.

96 Pa sasoy en langue lao.

97 Pa hongham en langue lao.

98 Pa sangouane en langue lao.

99 Pa pong kan leng nam en langue lao.

autorités de la province. En contre partie ils ont le droit de cultiver librement sur le territoire réservé aux cultures.

Le second devoir est de réduire les surfaces agricoles qui ne font pas partie des terres officiellement cultivables. Le chef du village pense qu'il «peut le faire ». Son positivisme ne semble cependant pas prendre en compte le décalage énorme qui s'opère entre les droits fonciers du village et les pratiques réelles mises en place.

Alors que 500 ha, soit 20 % des 2850 ha du finage étaient officiellement autorisées à être exploitées après l'allocation des terres, 1400 ha soit 50 % du finage le sont réellement.

Les 92 familles exploitent chacune 12 ha en rotation sur 4 années et environ 10 % du finage, soit 300 ha sont mis en réserve en cas de nécessité100.

Selon certaines sources, les surfaces exploitées en agriculture d'abattis-brûlis sont moins contrôlées chaque année.

Les autorités locales sont tolérantes. Selon les entretiens, les surfaces autorisées à être cultivées en abattis-brûlis seraient aujourd'hui de 1 ha par famille par an.

De plus, de l'avis des villageois et des autorités, si une famille défriche, brûle et cultive dans une zone protégée, les autorités locales ne lui demandent pas de payer immédiatement l'amende officielle. La famille est en sursit. Elle cultivera pendant une année cette parcelle défrichée illégalement mais il ne faudra pas qu'elle recommence une autre fois, sinon l'amende tombera.

Les autorités locales ne se pressent pas pour appliquer les instructions gouvernementales. Si des paysans possédaient des champs sur des terres qui n'étaient pas encore protégées et qu'ils doivent désormais les abandonner pour en cultiver d'autres peut-être moins fertiles ou qu'ils ne peuvent pas changer d'emplacements rapidement pour différentes raisons, les autorités demandent de réduire peu à peu les surfaces mais pas de tout bouleverser du jour au lendemain.

Si les autorités acceptent de réduire progressivement les surfaces cultivées, c'est à dire de réduire le nombre d'emplacements qui tournent dans un cycle de rotation annuel réduit à 4 ans depuis 10 ans, et donc de réduire les temps de friche des emplacements qui restent, c'est avant tout pour laisser progressivement s'adapter les paysans pratiquant des cultures itinérantes à un mode de production sédentaire, sans rotation des parcelles. Les responsables agricoles et forestiers acceptent d'ailleurs parfois que certaines familles élargissent leurs surfaces cultivables pour qu'elles puissent retrouver une meilleure situation économique. Il s'agit d'une sorte de contrat entre les 5 groupes de travail paysans et les autorités : Nous acceptons de vous laisser le temps, nous serons tolérants à propos des surfaces défrichées illégalement, à propos du nombre d'année de jachère et à propos des réductions des surfaces cultivables, mais vous devrez d'ici 2010 ne plus avoir d'essart en rotation, ne plus défricher de nouvelles parcelles, devenir des paysans respectueux des lois nationales et des défis nationaux, comme la lutte contre la déforestation.

Monsieur Leng, chef du village, décrit les responsables du district et de la Province comme les

100 92 multiplié par 12 égal 1104 ha plus 300 égal 1404 ha autorisés à l'exploitation agricole en rotation sur 4 an. La surface cultivée par an est donc de 350 ha (1400 ha autorisés aux cultures / 4 ans de rotation des parcelles = 350 ha cultivés / an).

principaux décideurs du calendrier agricole, de la répartition des terres entre les villageois et entre les terres protégées et celles mises en cultures. < Les responsables agricoles viennent à notre aide ». Comme son voisin Monsieur Paeng, il a intégré les principes des autorités laotiennes et ne semble pas vouloir les critiquer.

A Bouamphanh, <les habitants ne partagent pas les terrains disponibles entre tout le monde ». Certains villageois ont hérité des parcelles et d'autres se les sont attribuées durant l'allocation foncière. Ils ont tous les meilleures terres, principalement des rizières irriguées. Les autres villageois n'ayant pas eu d'ancêtres à Bouamphanh ni assez d'argent pour acheter les parcelles doivent cultiver des essarts qui sont libres d'être cultivé après l'avis du conseil des anciens101. Le conseil des ancien distribue les parcelles non attribuées pour un temps définit entre une et cinq années. Ce laps de temps relativement court permet de faire circuler à tous les villageois les meilleures terres.

Généralement le conseil des anciens distribue les parcelles en fonction de la force de travail familiale ( l'accès à un motoculteur ou un buffle pour le labour des rizières irriguées, le nombre d'actifs par famille, l'accès aux outils indispensables...), les rendements connus des parcelles adaptés aux familles, la position sociale des chefs de famille (leur ancienneté au village, leur statut professionnel, leurs liens avec les autorités...) et en fonction des accords entre particuliers.

Une fois la distribution effectuée, les villageois sont libres de s'entendre pour échanger les parcelles. Chaque année quelques villageois ne respectent pas les décisions et défrichent des parcelles qui leurs conviennent, parfois dans la zone autorisée mais contre l'avis du conseil et parfois en dehors de la zone autorisée.

Le choix des essarts à la fin de la saison des pluies revient donc aux chefs de familles. Ce choix se fait en connaissance des terrains fertiles. Chaque chef de famille a une propriété ou un droit d'usure sur environ 3 ha par an occupés par différents cultivars. Les parcelles des familles sont des essarts de riz pluvial (hay en lao) qui s'étendent généralement sur 0,5 hectare par famille, une rizière irriguée (na en lao) d'un hectare maximum, un essart-jardin (souan en lao) de 0,5 hectare102 et parfois une plantation ou un verger sédentaire de moins d'un hectare. Certain chef de famille utilisent un même type d'essart dans deux lieux du finage et ne possèdent pas certains autres types de parcelles.

Si la famille possède un essart-jerdin, elle devra exploiter ce même emplacement tous les ans durant 3 ans et devra faire une demande aux autorités pour renouveler la culture de maïs dans un autre lieu du finage.

Avec un temps de friche de 4 ans pour les essarts de riz pluvial, les paysans doivent avoir 4 essarts en rotation. Chaque année ils défrichent une parcelle en friche. Ils n'ont aucun devoir de paiement, car les essarts de riz (hay) ou de maïs (souan) associés aux légumes, piments, tabac ou coton, sont gratuits et libres d'accès. La plupart des villageois ont hérité des emplacements depuis de longues années, mais les nouveaux arrivants doivent d'abord attendre que le conseil des anciens tolère leur installation sur le territoire. Certaines très bonnes terres en friches sont redistribuées régulièrement. Les bénéficiaires prioritaires seraient <les familles qui font de la

101 Qui comprend le chef du village, le chaman, les chefs de familles, la responsable de L'union des femmes lao ;

102 Ces données obtenues grâces aux entretiens avec différents villageois concordent avec celles d'O. Ducourtieux qui nota en moyenne 2,2 ha d'essarts par famille dans d'autres village du nord de la province. O. Ducourtieux 2006.

culture commerciale ».

Officiellement, «tout le monde a de bonnes terres » dans la région. Cependant les voisins akha de Hongleuc demandent parfois d'emprunter pour une année des emplacements sur le territoire de Bouamphanh. Ce don est, semble t-il, gratuit et personne ne s'offusque de devoir prêter les parcelles du village. La solidarité entre voisins d'ethnies différentes semble officiellement fonctionner.

Tout le monde suivrait les décisions communes car l'économie des familles s'en trouverait bénéficiaire.

Le chef du village ne fait aucune critique en défaveur des autorités. Selon ses déclarations, tout se passerait bien grâce aux décisions gouvernementales et communales.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery