CONCLUSION
Spontanée ou anthropogène,
dégradée ou conservée, locale ou exotique, relictuelle ou
conforme au domaine climatique, la végétation dans notre zone
d'étude répond à bien des nuances de la notion de
couverture végétale et de composition floristique. L'exercice qui
consiste à en comprendre l'historique, l'évolution, la
justification au contact du maraîchage en est rendu plus
délicat.
En effet l'espace qui a été soumis à
notre observation a subi une évolution de sa végétation
qui s'est traduite graduellement par un éclaircissement de sa
couverture. De la forêt dense guinéenne qui se prolongeait
jusqu'au Cap-Vert, il ne reste plus grand chose. La formation originelle des
niayes a subi une fragmentation qui en a isolé ses principaux vestiges
dans les niches écologiques constituées par les niayes.
Bénéficiant de conditions hygrométriques qui là
soustrayaient aux rigueurs du climat soudano-sahélien, cette
végétation relictuelle, en situation déjà
précaire, a subi de plein fouet la sécheresse des années
1973 et 1984 qui a fragilisé ses habitats humides. L'important
contingent guinéen qui a été recensé par les
premiers chercheurs s'en n'est trouvé sévèrement
réduit par l'assèchement des étangs et par la baisse du
niveau de la nappe phréatique. A ces contraintes d'ordre naturel, il
faut ajouter la pression des facteurs anthropiques divers.
Favorisé par des sols humifères et une fraicheur
constante, la zone des Niayes est devenu le champ d'expression
privilégiée des cultures maraîchères qui ont
contribué a une diminution conséquente du couvert
végétal général et des reliques hydrophiles.
Aujourd'hui cet espace, presqu'entièrement investi par les
activités humaines, est très irrégulièrement
occupé par la végétation. Si dans les niayes de Mboro des
surfaces relativement boisées s'observent encore, à Diogo par
contre l'espace est simplement piqueté de quelques individus ou à
la rigueur recouvert par un peuplement arboré ou buissonnant d'autant
plus chétif que la pression maraîchère est grande.
La généralisation progressive du
maraîchage a eu des conséquences diverses sur la
végétation en termes de sélection et en termes de
recouvrement. Ces conséquences sont d'autant plus difficiles à
identifier et à isoler que les autres facteurs, notamment naturels,
interagissent très fortement avec l'activité
maraîchère tantôt en l'amplifiant tantôt en la
limitant. Mais d'un point de vue spatial, l'augmentation démographique
s'est traduite par une saturation de l'espace agricole, une mise en valeur de
secteurs écologiquement sensibles comme les sommets fixés par une
végétation xérophile.
La croissance de la population a provoqué, d'une
génération à l'autre, un émiettement des parcelles
entre les héritiers multiples. On sait que l'égard
vis-à-vis de la végétation spontanée va de pair
avec l'importance des surfaces disponibles, plus la parcelle exploitée
est petite et moins les surfaces boisées et les individus
d'espèces sont tolérées. Ce morcellement de surfaces
d'exploitation à l'intérieur des cuvettes provoque fatalement une
intensification des pratiques culturales à tous les niveaux :
déboisement de plus en plus systématique, suppressions de la
jachère arborée et arbustive, dopage des sols et des plantes
légumières, surexploitation de la ressource hydrique disponible
pour les plantes pérennes. Il en résulte un abandon de plus en
plus fréquent de cuvettes qui sont exploitées au-delà de
leur possibilité de reconstitution (en termes de
végétation, de sol et de recharge de la nappe). Sur le plan
floristique cette intensification des cultures à eu des
conséquences non moins dramatiques par le remaniement important qu'elle
a permis. Les associations végétales sont perturbées et
l'équilibre écologique rompu84. Si
certains peuplements ont été favorisés par l'homme,
d'autres par contre sont devenus marginaux. Les essences subguinéennes
qui se refugiaient sur le bord des cuvettes inondables ont été
progressivement réduites. D'abord par sélection (dégarni
des sous bois) comme à Mboro puis par élimination de plus en plus
systématique comme à Diogo.
Penser le maraîchage comme moyen de protection et de
stabilisation du milieu est dès lors bien difficile. Le cas des
associations multi-étagées de Mboro est ce qui s'en rapproche le
plus mais dans l'ensemble l'activité s'inscrit dans une dynamique
beaucoup plus destructrice en faisant de moins en moins de compromis avec la
végétation ligneuse et notamment spontanée. Il en
résulte un appauvrissement important des effectifs de la
végétation hygrophile et un renforcement du cortège
soudanien et sahélien.
On peut aussi remarquer que les pressions anthropiques et le
durcissement des conditions climatiques ont pu provoquer des processus
d'adaptation des caractères génétiques de la flore
résiduelle des niayes qui est devenue plus
résistante85. L'élimination de cette
végétation serait non seulement une suppression des individus
d'espèce mais également une perte du stock
génétique exceptionnel que cette situation
écogéographique a fini par générer.
L'activité maraîchère a provoqué
d'abord une modification des rapports de l'homme avec son milieu mais
également une modification des rapports entre les hommes autour de la
ressource ligneuse qui tantôt est surexploitée86 et
tantôt sous exploitée (par méconnaissance de sa valeur).
En effet le passage brutal d'une période d'abondance
à une période de disette impulsé par la sécheresse
conjugué à l'explosion des centres urbains qui encadrent la zone
des Niayes a produit un effet d'entrainement sur l'intensification du
maraîchage qui a favorisé à son tour la mise en veilleuse
des valeurs écologiques et même la marginalisation de la ressource
ligneuse. Cette situation de base alimentée par un contexte politique et
juridico-institutionnel complexe et imprécis a provoqué des
processus de dégradation incontrôlables sur
l'écosystème. Or la gestion de ce dernier dans une perspective de
durabilité ne peut s'entendre que sous l'angle étroit de la
participation et de la prise de conscience des populations locales de la
fragilité de leur milieu. S'il est vrai que tout système porte en
germe les éléments de sa propre destruction, on peut dire que le
système des niayes qui est à la fois
écogéographique, agronomique et dunaire est
particulièrement fragile. La végétation en est sans doute
l'élément de consolidation le plus indispensable.
La perte de vue de cette valeur écologique au profit
des préoccupations immédiates, fussentelles urgentes, peut finir
par affecter profondément l'environnement et par compromettre ses
possibilités de reconstitution comme nous l'avons observé pour
les cuvettes abandonnées. De plus la poursuite des actions de
développement agricole et de protection ou de restauration du milieu
dans des trajectoires non conciliantes est le résultat d'une lecture
partielle et erronée de cet agroécosystème qui ne doit
être considéré que comme un tout.
84 -Nous pouvons le supposer même si ce dernier
point a été difficile à démontrer
85 -Là encore nous n'avions pas de moyen
techniques pour vérifier cette idée
86 -par les exploitants de vin de palme à qui
le maraîcher loue illégalement les individus d'Elaeis
guineensis
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