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L'ethnie dans le fonctionnement des partis politiques au Togo. Cas du CAR, de l'ex-RPT et de l'UFC

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par Labité Sodjiné AGBODJAN-PRINCE
Université de Lomé - Maitrise ès-lettres et sciences humaines 2012
  

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I.5.1.3- Ethnicité, une nouvelle forme de participation politique

L'ethnicité n'a pas une appréhension unique. Sa compréhension et son usage reposent sur les dimensions qui sont privilégiées dans la pratique ou dans l'analyse. Ainsi dans l'appréhension de l'ethnicité comme une forme de participation politique, allons-nous nous appuyer sur deux approches théoriques (instrumentaliste et constructiviste) pour faire ressortir cette forme paticipationnelle, et aussi nous évoquerons la théorie du vote ethnique comme forme de participation politique ethnique.

I.5.1.3.1- L'approche instrumentaliste du facteur ethnique

L'approche instrumentaliste est un courant d'idée qui prend en compte la compétition politique autant que les pratiques politiques de l'exercice du pouvoir comme constitutives de réalités ethniques. Ce courant circonscrit l'ethnicité comme une idéologie servant non seulement à conquérir, mais aussi à exercer et à conserver le pouvoir. Dans ce sens, l'ethnicité fait état de l'appartenance à une communauté par rapport à d'autres et intègre de cette manière, la manipulation dans les relations socio-politiques afin de comprendre les dynamiques du politique que Bayart (l'Etat en Afrique. La politique du ventre, 1990, p. 288) perçoit comme une réappropriation de l'Etat par les ethnies.

C'est dans cette marge qu'il faut appréhender les nouveaux phénomènes sociaux qui sont apparus dans les années 1960 et 1970. Il s'agit notamment:

> Aux Etats-Unis :

- des émeutes dans les ghettos noirs des grandes villes au début des années 60,

- de l'ampleur du mouvement des droits civiques traduisant le désir de citoyenneté des

Noirs jusqu'alors exclus de la vie politique américaine formant un << groupe de pression »,

- des descendants des immigrés européens, entraînés dans le sillage des Noirs qui

commencèrent à mettre en exergue une prétendue spécificité ethnique au sein d'un parti.

> En Europe, au début des années 70, on enregistre des regains de mouvements régionalistes. La France, société assimilationniste par excellence, connaît une

floraison de mouvements bretons, occitans, revendiquant des égards particuliers et une reconnaissance culturelle.

> En Afrique et dans d'autres pays colonisés, on est face aux idéologies nationalistes qui revendiquent l'indépendance.

Dès lors, la pensée pluraliste commençait à se développer notamment par N. Glazer et D. P. Moynihan. Elle chercha à expliquer ce que signifiaient toutes ces revendications à la différence, à l'authenticité, à l'indépendance, à l'autonomie, à l'auto-détermination et à l'autosuffisance qu'exprimaient toutes sortes de minorités ethniques et raciales aux quatre coins du monde.

Michael Novak (The Rise of Unmeltable Ethnics, 1971) développe aussi une approche pluraliste traditionnelle de type primordialiste axé sur le caractère indestructible des identités ethniques, ces dernières semblant résister même à l'assimilation culturelle objective. Les événements qui marquent cette période permettent aux chercheurs en sciences humaines de mettre en évidence un fait nouveau. Cette ethnicité était différente des liens primordiaux traditionnels. M. Martiniello indique qu'il s'agissait << d'un phénomène identitaire neuf favorisant l'émergence de nouveaux acteurs politiques. » (op. cit., p. 56)

L'ethnicité est une forme d'identification, foyer effectif de mobilisation de groupe pour des buts politiques concrets. La contribution particulière de l'ethnicité à cette mobilisation politique est de fournir un idiome qui favorise la solidarité de groupe et qui d'une certaine manière dissimule les intérêts spécifiques communs pour lesquels la bataille est menée.

<< La nouvelle ethnicité est donc considérée non comme un résidu de l'histoire, mais comme une option stratégique particulièrement appropriée aux exigences de la mobilisation sociale et politique dans les sociétés modernes (...). L'ascension de cette nouvelle ethnicité est liée à l'élargissement des fonctions de l'Etat et à la nécessité de s'organiser selon les critères ethniques pour profiter des ressources distribuées par l'Etat dans le cadre de ses nouvelles compétences. » (M. Martiniello, op. cit. : 55)

Les approches instrumentalistes situent donc l'ethnicité comme ressource mobilisable dans la conquête du pouvoir politique et des biens économiques. Leur mérite est de montrer que l'ethnicité n'est pas une réalité primordiale ineffable, mais qu'elle peut évoluer en fonction des circonstances et dans une certaine mesure du choix des individus.

I.5.1.3.2- L'approche constructiviste

Dans les pays africains, après les indépendances, le rôle de l'État a été toujours de contrôler la mobilisation des groupes ethniques dans la vie politique afin d'éviter l'extension des conflits, raison de l'adoption un peu partout sur le continent du monopartisme.

Les Etats africains doivent être considérés comme des acteurs centraux dans la création, la reproduction et la mobilisation de l'ethnicité à travers la reconnaissance qu'ils octroient éventuellement aux groupes ethniques et à travers les processus qu'ils mettent en oeuvre en vue de les institutionnaliser.

Le cas de la politique d'équilibre ethnique et régionale au Rwanda est un cas d'école. En se référant aux travaux de J. Nagel et al. (1986), nous nous rendons compte que la reconnaissance et l'institutionnalisation de l'ethnicité dans la politique accroissent le niveau de mobilisation ethnique parmi tous les groupes ethniques et déterminent les frontières selon

<< lesquelles la mobilisation et le conflit ethnique vont se produire en fixant les règles régissant la participation politique et l'accès au pouvoir. Les mécanismes de construction politique de l'ethnicité peuvent être rangés en deux grandes catégories, la structure de l'adhésion et du pouvoir politique, d'une part et le contenu des politiques publiques, d'autre part. >> (M. Martiniello, op. cit., 61)

Selon J. Nagel toujours,

<< la mobilisation ethnique dans un Etat est probable lorsque les structures de la participation, de l'adhésion et du pouvoir politique sont organisées selon les clivages ethniques. La régionalisation et la reconnaissance institutionnelle de la participation ethnique notamment peuvent promouvoir la mobilisation ethnique. >> (J. Nagel cité par M. Martiniello, op. cit., p. 61)

Deux moyens permettent d'arriver à une participation politique ethniquement structurée :

- la reconnaissance constitutionnelle de l'ethnicité comme base pour la participation politique. Exemples de la République Démocratique du Congo, des circonscriptions électorales unilingues en Belgique.

- la régionalisation de facto de la représentation pour la faire coïncider avec les frontières ethno-régionales.

Dans les deux cas, les groupes ethniques sont transformés en groupes d'intérêts et par conséquent la compétition est accentuée.

L'approche constructiviste met en évidence des facteurs externes aux individus, notamment l'État, et nuance ainsi le choix rationnel sur les contraintes. Elle est utile pour expliquer les cas des politiques de certains pays qui se basent sur ce facteur ethnique.

Nous pensons que cette théorie, combinée avec la théorie instrumentaliste serait de bons instruments pour étudier l'ethnicisation de la vie politique des pays africains et par là l'influence ethnique sur les partis politiques.

I.5.1.3.3- Le vote ethnique

Le vote est un phénomène complexe. C'est un acte personnel, mais qui s'inscrit dans des démarches collectives, des cultures et des traditions. La sociologie électorale en Afrique noire ne saurait se faire sans considération des études en cas par cas.

Dans une démarche explicative, Théodore Bakary (1985 : 64) tente de prouver pourquoi l'ethnicité serait source des attitudes électorales. Il démontre que, plus que les programmes, ce qui importe en compétition électorale, c'est l'identification des électeurs à un candidat considéré comme un << natif du terroir ». A ce propos, les programmes électoraux importent peu en définitive dans les pays africains, puisque les choix se portent d'abord sur les candidats et non sur les idées.

Bakary part du postulat que dans les sociétés africaines, les appartenances ethniques déterminent très souvent les comportements politiques même si cela n'est pas systématique. Pour lui, le choix électoral effectué par les votants lors des scrutins organisés dans les systèmes politiques d'Afrique subsaharienne est largement présenté comme le point de chute des sentiments de solidarité, de loyauté et d'allégeance témoignés par les électeurs à leur groupe ethnique d'appartenance et non comme une volonté d'obtenir des avantages personnels. Il va loin en disant que << l'unité de base en politique ne serait pas l'individu, mais le groupe défini comme une somme d'individus liés par une origine tribale, une langue, des croyances ésotériques ou encore une cause commune chapeautée par des intérêts similaires dans une unité ethnique articulée. » (Op. cit, p.66)

Conscients de l'influence qu'exerce l'ethnie sur les attitudes électorales, les gourous politiciens s'en servent intelligemment pour étancher leur soif du pouvoir politique. A ce propos, J.-P. Chrétien dit de ne pas négliger le rôle controversé de l'Occident dans les manipulations ethniques pendant les élections en Afrique. Cette récurrence de vote ethnique en Afrique amène Chrétien à dénoncer les circuits occultes par lesquels s'opèrent les soutiens des colonisateurs au tribalisme africain qui n'ont pour visée essentielle que de nourrir des manoeuvres de la géopolitique internationale. (Les ethnies ont une histoire, 1989)

Il faut noter aussi que, les démocraties avancées ne sont pas non plus épargnées de l'ethnicisation des votes. En France, à la différence de ce qui se passait dans les pays anglosaxons ou même en Belgique, les campagnes électorales ont longtemps ignoré le facteur ethnique. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. La logique de la diversité a conduit à une ethnicisation des listes et des candidatures aux élections municipales. Et, pour la première fois en France à l'occasion de l'élection présidentielle de 2007, le vote ethnique s'est manifesté de

manière puissante. Le vote ethnique n'a pas changé le résultat du scrutin, mais il a accentué l'écart entre Royal et Sarkozy.

Le déterminant ethnique est très important donc dans le vote comme forme de participation. Les acteurs politiques en ont bien conscience et jouent sur cet aspect. Il faut là reconnaître comme P. F. Gonidec que « malgré les attaques dirigées par les hommes politiques africains contre le tribalisme, il n'est pas douteux que ce phénomène joue un rôle important en matière électorale dans tous les Etats oil les ethnies demeurent bien vivantes ». (1978 : 255)

Ce qu'il faut alors décrier, c'est la récupération politique du phénomène ethnique pour exclure d'autres ethnies dans la gestion du pouvoir d'Etat. Le problème est plus profond que ce que l'on suppose, car en Afrique l'immaturité politique des électeurs d'une part, et l'analphabétisme d'autre part se posent avec acuité. Aussi longtemps que l'analphabétisme sévira dans ces sociétés, le phénomène restera réel.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein