TROISIEME PARTIE
Conséquences spatiales et sociales de
l'interrelation maraîchage - végétation ligneuse
Chapitre VI : EVOLUTION DU PAYSAGE DANS LA REGION DE
NIAYES : DE L'ECOSYSTEME A L'AGROSYSTEME
Végétation exubérante,
végétation luxuriante, les qualificatifs de densité n'ont
pas manqués pour décrire le recouvrement végétal
dans la zone des Niayes. Mais les processus de colmatages naturels
favorisés par des actions anthropiques ont contribué à
réduire diversement cette densité.
Ces dernières décennies en particulier le
paysage végétal des niayes a subi des processus de fragmentation
en général et plus précisément d'isolement des
habitats humides. Même si les premières hypothèses pour
expliquer cette évolution sont largement inféodées
à la sécheresse, il faut reconnaître que la grande
irrégularité du recouvrement végétal que nous avons
constatée entre Mboro et Diogo montre bien que la nature et
l'intensité de l'intervention humaine peuvent contribuer à
maintenir ou à détruire plus ou moins rapidement cette
couverture.
La pratique du maraîchage exerce aussi un gradient
sélectif de plus en plus significatif sur la végétation
originelle des niayes. Même si les oscillations climatiques du
passé ont pu laisser des traces décelables dans la composition
floristique, avec notamment les palmiers, la flore actuelle des niayes doit
être considérée dans sa globalité comme une
végétation composite avec d'une part les essences reliques
associées à des espèces de plus en plus
soudanosahéliennes et d'autre part des essences introduites par le
reboisement.
Flores d'origines et d'époques très
différentes se trouvent mélangées et distribuées
dans les Niayes suivant un gradient topographique, un gradient de
disponibilité hydrique et un gradient de sélection
anthropique.
Mais dans l'ensemble le paysage végétal est
dominé par des formes savanicoles malgré un potentiel forestier
reconnu. La matrice floristique est composée d'espèces à
très large distribution écologique et des espèces à
affinité méridionale qui sont actuellement en situation plus
précaire. Les espèces dont le développement s'harmonise
avec les conditions locales s'affirment de plus en plus tandis que celles qui
sont intolérantes aux nouvelles formes d'exploitation
maraîchère voient leur population s'affaiblir. Dans ces conditions
il importe de comprendre comment un paysage jadis très arboré
s'est progressivement déboisé et jusqu'où cette
humanisation peut aller dans un tel environnement et quels en sont les dommages
?
I. LA MISE EN PLACE DE LA VEGETATION DES NIAYES
La très grande dynamique liée à la nature
particulaire du substrat et au caractère capricieux du climat rend
extrêmement délicat l'étude de la mise en place de la
végétation dans la région des Niayes. Cette
difficulté tient aussi aux limites évidentes des
procédés utilisés et à la subjectivité des
extrapolations auxquelles ils peuvent donner lieu. L'étude de cette
végétation par la méthode des graines fossiles (permettant
de réaliser le diagramme pollinique par exemple) comporte de
sérieux risques puisqu'elle met en évidence les
échantillons des espèces les mieux conservées et ne
renseigne pas sur ceux de celles qui ne résistent pas aux
dégâts du temps quant bien même ces dernières
seraient majoritaires. Par conséquent les
familles qu'elles nous permettent d'observer doivent être
considérées avec toute la relativité
possible41.
Rappelons que l'objectif dans ce sous chapitre est double :
-d'abord tenter de donner un aperçu, aussi vague soit-il,
de la communauté végétale qui a
précédé celle d'aujourd'hui.
-ensuite montrer que les fluctuations climatiques et la dynamique
végétale qui s'en suivent ne sont ni des faits nouveaux, ni
exceptionnels dans cette zone.
La thèse de M. Fall42 qui a traité
des sédiments tourbeux entre Mboro et Diogo est à cet effet fort
édifiante. Les travaux de cet auteur ont mis en évidence les
espèces suivantes : Rhynchospora corymbosa, Heliocharis
atrapurperea, Mariscus umbellatus, Pycreus polystachyos.
Toutes ces espèces sont de la famille des Cypéracées
que Raynal43 avait associé aux milieux humides en particulier
Rhynchospora corymbosa qui serait une espèce
caractéristique des niayes dégradées.
« Les fluctuations de la population des
Cypéracées doivent être attribuées à
des variations de plan d'eau dans les réceptacles, trois cas sont
possibles. »40
-« Le premier épisode, intervenu probablement
après la phase d'aridification qui a marqué la fin de
l'Holocène inférieur, correspond à, une reprise de la
pluviométrie et à une remontée lente et rythmique de la
nappe des sables.
-L'épisode suivant correspond à une reprise
relativement importante de la pluviométrie dont les conséquences
sont une remontée progressive et rapide de la nappe et une
amélioration générale de la flore herbacée de la
tourbière.
-Le troisième épisode intervenu probablement
à l'Holocène supérieur correspond à une faible
reprise de la pluviométrie dont la conséquence est la
régression progressive de la flore »40.
Lezine44 abordant dans le même sens affirme
que l'environnement végétal des niayes a connu des
épisodes de dégradations mineures dont une, très
marquée, se serait produite vers 4000 BP.
On ne peut pas prétendre débattre de
l'évolution de la végétation des niayes sans faire
explicitement référence aux travaux de Trochain45 et
de Raynal.
1.1 La formation végétale originelle des
niayes
Malgré le consensus sur le caractère très
dynamique de la zone, il faut reconnaître que les opinions
diffèrent quant au passé de sa végétation. En effet
la complexité floristique brouille quelque peu les données et
favorise l'émergence de plusieurs scénarii.
S'il est vrai que Trochain inscrit le domaine qu'il nomme
subguinéen dans les étages adilittoral et paralittoral en y
individualisant des îlots épars de végétation
à affinité guinéenne, Raynal insiste quant à lui
sur l'existence antérieure d'une forêt qui relierait les
41 -Mais nous sommes bien obligés de nous
soumettre à ces méthodes puisqu'il y a en aucune de vraiment
fiable
42 -Environnements sédimentaires Quaternaires et actuels
des tourbières des Niayes de la Grande Côte du
Sénégal.
43 -Flore et végétation des environs de
Kayar (Sénégal)-1962
44 -Environnement et paleoenvironnement des niayes
depuis 12 000 ans BP-1986
45-Contribution à l'étude de la
végétation du Sénégal-1933
46 -Ouljien : la plus humide des périodes du
Quaternaire
47 -Dernière période humide du
Quaternaire, correspondant au Néolithique et beauc humide que
l'Ouljien
niayes les unes autres. Ces dernières ne seraient alors
qu'un facies humide de la forêt avec des transitions beaucoup moins
marquées qu'actuellement, l'ensemble serait assez cohérent pour
qu'on puisse l'inclure dans un domaine subguinéen qui s'étendrait
à toute la Presqu'île.
Ainsi Trochain conçoit cette végétation
comme une anomalie favorisée par des conditions particulières
alors que Raynal la considère comme la continuité même du
domaine guinéen. Il soutient à l'opposé de Trochain une
prédominance du contingent soudanien même s'il reconnait avec ce
dernier que l'équilibre primitif à pu être beaucoup plus
guinéen.
Les divergences ne s'arrêtent pas là, car
Trochain avance l'hypothèse que les vestiges forestières
hygrophiles du Cap-Vert, en somme les niayes, sont les dernières traces
d'une période géologique plus humide : le Paléolithique
ancien46. Raynal rétorque que l'installation de la
forêt n'a pue se faire avant le Dunkerquien47. Cette
dernière idée autorise un prolongement intéressant de la
réflexion, car si finalement les conditions climatiques qui ont vu la
naissance de cette forêt n'étaient pas si éloignées
des conditions actuelles, c'est donc à l'homme qu'on doit la
régression de son couvert. Et Raynal ne manque pas de le signaler sauf
que son argumentation reste assez brève.
|