2.2. La compétence interculturelle
Dans ce chapitre, nous éclaircirons le concept de
compétence interculturelle (CIC). Les premières recherches sur la
CIC datent de plus de cinquante ans. Initialement, si ces travaux ne
fédéraient qu'un petit nombre d'acteurs, ils associent
aujourd'hui l'ensemble de la société, du gouvernement aux
entreprises en passant par les universités. En effet, au cours des
dernières décennies, l'essor de
ce que nous nommerons ici indistinctement la mondialisation,
l'internationalisation ou la globalisation a consacré l'échange
interculturel, ou tout du moins international, comme fait social total, au sens
de M. Mauss. Par conséquent, il n'est guère étonnant que
de nombreux champs disciplinaires se soient proposés d'étudier la
CIC et qu'il existe, a fortiori, maints approches conceptuelles et
outils d'évaluation aux terminologies et objectifs pluriels. Pourtant,
cette accumulation de modèles théoriques et d'instruments de
mesure n'a pas su venir à bout de la nature fugace d'un concept qui,
aujourd'hui encore, échappe à tout consensus. En dépit de
l'ampleur du spectre de recherche et des débats autour de la CIC, nous
allons tenter d'y voir un peu plus clair. Pour commencer, nous nous pencherons
sur les difficultés relatives au syntagme même de CIC. Puis, nous
présenterons deux approches conceptuelles sur lesquelles nous nous
baserons ensuite pour étayer notre approche.
2.2.1. Ambiguïté du syntagme
Si le syntagme de compétence interculturelle semble
relativement transparent à première vue, il est en
réalité particulièrement flou. En effet, de nombreux
auteurs l'ont étudié à l'écart les uns des autres
(Frederiksen et al. 2000), lui conférant tour à tour soit une
nuance particulière, soit une dénomination nouvelle. De fait, il
existe aujourd'hui des dizaines d'expressions utilisées en lieu et place
du syntagme de CIC, ainsi que des centaines de définitions
différentes dans la littérature scientifique (Deardoff, 2004). On
pourrait ainsi parler de « charabia » interculturel (cf Dervin,
2009). D'ailleurs, cette confusion amène certains à dire que la
CIC serait en fait un cliché à la mode dont personne ne saisirait
bien le sens (Simensen, 2003). À titre d'exemple, voici quelques
appellations alternatives à celle de CIC.
TABLEAU 3 : autres dénominations de la CIC
(adapté de Fantini, 2006, in Understanding and assessing intercultural
competence, Sinicrope, Norris et Watanabe, 2007)
Communication transculturelle
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Communication interculturelle
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Communication internationale
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Efficacité communicationnelle inter-groupe
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Compétence culturelle
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Compétence de communication
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Compétence internationale
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Compétence métaphorique
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Compétence mondiale
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Sensibilité interculturelle
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Sensibilité culturelle
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Ethnorelativité
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Multiculturalisme
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Biculturalisme
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Plurilinguisme
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Adaptation interculturelle
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Coopération interculturelle
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Interaction interculturelle
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Conscience interculturelle
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Intelligence concurrentielle mondiale
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1. Savoir-être
Démontrer une capacité d'ouverture
à l'Autre et de réflexion sur les cultures
Compétence Interculturelle
La persistance de cet état de fait pourrait venir de ce
que le concept de CIC s'articule autour de deux notions complexes : la culture
et la compétence. D 'ailleurs, en s'appuyant notamment sur le concept de
« Culturespeak » (Hannerz, 2001) qui dénote
l'utilisation systématique et non critique du concept de culture, Dervin
(2009) considère que ne nombreuses définitions de la CIC reposent
sur des prémices erronées. Il énonce certains
problèmes que pose le concept :
· Tout d'abord, il pointe la propension des chercheurs
à parler des cultures comme d'entités vivantes, douées
d'une conscience propre, avec lesquelles on pourrait interagir directement,
alors que l'étudiant en échange ne rencontre jamais qu'un nombre
limité de membres d'une société d'accueil aux multiples
facettes.
· Ensuite, il souligne le fait que c'est bien souvent
une vision catégorisante, normative qui sous-tend la définition
de culture. On parle sans finesse de la culture d'origine et de la culture
d'accueil, comme si elles étaient deux blocs inertes et homogènes
et qu'il n'y avait pas de place pour la distinction, les subcultures d'une
part, et le mouvement, le métissage d'autre part.
· Puis, il note l'absence répétée
d'interlocuteur dans la définition de la CIC, l'amenant à ne
reposer que sur le sujet, l'utilisateur de la compétence. De fait,
l'influence de l'Autre et du contexte dans la situation d'interaction est
négligée, alors que la co-construction de cette situation est un
élément essentiel.
· Il remarque également que la compétence
est souvent conceptualisée comme un construit statique et monolithique.
Soit on est compétent, soit on ne l'est pas. Il faudrait donc distinguer
des niveaux d'habileté.
· Il constate enfin que la compétence n'est pas
forcément infaillible. De fait, dans un contexte donné, on peut
être compétent un jour mais pas le lendemain.
Par ailleurs, lorsque l'on réutilise un concept aussi
populaire dans le champ scientifique que celui de CIC, il est nécessaire
de prendre en considération son bagage quelque sorte, soit les
inflexions que les chercheurs précédents lui ont données.
C'est pourquoi, et bien que nous ne puissions possiblement être
exhaustifs, nous allons maintenant présenter deux modèles
théoriques de référence qui ont eu une large influence
dans un certain nombre de champs disciplinaires.
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