Chapitre VIII : FACTEURS DE L'INTENSIFICATION DU
MARAÎCHAGE
Les problèmes qui se posent à l'environnement et
à l'écosystème des Niayes doivent être
appréciés dans toutes leurs dimensions : écologique,
sociale, économique et politique. S'il a été fait mention,
dans les pages précédentes, plus spécifiquement des deux
premières, il ne faut pas pour autant occulter le rôle joué
par le contexte économique, les réglementations, la pression
foncière ou encore l'incohérence des politiques
appliquées.
La régression du couvert végétal est au
moins autant imputable à ces facteurs qu'à la récession
pluviométrique et à la pression démographique.
Il est évident que les facteurs de l'intensification de
la pression maraîchère sur la végétation sont
nombreux et variés d'où notre choix de privilégier
seulement trois axes de réflexion bien précis. Nous aborderons
donc cette étude des facteurs à travers :
-les facteurs juridico-institutionnels
-l'incohérence des politiques appliquées
-le contexte économique.
I. LES FACTEURS JURIDICO-INSTITUTIONNELS
Le statut foncier est l'un des traits sociaux qui s'imprime le
plus visiblement sur les paysages agraires et sur l'écosystème.
Cependant ce statut est au Sénégal et en particulier dans la zone
des Niayes marqué par une imbrication entre les règles
traditionnelles toujours en vigueurs et la règlementation moderne qui,
ici, en plus de la loi sur le domaine national, inclut le statut particulier de
la zone.
Dans la société traditionnelle wolof, le
patrimoine foncier appartenait à la communauté, celleci
délimitait son domaine par le feu. La gestion en était
confiée à un législateur : le lamane. Le
colonisateur a tenté de modifier les coutumes sur le territoire
national. Mais les institutions proposées à savoir la
propriété privée ne trouvaient pas l'approbation des
populations qui conservaient leurs anciennes pratiques.
Par la suite pour éviter la confiscation de terres par
des personnes intéressées, les autorités
sénégalaises ont adopté le 17 juin 1964 la loi 64-46 qui
incorpore toutes les terres non immatriculées dans le domaine national.
Cette loi confère le droit d'usage mais les terres affectées ne
sont pas en théorie sujettes à la transaction, la vente ou le
contrat de location. Un peu plus tôt en 1957, face à
l'insuffisance des actions de reboisement entreprises dans la zone, l'Etat a
pris en conseil un arrêt qui classe un territoire de 82 000ha en
«périmètre de restauration«.
Ce statut est similaire à celui de forêt
classée, l'article R2 du code forestier affirme ceci : « Constitue
le domaine forestier de l'Etat l'ensemble des zones classées comprenant
les forêts classées, les réserves sylvo-pastorales, les
périmètres de reboisement et de restauration, les parcs
nationaux, les réserves spéciales ». L'article 5
précise que « les périmètres de reboisement et de
restauration sont des terrains dénudés ou insuffisamment
boisés sur lesquels s'exerce ou risque de s'exercer une érosion
et dont le reboisement ou la restauration est reconnue nécessaire du
point de vue agronomique, économique ou écologique. Ces terrains
sont temporairement classés en vue d'en assurer la protection, la
reconstitution ou le reboisement. Les buts atteints ils peuvent être
soustraits de ce régime.»
En dépit de ces dispositions juridiques le statut
foncier est sujet à bien des incohérences et des
inégalités. Les nouvelles formes de réglementation
s'ajoutent aux anciennes sans pour autant les faire disparaître. Cette
situation d'interface permet de remarquer que les acteurs tant du
côté de l'Etat que des populations sont confrontés à
la diversité des normes qui finissent par paralyser les actions
effectives dans ce domaine.
Cette complexité des statuts fonciers favorise
insidieusement le contournement de la règlementation par exemple en
invoquant, si besoin est, le droit d'usage ou le droit coutumier. Or ces
derniers, pratiqués sous la forme que nous avons décrite, entrent
clairement en contradiction avec le statut de la zone ci-dessus
précisé.
En outre les paysans éprouvent, il faut le
reconnaître, un fort sentiment d'insécurité
vis-à-vis des terres qu'ils travaillent et dont ils ont conscience de ne
pas être les véritables propriétaires. Ce qui contribue
à intensifier la pression sur la terre avant que celle-ci ne leur soit
arrachée72. L'exemple des ICS73 qui
possèdent un immense domaine dans les Niayes ou celui, plus
récent, du MDL74 qui s'apprêtent à entamer une
exploitation de grande envergure sont tout à fait parlants.
Par ailleurs il faut relever l'application partielle ou
approximative du statut de forêt classée par les services des Eaux
et Forêts eux même. Les mesures coercitives sont totalement
absentes dans la zone, seul le volet restauration est pris en compte et ce
uniquement sur les dunes blanches et les dunes jaunes. De part et d'autre de
notre zone d'étude les moyens et les effectifs assignés à
cette surveillance sont largement insuffisants.
L'imprécision effective des textes relatifs au statut
juridique de la zone rend toute action répressive difficile. On peut
dire qu'en dehors du reboisement il a été procédé
à un déclassement officient du périmètre de
restauration. Les aspects relatifs à l'interdiction de coupe,
l'interdiction de feu de brousse, l'interdiction de pratiquer la culture de
l'arachide sur 20km de large sont mal appliqués. Pourtant la zone des
Niayes abrite quelques unes des espèces les plus menacées
(Borassus aethiopum, Parkia biglobosa, Khaya senegalensis) d'une part
et de l'autre des espèces qui bénéficient d'une protection
intégrale ou partielle à savoir Celtis integrifolia, Acacia
albida, Adansonia digitata, Borassus, Tamarindus indica, Zizyphus
mauritiana...
Nos questionnaires ont montré que lorsque la conscience
des interdits relatifs à l'exploitation ou l'élimination des
ligneux n'est pas absente, elle est bien souvent floue. En fait il faut savoir
qu'on ne coupe pas n'importe où, n'importe quand et surtout n'importe
quel sujet. Là encore les secteurs du nord sont plus déplorables
que Mboro car la majorité des enquêtés affirme qu'il n'y a
aucune restriction concernant les arbres hors mis les cas d'Eucalyptus
et de Casuarina. Le propriétaire d'une cuvette est par
conséquent considéré comme jouissant d'un droit absolu sur
la ressource ligneuse qu'elle porte.
En réponse à l'insécurité
foncière générée par les différentes
réglementations, on peut citer l'approche participative qui s'inscrit
dans une recherche de solution au problème de gestion des ressources
naturelles.
72 -La réalisation de nos placettes par des
mesures à provoquée par exemple une certaine panique
73 -Industries Chimiques du Sénégal
74 - Minéral Deposits Limited
Mais il faut reconnaître que si la ressource ligneuse
est menacée ici, c'est moins par surexploitation que pure
élimination pour faire de la place aux cultures
maraîchères. Par conséquent la marginalisation de la valeur
d'usage des arbres, contrairement à l'habitude, pose un problème
d'autant plus difficile à résoudre que les espaces agricoles se
rétrécissent de plus en plus. «Dans ce contexte le nouvel
ordre institutionnel instauré par la décentralisation, même
s'il apparaît comme une volonté réelle de
responsabilisation des acteurs à la base, se révèle comme
une équation aux dimensions multiples75». P. Ndiaye
exprime cette inquiétude76 en ces termes : « La question
ouverte renvoie à la possibilité légale d'impliquer les
populations à la gestion durable des ressources obtenues sur des espaces
aux statuts aussi précaires ». Dans la communauté rurale de
Darou Khoudoss, les ambitions politiques prennent facilement le pas sur les
préoccupations environnementales77.
A cela il faut ajouter que la perception populaire de la
régression de la végétation ligneuse, même si elle
est tout à fait claire (à cause de l'assèchement des
nappes et de l'abandon des terres de culture pluviale), n'est rien en
comparaison des besoins et des urgences liées à la subsistance
quotidienne. Par conséquent si l'Etat souhaite appliquer correctement
les règles de conservation du potentiel ligneux dans la perspective d'un
développement durable, il doit offrir, sous une forme ou une autre, des
compensations au moins aussi importantes que les pertes que cela suppose pour
les paysans.
A cet effet, la création de réserves
communautaire de base, même si elle ne concerne pas notre zone
d'étude, est une initiative fort louable de même d'ailleurs que le
projet d'exploitation de la bande de filao78.
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