I.5.1.2- Ethnicité comme paradigme
néo-colonialiste
La théorie politique du multiculturalisme mérite
plus qu'une mise en congé expéditive. Les catégories de
l'ethnicité peuvent contribuer à approfondir et à
problématiser avec lucidité le Nouveau Monde social auquel nous
avons affaire. Comme le dit Césaire, << il est temps de mettre
à la raison, ces Nègres qui croient que la révolution,
ça consiste à prendre la place des Blancs et continuer, en lieu
et place, je veux dire sur le dos des Nègres, à faire le
Blanc ». (A. Césaire, 1963 : 84) Nous devons prendre
conscience alors des réalités auxquelles l'Afrique est
confrontée et les prendre de façon raisonnable.
Au début des années 1990, certains chercheurs
pensaient que le vent de la démocratisation et de la
libéralisation économique allaient endiguer, sinon réduire
le phénomène ethnique et tribal en Afrique. Mais Jean Marc Ela
soutient que, << suite au désengagement trop prononcé
de l'Etat dans la vie économique, le processus démocratique
pourrait connaître un coup d'arrêt ». (Boukongou, 2002 :
8) Dans cette perspective et s'agissant de l'Afrique Centrale, Boukoungou note
que les transitions démocratiques << ont été
marquées par les clivages ethno-identitaires ». (Idem) En
conséquence, l'ethnicité semble aujourd'hui plus que jamais,
être au centre de la structuration de la réalité sociale,
que ce soit au niveau de la société considérée
globalement, qu'au niveau restreint des organisations, des associations, des
partis politiques.
Beaucoup d'auteurs semblent s'accorder sur le fait qu'il y
aurait un lien direct entre la décomposition de l'Etat en Afrique et le
regain du phénomène de l'ethnicité. A ce propos, P. Hugon
note que << dans les sociétés où l'Etat-Nation
demeure en voie de constitution et où les réseaux personnels et
les solidarités ethniques l'emportent sur l'institutionnalisation de
l'Etat, la crise économique a renforcé la décomposition de
l'Etat ». (1993 : 56) C'est cette situation d'affaiblissement de
l'Etat qui fut pour certains pays avec l'instauration du multipartisme,
à l'origine du développement du secteur associatif et des ONG.
Par ailleurs, le néo-libéralisme imposé
par les institutions de Bretton Woods dans le cadre des Programmes d'Ajustement
Structurel (PAS), dicte la réduction de l'intervention de l'Etat dans
l'économie ; l'Etat étant << l'ennemi » du
néo-libéralisme. Dans ces circonstances où, comme le dit
Ela, prévaut désormais << la mise sous tutelle de l'Etat
africain », on va assister à l'accroissement et au renforcement des
inégalités, à la marginalisation des groupes sociaux et
à la dégradation des conditions de vie. Le
rétrécissement de la fonction de l'Etat a entraîné
donc d'énormes conséquences sur le plan social et humain, dont
entre autres le mécontentement, les grèves, les
rébellions, les guerres civiles...
C'est ainsi que, comme va le relever M. Dia, << le
relâchement des liens entre l'individu et l'Etat a renforcé les
liens entre l'individu, la famille et son ethnie ». (1994 : 198) Par
là, la culture ethno-tribale devient une dimension importante dans la
gestion des organisations et semble même constituer un des fondements de
la logique du pouvoir africain. (Kamdem, Management et
interculturalité en Afrique : expérience camerounaise,
2002)
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