1. Préhistoire et genèse de la
concupiscence
Augustin, puisqu'il n'eut pas de son vivant cet adjectif qui le
précède aujourd'hui en tout manuel de philosophie ou d'histoire
ne fut pas, selon son
propre témoignage, toujours digne de porter le nom de
saint. Augustin fut véritablement un hérétique au regard
de l'Eglise puisque avant d'être un fervent et influent catholique, il
fut un critique virulent du catholicisme et le défenseur pendant neuf
ans d'un mouvement religieux se posant comme une alternative au christianisme,
le manichéisme. Avant d'être nommé évêque
d'Hippone, acclamé par la population de cette ville, avant d'être
un philosophe et un théologien chrétien, auquel se
référèrent tout philosophe et théologien catholique
par la suite, bien avant d'être un de ces pères dont se
réclame l'Eglise catholique romaine et qui jetèrent dans leurs
oeuvres les bases de la religion, Augustin fut un ennemi du christianisme
puisque manichéen et imbu de culture païenne, il critiqua la
religion catholique à la lumière des préceptes du
manichéisme et de son éducation latine. La première de ses
attaques fut de se moquer de la simplicité du texte biblique, jugeant
alors le catholicisme comme une « religion de bonnes femmes », la
seconde de ses attaques reposant sur l'interprétation de ce principe
central du judaïsme et du christianisme que « Dieu créa
l'homme à son image » ainsi que l'incarnation de Dieu dans le
Christ, comme autant d'incitations à concevoir Dieu limité dans
l'espace, et cependant incapable de concevoir la nature spirituelle, tout
baigné de matérialisme qu'il était comme en
témoigne ce passage où s'adressant au Seigneur il affirme «
Sans vous prêter une forme humaine, je ne pouvais cependant ne pas vous
concevoir comme quelque chose de corporel »2. Enfin,
obsédé par le mal, il jugeait insatisfaisante la réponse
du christianisme qui fait de celui-ci la simple absence de bien alors que le
manichéisme distinguait bien deux principes, celui du bien,
présent dans l'esprit purifié et l'esprit du mal, présent
dans les choses matérielles. A ces considérations
théologiques, s'ajouta plus personnellement l'impossibilité pour
Augustin de s'astreindre au célibat qu'il jugeait nécessaire
à la bonne conduite des préceptes chrétiens. Toutes ces
attaques et réticences pourtant se dissipèrent alors qu'il se
convertit au catholicisme mais il reste important de les noter car, nous le
verrons plus tard, elles furent pour Augustin les plus violentes manifestations
de la concupiscence pour sa chair et son âme.
Pourtant, toujours inquiet par son salut et les
vérités de Dieu, « tiraillé entre Dieu et le monde
»3, de plus en plus suspicieux, il rejeta les doctrines
manichéennes et s'il se convertit au catholicisme à un âge
avancé puisqu'il avait trente deux ans lorsqu'avec son fils
Adéodat il reçut le baptême, incité de longue date
par sa mère Monique et influencé par Ambroise,
l'évêque de Milan, ville où il se trouvait pour y enseigner
la rhétorique, ce fut le résultat d'une longue gestation
spirituelle, perpétuellement soumis à la « tyrannie de la
chair »4 qu'il était. Cette conversion, ainsi que
s'évertue à le montrer les écrits des Confessions
ne fut donc pas le fruit d'une révélation directe mais prit
de nombreuses années, s'achevant au fur et à mesure qu'Augustin
s'éloignait des Manichéens et se rapprochait des dignitaires du
christianisme, Ambroise en premier chef, étant donné qu'« il
trouve dans la prédication de l'évêque la lumière
recherchée »5. Ainsi, la conversion au catholicisme
d'Augustin se fit
d'abord par l'entremise des personnes rencontrées qui
le guidèrent au sein de la religion catholique. Ceci est indiscutable.
Mais l'évènement décisif qui joua en faveur de sa
conversion se déroula le jour où se souvenant les paroles d'un
jeune enfant : « Tolle lege ! Tolle lege ! » (« Prends et lis !
Prends et lis ») et se souvenant du fait qu'au moment de lire
l'évangile de Matthieu, Antoine prit un des passages de ce livre comme
un oracle décisif à sa conversion, Augustin entreprit ce qu'il
relata comme suit : « Je revins donc à l'endroit où
était assis Alypius : car j'y avais laissé, en me levant, le
livre de l'Apôtre. Je le pris, je l'ouvris et je lus en silence le
premier chapitre où tombèrent mes yeux : « Ne vivez pas dans
la ripaille et dans l'ivrognerie, ni dans les plaisirs impudiques du lit, ni
dans les querelles et les jalousies ; mais revêtez-vous du Seigneur
Jésus Christ, et ne pourvoyez pas à la concupiscence de la chair.
Je ne voulus pas en lire davantage, c'était inutile. A peine avais-je
fini de lire cette phrase qu'une espèce de lumière rassurante
s'était répandue dans mon coeur, y dissipant toutes les
ténèbres de l'incertitude. »6. Le passage qui
dissipa ces ténèbres n'est rien d'autre qu'un extrait de
l'épître de saint Paul aux Romains. A l'influence de ses proches,
catholiques, qui l'éloignèrent du manichéisme et lui
firent abandonner ses préceptes, s'ajouta donc l'influence du Nouveau
Testament et particulièrement les écrits de l'apôtre
Paul.
La genèse de la notion de concupiscence, si centrale
dans la vie de saint Augustin comme l'origine de ses errements et souffrances,
passe par l'influence qu'exercèrent donc sur lui les penseurs latins du
christianisme et le Nouveau Testament. Penser la concupiscence dans l'oeuvre
augustinienne implique donc d'abord de se pencher sur la façon dont le
terme arriva jusqu'à saint Augustin, à travers l'usage du terme,
et ce à partir de l'étude de la notion dans la première
littérature chrétienne en langue latine.
.
Qu'en est-il de la concupiscence au début des temps
chrétiens ?
Et d'abord, en quelque sorte, d'où vient ce terme qui
sous sa forme originelle était la concupiscentia ? Avant la notion
même de concupiscence, qu'est-ce que le mot de concupiscentia ? Une
étude étymologique du terme s'impose pour que soit
considérée la spécificité toute particulière
de son utilisation au sein de la littérature chrétienne.
Dérivé du verbe cupere, qui donna son nom à
Cupidon, dieu latin de l'amour fou et du désir, verbe qui signifie
littéralement `désirer ardemment', concupiscentia n'a pas
été « inventé » alors que se développait
le christianisme dans l'Empire Romain. Avant d'être une notion centrale
du catholicisme, le terme naquit de la bouche de païens qui en firent
l'équivalent de ce que notre langue appelle la convoitise. La
concupiscentia est l'élan qui amène l'homme à
désirer avec ardeur ; tels étaient aussi les dieux qui, comme
Jupiter, prenaient diverses formes physiques pour séduire les mortels,
qu'ils désiraient. Pourtant si la première littérature
chrétienne latine indiqua à quel type d'objet s'attachait ce
désir ardent,
spécifiant par là l'emploi du terme à des
situations particulières, le latin des mythologies polythéistes,
reste imprécis à ce sujet et il ne se trouve aucune oeuvre de la
littérature préchrétienne ou de la littérature
latine païenne des premiers siècles de notre ère qui en
fasse une lecture approfondie. La concupiscence ne fait pas encore l'objet
d'une attention particulière à l'aube de notre ère.
Pourtant à bien y regarder, l'étymologie du substantif nous
amène à considérer de nombreux indices. Formée sur
la même base que compréhension, complaisance ou quelques autres
mots vêtus de la même étoffe, c'est-à-dire avec le
préfixe `cum', transformé par l'usage en `con', indiquant
l'idée d'une action qui se fait `avec', la concupiscentia touche aussi
bien à la personne qui agit sous son emprise qu'à l'objet
désiré. Ainsi, l'étymologie nous révèle
d'ores et déjà qu'il n'y a pas de concupiscence sans objet. En
conclusion, cette première analyse du mot de concupiscentia qui se veut
une préhistoire de la notion de concupiscence, avant que nous nous
penchions véritablement sur les traditions et écrits qui
influencèrent l'oeuvre de saint Augustin, révèle tout
d'abord sous l'investigation étymologique, que la concupiscence est le
désir ardent, la convoitise qui pousse l'homme à porter ses vues
vers des objets, non encore définies toutefois, afin de satisfaire ses
désirs.
Cette considération première qui touche à
l'usage qui est fait du terme dans la langue latine avant même que se
diffuse le Nouveau Testament, ne doit pas peser comme une ombre sur la notion
de concupiscence, toutefois il nous incombe de ne pas ignorer ce prime usage
païen du terme. Si le thème du désir ardent, de la
convoitise, et son corollaire, la tentation, est présent dans de
nombreuses littératures, elle connut aussi un destin dans la bible avant
même le Nouveau Testament, les épisodes du fruit de la tentation
offert à Adam par Eve, don qui les expulsèrent du jardin d'Eden,
ou l'épisode des feux qui s'abattent sur les villes de Sodome et
Gomorrhe vouées aux désirs contre-nature de leurs habitants
témoignent de cette thématique qui se retrouvera au sein de la
spécificité même de la concupiscence. En somme, si la
notion de concupiscence est bien un thème original de la pensée
chrétienne, elle entretient quelques rapports avec le paganisme et le
judaïsme. Et à cet égard l'apport de l'apôtre Paul,
qui par sa participation à la rédaction du Nouveau Testament
influença avec la plus grande force saint Augustin, est d'une importance
première. En effet, à travers les écrits de Paul, se
dessinent des héritages préchrétiens et la volonté
d'affirmer l'indépendance conceptuelle de la nouvelle foi.
Paul fut très tôt à la croisée de
deux cultures : la culture juive et la culture hellénistique. Il naquit
à Tarse, dans la province romaine de Cilicie, et fut dans les
premières années de sa vie d'adulte un docteur du judaïsme
persécuteur de la nouvelle Eglise, attaché qu'il était
à sa famille composée de juifs de stricte observance pharisienne,
ce qui implique, au premier siècle de l'ère chrétienne, un
grand zèle quant à l'observance et à la pratique des lois
juives. Dès sa naissance étaient ainsi fixées deux
composantes majeures de sa destinée : l'attachement passionné au
particularisme juif, scellé par la circoncision, et un
contact intime avec la culture hellénistique, dont le
grec tardif était alors la langue commune des Juifs dans tout le bassin
méditerranéen. Ce dernier caractère sera plus tard
renforcé par l'apostolat qu'il mena auprès des Gentils c'est
à dire des convertis au christianisme issu de milieux païens, ceux
qu'il nomme dans ses épîtres les Grecs, gardant sa vie
entière des contacts étroits avec le paganisme, qu'il
était impossible d'ignorer pour lui. S'il y eut, dés les premiers
écrits de saint Paul, le traitement de la problématique du
désir, de la convoitise et de la tentation, c'est qu'à la
confluence du monde juif et du monde païen, il eut tôt la
connaissance des textes qui y référaient chez les Anciens et de
cet idéal du désir ardent spécifique aux religions
polythéistes du monde romain. Au cours de son existence, jamais Paul ne
renia ses origines juives, voyant même dans le christianisme
l'achèvement de la religion de ses ancêtres. De la même
façon, il eut toujours le sentiment, après s'être
brusquement converti au christianisme, de devoir répandre
l'évangile en toutes les terres connues et, pour ce faire, de convertir
des populations de culture païenne comme en témoigne le recours
à l'intérieur de son épître aux Romains7,
à une citation de l'Ancien Testament8, qui lui faisait situer
sa personne et son oeuvre dans ces temps derniers de l'Histoire où le
Dieu d'Israël devait se faire connaître à tous les peuples de
la terre : « Ceux à qui il n'avait point été
annoncé verront, et ceux qui n'en avaient point entendu parler
comprendront. », se devant de rester à l'écoute des
objections du paganisme. Une telle situation ne sera pas tout à fait
étrangère à celle de saint Augustin qui de sa vie ne renia
jamais l'éducation qu'il reçut, tourné autour des textes
de la littérature païenne, et ne cessa de discuter et
polémiquer avec les représentants des différentes
hérésies qui faisaient florès au tournant des IVème
et Vème siècles.
Dans le contexte des premiers développements du
christianisme, de ses premières heures qui sont celles du temps des
apôtres, il n'est pas étonnant que la thématique de la
concupiscence puisse éclore et s'épanouir. Paul avait pour but
principal l'évangélisation et la structuration des
communautés chrétiennes fraîchement sorties du paganisme ou
du judaïsme qu'il fonda ou renforça au gré de ses voyages.
Passant par l'« Arabie » (actuelle Transjordanie), Chypre, la
Pamphylie, la Galatie, Rome puis l'Espagne, ce qui importait à saint
Paul, comme le note Emile Bréhier dans son Histoire de la
philosophie, ce furent ces missions dont la fin n'était pas de
découvrir la nature de Dieu mais de travailler au salut de l'homme,
fondant la légitimité de la conversion des païens ou des
Juifs de la Diaspora au christianisme sur « l'inconscience de leur propres
fautes, cette inconscience dans le péché qui rend indispensable
la tâche du prédicateur »9. Si, à
proprement parler, Paul n'utilisa pas le terme de concupiscence, puisque ce
terme est d'origine latine et que l'apôtre écrivait en grec il
reste pour la postérité celui qui fut à l'origine de sa
thématique, fusionnant l'idée du désir ardent et de la
convoitise à celle de la tentation tout en spécifiant le
caractère de celles-ci à la lumière que jette sur elles la
Révélation apportée par le Christ Jésus. Paul, dans
ses écrits qui rappelons-le ne visaient
qu'à aider les nouvelles communautés
chrétiennes en apportant des éclaircissements moraux, s'adressait
d'abord à une société chrétienne surtout
préoccupée par l'attente d'une proche consommation des biens et
c'est dans un tel cadre que prit naissance la pensée de la
concupiscence.
Actualisant les thématiques du désir ardent et
de la tentation, pour les dépasser, c'est par deux de ses
épîtres que Paul inaugura la thématique de la concupiscence
: l'épître aux Galates et l'épître aux Romains.
Détacher les points communs entre ces deux écrits nous pousse
à ne considérer que le fond qui s'y exprime communément.
En effet, les deux épîtres poursuivent une même
problématique, celle du salut. Considérant que le salut est
accessible à tout homme uni au Christ, par la seule force de l'Esprit,
c'est-à-dire de la foi, ces écrits furent rédigés
pour contrecarrer l'idée que seule l'obéissance à la Loi
comme l'affirmaient alors les Juifs qui menaçaient de dissolution la
communauté de Galatie, pouvait rendre le salut possible. Ces deux
écrits ont donc en commun de montrer à des communautés
fébriles la voie chrétienne d'accession au salut. Si l'ordre
biblique des épîtres nous pousse à d'étudier
l'épître aux Romains avant celle adressée aux Galates, il
apparaît plus judicieux d'analyser cette dernière en premier lieu.
Puisque selon toute vraisemblance la rédaction de l'épître
aux Galates date des années 54-56 de l'ère chrétienne,
alors que Paul séjournait à Ephèse et que
l'épître aux Romains semble avoir été
rédigée à Corinthe au printemps 55 ou 56,
chronologiquement la façon dont le problème de la convoitise est
traité dans l'épître aux Galates influença le
traitement qui en est fait dans l'épître aux Romains. Dans la
première, saint Paul exhorte à se laisser mener par l'Esprit pour
ne pas se laisser guider par la convoitise charnelle tandis que dans la seconde
épître, il affirme le caractère immanent de la convoitise
chez l'homme. La convoitise, tel que l'entendait les païens romains, sous
le nom de concupiscentia, ainsi que nous l'avons vu, n'était que le
désir ardent attachant l'homme aux objets. Or dans l'épître
aux Galates, la convoitise reste un désir ardent certes mais là
où les Païens ne lui attachaient aucune importance morale, elle
apparaît ici comme ce qui réside en la chair de l'homme et contre
laquelle il faut agir en suivant cet impératif moral « Laissez-vous
mener par l'Esprit et vous ne risquerez pas de satisfaire l'oisiveté
charnelle. Car la chair convoite contre l'Esprit et l'Esprit contre la chair
». Contrairement à la compréhension païenne du
désir qui en faisait un point commun entre les dieux et les hommes, Paul
affirme que la convoitise n'agit qu'en l'homme car s'opposant à la loi
d'amour « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » qui
émane de Dieu , accessible au seul Esprit. Dans la suite du passage
où il discute la convoitise de la chair, au sein de
l'épître aux Galates, celle-ci est déclinée à
la faveur d'une énumération de ce que « la chair produit
» : « fornication, impureté, débauche, idolâtrie,
haines, discorde jalousie, emportements, disputes, dissensions, scissions,
sentiment d'envie, orgies, ripailles », passions qui selon l'apôtre
interdisent à ceux qui les commettent, d'hériter du «
royaume de Dieu », ajoutant, après l'énumération des
fruits de
l'Esprit, « ce qui appartiennent au Christ Jésus
ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises ». Cette
épître se révèle donc d'une importance
première puisqu'à sa lecture se devine cette vérité
paulinienne que la convoitise est plus que ce que les Païens en pensaient
et dépassent même le cadre de la tentation chez les Juifs.
Contrairement aux premiers saint Paul considère donc à la fois la
convoitise comme un trait distinctif des hommes auquel Dieu échappe et
lui spécifie des passions là où le paganisme en faisant un
état portant sur des objets non spécifiés. Et plus que les
seconds qui considéraient la tentation causant la convoitise de la chair
comme une des voies de la damnation, saint Paul radicalise cette idée en
affirmant l'impossibilité de rejoindre le « royaume de Dieu »
pour ceux qui s'y adonnent, exhortant à la rejeter vivement. Il y a donc
une mise en perspective chez Paul de l'idée de convoitise, la tentation
induite en l'homme par la chair et se manifeste à plusieurs niveaux, qui
donnera toute sa puissance à la particularité de la concupiscence
dans la Chrétienté, à savoir que celle-ci agit sur l'homme
par la voie de la chair et contre son gré. Cette idée est reprise
dans l'épître aux Romains, puisque l'apôtre oppose à
nouveau l'Esprit et la chair, affirmant : « je me complais dans la loi de
Dieu du point de vue de l'homme intérieur ; mais j'aperçois une
autre loi dans mes membres qui lutte contre la loi de ma raison et
m'enchaîne à la loi du péché qui est dans mes
membres » prouvant que « si je fais ce que je ne veux pas, ce n'est
plus moi qui accomplis l'action mas le péché qui est en moi
». Ainsi s'assied le thème de ce qui nous pousse à commettre
le mal malgré l'amour de Dieu, qui lui nous pousse à commettre le
bien, et qui se trouve dans la chair. C'est à la lecture de ce second
passage des écrits de Paul, présent dans l'épître
aux Romains que l'Eglise catholique toujours considéra la concupiscence
comme un effet du péché originel qui subsiste après le
baptême. En soi, elle ne fut jamais considérée comme un
péché proprement dit mais comme ce qui y induit et comme la
résultante du péché originel. Ainsi donc, si les
écrits de saint Paul ne parlent pas exactement de la concupiscence il
n'en est pas moins vrai que la thématisation de cette notion n'intervint
qu'après lui car de son dépassement des idées païenne
de convoitise, de désir et de l'idée juive de tentation pour
faire inexorablement de la convoitise charnelle une réalité
à laquelle est confronté tout homme dans son existence, le
péché qui détourne l'âme du royaume de Dieu en
attisant les passions mauvaises et contre lequel tout homme doit lutter, naquit
la spécificité même de la concupiscence. C'est à
cette concupiscence là que se référera le passage de la
première épître de Jean qui véritablement, dans la
traduction latine qui en est faite donnera le nom de concupiscentia à
cette convoitise traitée d'une façon particulière par le
christianisme.
Au sein du Nouveau Testament, un autre écrit clôt
définitivement le mouvement du passage du traitement chrétien de
la convoitise à la question de la concupiscence. Les
épîtres aux Galates et aux Romains, en se faisant la
synthèse de la pensée de Paul et de celle des premiers
chrétiens concernant la question de la convoitise charnelle ont
initiés l'élan qui amena à la notion de concupiscence,
en en inaugurant la thématique. La première
épître de Jean, puisque c'est de cet autre écrit qu'il
s'agit, si elle eut une importance moindre pour les penseurs moraux du
christianisme, et notamment Augustin, n'en demeure pas moins
représentative de ce courant qui s'attache à l'analyse de la
convoitise de la chair, de l'attachement aux choses du monde et bien plus,
là où son étude importe c'est que suite à sa
traduction en latin, la concupiscence entra dans la littérature
chrétienne.
L'influence des épîtres de saint Paul sur le
texte que la tradition retint sous le nom de première
épître de Jean, bien que la paternité de
l'épître ne soit pas certaine, n'a pas été
démontrée formellement. Cependant, la première
épître de Jean a été écrite
postèrieurement aux épîtres de saint Paul, et il existe une
communauté d'esprit entre les deux oeuvres. Le trait commun aux deux
oeuvres est l'attachement à l'idée que la convoitise est un
péché qui détourne l'homme de Dieu. A l'idée de la
convoitise de la chair, ce « péché qui habite en moi »
et qui détourne l'homme du royaume de Dieu et du Seigneur, fait
écho dans la première épître à Jean
l'assertion que « si quelqu'un aime le monde, l'amour du père n'est
pas en lui car tout ce qui vient du monde -la convoitise de la chair, la
convoitise des yeux et l'orgueil de la richesse- vient non pas du Père
mais du monde ». 10 Ainsi, pour l'auteur de ces lignes,
l'idée est bien, comme lorsque Paul écrivait que « la chair
convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair » de montrer qu'il
existe un antagonisme entre ce qui vient de Dieu et ce qui vient du monde.
Là où précisément l'épître de Jean se
démarque des épîtres aux Galates et aux Romains de Paul
c'est que sont distingués trois types de convoitises : la convoitise de
la chair, la convoitise des yeux et l'orgueil de la richesse tandis que Paul
distinguait au moins une quinzaine de produits de la chair,
représentatifs de la convoitise charnel mais se subordonnant à
elle. Ainsi, tout comme Paul, l'auteur de la première
épître à Jean fait de la convoitise qui nous pousse vers
les choses du monde contre ce principe divin que Paul nomme la Loi d'amour et
l'auteur de la première épître de Jean « ce qui vient
de Dieu », mais contrairement à lui, il distingue trois
états qui attachent l'homme au monde tandis que pour Paul c'est la seule
convoitise de la chair qui amène les mauvaises passions. Ainsi, donc, le
texte de la première épître évolue dans le
même esprit en présentant quelques variations par rapport aux
épîtres de Paul, mais variations d'autant plus importantes pour la
problématique de la concupiscence que pour saint Augustin, dans le livre
X des Confessions et dans La cité de Dieu et à
sa suite de nombreux auteurs du Moyen Age et de la Renaissance, distinguera
« les trois concupiscences ». Il est loisible d'observer que l'apport
de l'épître de Jean à la question de la concupiscence ne
s'arrête pas là. Bien que cela tienne d'une contingence annexe
à ses propres lignes, c'est dans cette épître que
siège l'origine de l'utilisation chrétienne du terme latin de
concupiscientia. L'épître fut écrite en grec, comme tous
les livres du Nouveau Testament, mais voyons ce que la traduction latine donne
pour la distinction des trois convoitises dans le texte suivant :
«Concupiscentia carnis et concupiscentia
occulorum est et superbia vitae quae non est ex Patre sed ex
mundo est ». C'est donc la traduction de l'épître de Jean en
latin, effectuée au début du IIème siècle qui
sortit véritablement le terme concupiscentia de son usage païen,
faisant de cette notion un terme central de la pensée chrétienne.
La concupiscentia désignait désormais ce que Paul distinguait
jadis dans ses écrits comme le dépassement chrétien de la
pensée païenne de la convoitise et la pensée juive de la
tentation. La concupiscentia c'était donc désormais le nom du
péché humain.
La compréhension de la concupiscence dans les premiers
temps chrétiens n'aurait pu se faire sans ce panorama de la
thématique, qui sans être encore placée sous la notion de
concupiscence lors des différentes périodes de rédaction
du Nouveau Testament, incita Paul à distinguer le péché
qui habite en nous, la chair qui convoite contre l'esprit et interdit le
royaume de Dieu à ceux qui se laissent aller à cette convoitise
ou l'auteur de la première épître à Jean à
distinguer trois types de convoitises. Ce panorama s'avère d'autant plus
utile que la reprise des thèmes bibliques par saint Augustin fut
menée à fond. Pour l'auteur des Confessions et de La
cité de Dieu, la Bible, et plus spécialement le Nouveau
Testament, sera la référence ultime, dont il se fera toute sa vie
de chrétien le défenseur et l'exégète. Point n'est
besoin de mener les investigations très loin pour détecter
l'influence des épîtres aux Galates et aux Romains, ainsi que de
la première épître de Jean, sur l'oeuvre de saint Augustin.
Comme si la soixantaine de citations et de références aux
épîtres aux Galates et aux Romains présents dans les
Confessions ne devaient pas suffire, il est bon de remarquer que dans
le chapitre XXI du livre septième des Confessions, saint
Augustin affirme que « l'écriture, surtout les épîtres
de saint Paul, lui apprennent l'humilité et la piété
». De même, la première épître de Jean, si elle
n'est citée qu'une fois dans Les Confessions exerça une
influence directe sur saint Augustin qui passe une grande partie du Livre X
à appliquer la distinction des « trois concupiscences »
à sa propre existence.
S'il est connu que la conversion d'Augustin ne fut pas directe
et se planifia sur de nombreuses années et si la lecture d'un passage de
l'épître aux Romains fut cet instant décisif et
déterminant, toutefois les premiers à influencer Augustin furent
ses proches. Si les épîtres de Paul aux Galates et aux Romains
furent les références du philosophe pour traiter la question de
la concupiscence, il importe de se pencher sur la façon dont le
thème parvînt aux oreilles de saint Augustin et
l'influencèrent dans sa vie, avant que ne soient rédigées
Les Confessions. Pour ce faire, et restituer l'atmosphère,
l'usage tournant autour de la concupiscence contemporain à Augustin, il
importe de restituer un temps la façon dont le terme évolua
à partir des écrits de Paul et de l'épître de Jean
dans la littérature. Etudier la concupiscence chez saint Augustin
implique donc de ne pas négliger cette question : comment le
thème de la concupiscence arriva à Augustin ?
La concupiscence, à l'époque d'Augustin
était une notion qui, héritant de sa thématique au sein du
Nouveau Testament, servait à illustrer le péché et
à conseiller ou prêcher auprès des populations
chrétiennes et ce dans un but d'observance des préceptes
chrétiens. La thématique de la concupiscence fut donc usée
à des fins pratiques, prolongeant cet effort paulinien de sauver l'homme
du péché et de le mener au salut. A cet égard, les
écrits de Tertullien, sur lesquels nous ne nous attarderons cependant
pas puisqu'ils n'eurent que peu voire aucune influence sur l'oeuvre d'Augustin
sont significatifs. Tertullien, qui écrivait à la fin du
IIème siècle, fut un observateur stricte des préceptes
chrétiens et le premier véritable auteur latin de confession
catholique ; son oeuvre, constituée principalement de traités,
avait d'abord pour but de renseigner et de guider moralement ses
corréligionnaires chrétiens, qui alors étaient
persécutés. Ainsi perpétuait-il la voie paulinienne de
soutien aux chrétiens vacillants, tous bouleversés qu'ils
étaient par la menace que pesaient les autres religions sur leur foi,
paganisme de l'Empire romain ou hérésies venues du proche Orient.
Dans ses écrits donc, principalement les traités Sur la
pénitence (De Paenitentia), Sur la toilette des femmes (De
cultu feminarum) et la Lette à sa femme (Ad uxorem), il
s'agit d'exposer pédagogiquement, à l'usage des nouveaux
chrétiens, les préceptes et les recommandations morales du
christianisme où le terme de concupiscence est souvent utilisé
pour exhorter les chrétiens à suivre la bonne voie. Ainsi, dans
la Lettre à sa femme, Tertullien explique t'il qu' « Il
vaut mieux qu'un homme se marie parce qu'il est corrompu par la concupiscence
». Si, à proprement parler, l'oeuvre de Tertullien n'eut pas une
influence directe sur celle d'Augustin, il importe de noter, comme le fait
Robert L. Wilken qu'en temps que premier écrivain chrétien
d'expression latine que Tertullien fut un acteur primordial de la mise en place
du vocabulaire et de la pensée chrétienne et restituer
l'actualité de la concupiscence à l'époque d'Augustin ne
pouvait se faire sans cette introduction.
A l'instar de Tertullien, dans la lignée de l'oeuvre
apostolique de Paul, Ambroise, évêque de Milan considérait
avec importance la nécessité de veiller à l'observance des
préceptes chrétiens par ses contemporains, ne reniant jamais le
rôle politique primordial des dignitaires de l'Eglise catholique. Pour
Ambroise, le chrétien doit intervenir dans la vie politique et morale de
ses contemporains comme en témoignent les nombreuses lettres que
l'évêque adressa à l'Empereur. Mais si l'écrivain de
la fin du IIème siècle n'eut pas une influence directe sur saint
Augustin, Ambroise marqua l'homme d'une telle force que songer à la
place qu'occupe dans son oeuvre la concupiscence est inenvisageable sans
préalablement observer la place qu'elle tient dans l'oeuvre d'Ambroise.
L'oeuvre d'Ambroise, ancrée dans le siècle se veut avant tout une
apologie du christianisme et une contradiction des doctrines
hérétiques qui, à plusieurs reprises, menacèrent
son Eglise. Si pour saint Paul les adversaires du christianisme étaient
les juifs pharisiens n'ayant pas reconnu dans le Christ Jésus
le messie, si pour Tertullien l'ennemi était l'Empire
païen et persécuteur, Ambroise lutta sa vie durant contre les
hérésies, l'arianisme en premier lieu puisque
l'impératrice Justine en 386 tenta sans succès, tant la
résistance populaire menée par Ambroise fut grande, de confier
l'épiscopat de Milan à un Arien, le manichéisme aussi
puisque de nombreuses personnes tentées par sa doctrine, tel Augustin,
conversèrent avec lui. De même, comme le montre une lettre qu'il
adressa à Symmaque11, il ne perdit jamais contact avec les
tenants des anciennes traditions romaines en se faisant le porte parole des ses
idées qui font correspondre la foi chrétienne, à la suite
des apologistes du IIème siècle et à la lecture des
Ennéades de Plotin, à la pensée grecque, montrant
la parenté du platonisme et des préceptes chrétiens. Ainsi
donc, pour Ambroise, comme pour ceux qui le précédèrent
dans la question de la concupiscence, celle-ci intervient principalement pour
défendre le christianisme contre les dangers qui pèsent sur la
foi et affirmer la base doctrinale de la religion. Tout comme Paul, comme
Tertullien, Ambroise n'est pas un ermite inquiet de théologie et de
connaissance de Dieu mais un chrétien plongé dans le
Siècle qui cherche à sauver les hommes en leur prescrivant des
conseils moraux, en affirmant la doctrine de la foi catholique.
Bien que pour Ambroise, la notion de concupiscence soit un
terme central dans ses oeuvres, celle-ci ne fait pas l'objet d'une
thèmatisation forte et l'oeuvre d'Ambroise n'apporte aucune
nouveauté au concept de concupiscence tel qu'il est entendu par les
chrétiens depuis la lecture latine du Nouveau Testament. Tout comme pour
les premiers écrivains chrétiens latins tels que Tertullien, la
concupiscence est le nom donné au « péché qui habite
en nous », qui pousse la chair à convoiter contre l'esprit,
poussant l'homme vers les choses de ce monde. Tout comme pour Tertullien la
notion prend place dans ses oeuvres à des fins pédagogiques ou
pour formuler les impératifs moraux afin « que la cupidité
soit mortifiée et que la concupiscence meure »12. Ainsi,
l'importance de l'influence d'Ambroise sur Augustin d'une manière
générale et la façon dont celui-ci conceptualisa la notion
de concupiscence, n'est pas à rechercher spécifiquement dans les
écrits d'Ambroise. Si véritablement l'évêque de
Milan influença Augustin ce fut pour des raisons personnels à
Augustin. La rencontre d'Ambroise pour Augustin, alors tiraillé par les
questions portant sur Dieu, le bien, le mal, se révéla
décisive. Travaillé par les errements de la chair, les passions
mauvaises alors qu'il arrivait à Milan, Augustin décrit la
rencontre d'Ambroise de la manière suivante, s'adressant à Dieu,
comme toujours dans Les Confessions, « Arrivé dans cette
ville, j'allai voir l'évêque Ambroise, connu comme une âme
d'élite et votre pieux serviteur. Sa vaillante éloquence servait
alors à votre peuple « la nourriture de votre froment »,
« la joie de votre huile », « la sobre ivresse de votre vin
». Vous me conduisiez à lui, à mon insu, afin qu'il me
conduisit à vous en pleine conscience »13, et plus loin
« Je tenais Ambroise pour un homme heureux selon le monde, lui que les
plus hautes autorités honoraient ; son célibat seulement me
paraissait pénible. Quant aux espoirs qu'il
portait en lui, à ses luttes contre la tentation de ses
propres grandeurs, aux consolations qu'il goûtait dans
l'adversité, aux joies savoureuses qu'il trouvait à ruminer votre
pain, avec cette bouche secrète qui était dans son coeur, je ne
savais l'imaginer, je n'en avais aucune expérience »14.
Ainsi, Augustin fut émerveillé par l'évêque,
attentif à ses paroles. Ambroise eut donc une influence sur Augustin par
l'entremise de ces prêches où la théorie de la
concupiscence devait avoir une bonne place. De même, comme le montre
l'extrait plus haut c'est bien par la façon dont Ambroise luttait contre
la tentation et vivait dans le célibat qui renvoie directement à
la question de la concupiscence. Ambroise en quelque sorte, s'il
n'exerça sans doute pas d'influence doctrinale sur la question de la
concupiscence pour saint Augustin, n'en demeura pas moins, un de ceux, avec la
mère de ce dernier, Monique, chrétienne de longue date et
arrivé au christianisme par le refus de la fornication et de l'ivresse
comme il est montré au chapitreVIII du Livre IX des
Confessions, l'une des personnes qui permirent à Augustin de
cheminer vers la conversion au christianisme et à s'enquérir du
thème de la concupiscence.
Ainsi donc, percevoir dans les premiers siècles de
l'ère chrétienne, le cheminement du thème de la
concupiscence, la manière dont il fut conceptualisé, permet de
voir à la lumière de quelles sources et sous quelle influence
Augustin écrivit son oeuvre. Pénétré par les
épîtres de saint Paul, voyant comme elles, le péché
qui habite en nous et en résonance le mal qui réside dans la
tentation de la chair et la satisfaction des appétits du monde,
éloignant de Dieu et guidé par Ambroise, héritier de toute
une littérature chrétienne qui depuis Tertullien fait de la
concupiscence un des thèmes centraux à l'appui de la voie
pédagogique, Augustin appartient à cette littérature
chrétienne des premiers siècles faisant la part belle à la
conversion intérieure, c'est-à-dire, à la façon
dont la Révélation chrétienne parvient à
pénétrer le coeur des hommes. Cette influence si elle vient de la
force dont les idées pénétrèrent Augustin et
s'offrir à sa pensée, à la fois parce qu'elles ont
été décisives à sa conversion au catholicisme et
par leur nécessité dans le soutien à la foi
chrétienne, vient aussi du fait qu'avec ces différents auteurs de
la concupiscence, surtout saint Paul, Augustin partage le fait d'avoir
longtemps hésité et marché sur des chemins non
chrétiens, ressentant alors peser sur lui l'inquiétude de son
salut, de la façon dont il pourrait se détacher de ses passions
désastreuses. Ainsi si la notion de concupiscence le marqua tant ce fut
aussi que cette notion, dont la préhistoire se trouve dans le paganisme,
eut une histoire qui se parsème de conflits où, à valeur
rhétorique, elle servit à contrer les objections du paganisme au
catholicisme. La concupiscence, en quelque sorte, telle que nous la connaissons
maintenant fut pour saint Augustin, lorsqu'il la ressentit, la source de tous
ses maux et son traitement par le Catholicisme l'origine de son passage du
Paganisme et du Manichéisme au Christianisme, la voie qui lui ouvrit la
voie du salut.
Pourtant, s'il ne s'agissait que de la notion qui le marqua et
répondait à ses craintes en mettant un mot sur ses souffrances,
il suffirait de seulement mettre en relation et pointer les citations aux
épîtres de Paul, à l'épître de Jean ou aux
influences de saint Ambroise, pour montrer toute l'importance du terme. En
quelque sorte, il ne s'agirait que de dresser une liste des lectures d'Augustin
ou d'associer chaque moment de sa vie, où le mal l'habitait, à un
passage du Nouveau Testament. Il n'en est rien. La pensée d'Augustin
dépasse largement la façon dont la concupiscence
éclôt de la bible et dont le thème devait être
abordé par Ambroise, miroir de toute une tradition de pensée
chrétienne. L'oeuvre d'Augustin, et le rôle que tient la
concupiscence dans celle-ci sont absolument originaux. Si comme saint Paul, il
considère la nécessité de sortir de la domination de la
convoitise de la chair, de parer les tentations induites par celle- ci afin de
se tourner vers Dieu, si comme lui, il considère la convoitise comme un
péché qui subsiste en l'homme et si comme Tertullien ou Ambroise
le terme a valeur rhétorique et est sujet à des estimations
morales, Augustin affirma dans ses oeuvres une nouveauté en se posant
comme la synthèses de toutes ces idées et le dépassement
qui permit à la concupiscence de sortir du cadre restreint des
traités et des sermons pour être interrogée et devenir le
centre d'une véritable réflexion philosophique. Avec saint
Augustin s'amorça un moment unique de l'Histoire car à l'inverse
de ces prédécesseurs, loin de se restreindre à
l'exégèse de la bible et d'être seulement
préoccupé de la morale de ses corréligionnaires, Augustin
fit véritablement oeuvre de théologien, il fut ce penseur unique
mêlant considérations personnelles et perspectives globales
à son traitement de la concupiscence. Il fondit les enseignements de
Paul, d'Ambroise et de tous ceux qui dans la Chrétienté leur
étaient redevables en un système unique où la
concupiscence fut traitée comme jamais elle ne le fut auparavant. C'est
le premier véritable philosophe chrétien qui permit d'affirmer
définitivement les bases de la religion catholique.
|
|