3.3 Analyse de la position des autorités
nationales
On voit donc que l'exigence alimentaire en légume des
centres urbains a un impact indirect mais combien important sur
l'intensification du maraîchage. Cette situation complexe a
80 - Monographie de la biodiversité au
Sénégal.- P. Ndiaye
conduit l'Etat à une position non moins
compliquée et même très ambiguës. L'Etat adopte une
démarche assez contradictoire concernant la zone des Niayes qu'il
définit officiellement comme un « Périmètre de
Restauration » et à qui il assigne parallèlement, on l'a vu,
une vocation maraîchère. En dépit de l'adoption de ce
statut particulier, nous avons donc un ensemble de mesures prises pour
augmenter la production dans les Niayes. Les coopératives, les
associations, les groupements, les mutuelles d'épargne et de
crédit, la subvention des produits agricoles à Mboro attestent du
soutien ou de l'encouragement de l'Etat. On constate paradoxalement aussi que
les échelles considérées par les programmes de
développement et le Ministère de l'agriculture ne collent pas
avec les préoccupations écologiques. Si les
phénomènes économiques sont des phénomènes
à rentabilité immédiate, il en est tout autrement des
phénomènes écologiques comme le reboisement dont les
effets ne peuvent être attendus qu'à moyen et long terme.
Une analyse plus poussée des raisons d'une telle
démarche dévoile le dilemme auquel l'Etat fait face dans cette
zone. Le caractère périssable des produits maraîchers que
nous avons déjà souligné pose un problème aux
pouvoirs publics qui ne peuvent se risquer à une importation
systématique de ceux-ci pour couvrir les besoins du pays et
éviter ainsi à cet écosystème particulier de se
dégrader. Les moyens nécessaires pour assurer le stockage et
l'acheminement vers les centres de consommation dans des délais
relativement courts sont assez importants. Les risques de
détérioration aussi sont trop élevés pour qu'on
prenne de telles mesures de manière systématique. Mais le
véritable problème est lié à l'importance des
populations vivant directement ou indirectement du maraîchage. Il serait
irréaliste et « injuste« vis-à-vis d'eux de mettre fin
à cette activité pour dépendre essentiellement de
l'importation. Car cellesci subiraient alors le contre coup de la restriction
significative que cela implique. Contre coup que l'Etat n'est pas prêt
à assumer. Même s'il est préférable dans la logique
des choses de perdre en termes de rentabilité 81 et de gagner
en termes de durabilité, il faut se demander si la
précarité des populations conjuguée à
l'opportunité que représentent les marchés urbains sont de
nature à permettre de telles initiatives. Par ailleurs, il ne serait pas
aisé de délocaliser cette activité dans une zone moins
sensible car c'est bien l'existence de conditions propres au littoral qui
justifie la réussite de cette culture.
L'Etat est véritablement face à un dilemme qui
l'oblige à prendre d'une part des mesures pour stabiliser et restaurer
la végétation ligneuse dans cette région et d'autre part
à conserver aux populations locales leur «gagne pain « pour
permettre d'alimenter les centres en produits maraîchers.
Nous pouvons constater en guise de conclusion partielle une
répartition très spécialisée, à chaque
secteur correspond en effet des habitudes et des choix spécifiques.
Même si le maraîchage reste l'activité principale, sa
pratique enregistre néanmoins des formes surprenantes d'un secteur
à un autre et c'est suivant ces formes qu'il impacte plus ou moins
sévèrement sur le couvert végétal ligneux. Si dans
les terroirs du nord (Andal, Diogo et
Lompoul82 ) il est pratiqué de manière
très exclusive, à Mboro par contre il fait d'important compromis
qui accorde une place plus importante à la végétation
ligneuse83.
Nous avions émis au début de cette étude
trois hypothèses dont il importe à présent de faire le
bilan :
-La première hypothèse qui partait du principe que
le paysage arboré des niayes ne pouvait être que le
résultat d'une sélection anthropique a été
totalement vérifiée.
- La deuxième hypothèse prétendait que
l'activité maraîchère provoque la fragilisation du
système écologique des niayes par la suppression d'espèces
participant à sa stabilisation. Même si les conditions de
l'étude ne nous permettaient pas d'individualiser les essences
concernées, l'effet de masse sur la végétation, lui, est
parfaitement perceptible dans l'espace.
-Pour ce qui est de la dernière hypothèse on
peut dire que le choix qu'un maraîcher fait d'arracher une plante en
croissance, de couper un arbre, de dégarnir un sous bois par
défrichement ou de bruler est conditionné par un ensemble des
paramètres qui agissent de manière insoupçonnée sur
sa décision, paramètre physique, politique, économique,
social, familiale, communautaire... L'acuité de son intervention sur la
végétation est motivée par l'intensité de tous ces
facteurs qui le conduisent à prendre la décision
d'hypothéquer le long terme pour le court terme et la durabilité
pour la rentabilité.
Finalement il n'existe pas à cette crise de
l'environnement de réponses simples permettant de proposer des solutions
efficaces et viables. Les solutions sont en réalité toujours
complexes et chaque niveau d'information cache des faits que seul le niveau
suivant plus vaste permet de comprendre.
Cette étude représente à cet effet une
modeste contribution en comparaison de l'ampleur du problème et de ses
ramifications. La figure ci-après, loin d'être complète,
permet d'en prendre la mesure.
82 - Même si Lompoul ne fait pas partie de notre
zone d'étude, il en est le prolongement logique
83 - A Notto plus au sud de Mboro ce sont les vergers
qui sont la première source de revenu
Figure 17 : Diagramme de l'analyse des facteurs de
décision du maraîcher Source : S .NDJEKOUNEYOM-
2007
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