V. DISCUSSION
Caractéristiques et évolution de tous les
patients du projet
Les résultats de cette étude montrent d'abord
que le recours aux soins a été tardif pour la majorité des
patients admis dans ce projet. Selon nous quatre facteurs importants expliquent
cette situation dans le contexte de Kinshasa. En effet ce projet a
démarré 20 ans après la notification du premier cas SIDA
dans cette ville en 1983. La masse des patients au stade SIDA était
déjà importante et le premier projet ARV de la ville ne pouvait
que faire face à cette triste réalité. Ensuite le
modèle de dépistage préconisé par la politique
nationale VIH repose principalement sur l'initiative du client. Dans un
contexte de forte stigmatisation et faible sensibilisation au dépistage
VIH, les personnes hésitent longtemps avant de prendre cette initiative.
Enfin les patients admis dans le projet étaient en grande partie
pré sélectionnés après un dépistage VIH+ au
niveau de 130 sites partenaires avant la référence vers le
projet.
Il apparait aussi dans cette étude une faible
rétention (6,2%) chez les patients qui n'ont pas encore commencé
le traitement antirétroviral avant. Le modèle d'organisation des
soins mis en place au début du projet pour gérer cette
problématique du recours tardif n'a pas fonctionné comme il
fallait, principalement à cause du manque d'expérience des
acteurs pendant la phase de démarrage des activités. En effet les
patients en situation critique étaient référés en
dehors du projet, vers certains hôpitaux de ville avec un personnel
insuffisamment préparé à la gestion des infections
opportunistes sévères. Le plateau technique de ces structures
était très limité pour le diagnostic et traitement des
infections des stades III et IV de l'OMS. Aussi les références
n'étaient pas toujours acceptées dans les hôpitaux à
cause des capacités limitées en termes de nombre de lits
disponibles et de la surmortalité précoce des patients
référés. L'inefficacité du dispositif a
été préjudiciable pour beaucoup de patients qui sont
décédés avant de commencer le traitement
antirétroviral. Le projet a principalement fonctionné avec un
modèle ambulatoire pour la prise en charge des patients en situation
critique. Un autre facteur était la longue procédure de
préparation avant de commencer la thérapie antirétrovirale
pendant les deux premières années du projet. Le patient
éligible au TAR devait d'abord prouver une bonne adhérence
à la prophylaxie primaire au Cotrimoxazole, subir une évaluation
socio-économique à domicile et attendre l'avis d'un comité
de validation qui se réunissait une fois par mois. Toute la
procédure de préparation durait en moyenne 4 à 6 mois.
Enfin le système de monitoring était basé essentiellement
sur les patients sous ARV avec le logiciel FUCHIA.
La rétention des patients dans le groupe sous
thérapie antirétrovirale est satisfaisante mais pas meilleure. La
tendance décrite par Rosen en Afrique subsaharienne pour ce groupe est
de 50% (scénario plausible) après deux ans (26). Notre
étude a trouvé une rétention de 69,5% après 4 ans
pour la cohorte pédiatrique et 62% après 5 ans pour la cohorte
adulte (suivi réguliers uniquement). Ces résultats pourraient
s'expliquer par la gratuité totale des soins, l'octroi des frais de
transport et un système efficace de recherche active des patients sous
ARV à travers un réseau des agents communautaires.
Survie après la thérapie
antirétrovirale
La probabilité de survie pour les enfants était
estimée à 96% à 6 mois, 95% à un an, 94% à
deux ans et à 88% à quatre ans. Avec le scénario pire la
probabilité de survie était de 94% à six mois, 91%
à une année, 89% à deux ans et 61% après 4 ans
de suivi. Pour la discussion des résultats de survie, les études
comparables étaient celles réalisées par Médecins
sans Frontières dans les contextes similaires. Aucune étude
publiée par MSF ne donne les résultats sur un suivi
au-delà de 3 ans. Une étude multicentrique réalisée
par MSF dans 16 projets (20) sur les enfants sous ARV (âge <13 ans) a
mesuré la probabilité de survie à un an de 95% avec
décès comme évènement et 87% pour le
scénario du pire. Une autre étude pédiatrique
réalisée par MSF au Cambodge par Janssens et collaborateurs a
trouvé une probabilité de survie de 91% après deux ans
dans le scénario pire (37). Au Rwanda, Griensven a trouvé une
probabilité de survie de 92,7% à trois ans en scénario
pire(23). Comparé à d'autres cohortes pédiatriques nous
avons jugé que les résultats initiaux sont comparables et que la
prise en charge est satisfaisante dans ce projet. Ce résultat s'explique
par la collaboration du projet avec une structure spécialisée en
prise en charge du SIDA pédiatrique à Kinshasa et appuyée
par la Croix rouge Belgique. Par ailleurs nous sommes concernés par la
chute de probabilité de survie après la deuxième
année. Bien qu'il s'agisse d'un petit nombre d'enfants et les IC95% sont
larges, une analyse approfondie s'avère indispensable.
La probabilité de survie pour les adultes était
estimée à 85% à un an, 82% à deux ans, 80% à
trois ans et 78% à cinq ans. Avec le scénario pire, la
probabilité de survie pour les adultes était de 73% à 2
ans et 66% à 5 ans. En effet en Afrique du sud, Coetzee et
collaborateurs (13) ont mesuré la survie sous ARV chez les adultes
à 86,3% à deux ans dans le scénario pire. Au Malawi,
Zachariah et collaborateurs (25) ont trouvé une survie de 85%
après deux ans. Une autre étude MSF réalisée au
Cambodge par Ferradini et autres (15) a trouvé cette probabilité
de survie à 85%. Nous avons jugé acceptables les performances de
ce projet sur base de la survie après initiation de la thérapie
antirétrovirale. De nouveau très peu des données sont
publiées au-delà de deux ans.
Par ailleurs une récente étude multicentrique
réalisée par la firme HEINEKEN a trouvé une
probabilité de survie de 89% après 4 ans de thérapie
antirétrovirale pour les patients adultes (scénario pire). La
cohorte était constituée des employés de la firme et leurs
membres de famille (12). La probabilité de survie à 5 ans a
été estimée au Botswana à 79% (11) et au Cameroun
à 40% (21), au Sénégal à 75,4% (6).
Ces résultats satisfaisants dans une grande cohorte ARV
ont été obtenus par Médecins sans Frontières
à Kinshasa grâce à une politique de gratuité totale
des soins, approvisionnement régulier en médicaments et
matériels de qualité, un programme efficace de formation du
personnel, un système de motivation du personnel et un monitoring
individualisé grâce au logiciel FUCHIA.
Le modèle final sur les prédicateurs de la
survie dans notre étude était constitué de l'indice de
masse corporelle, le taux de CD4 et le stade clinique OMS. Ce qui
reflète le recours tardif aux soins. Les résultats similaires ont
été observés dans d'autres études africaines
(21;21;25;25;38). Un problème rencontré dans la
modélisation était le nombre important des données
manquantes sur le taux de CD4. Nous avions crée une catégorie
spécifique pour tester une éventuelle association avec le
décès. Cette catégorie est apparue comme significative
dans le modèle final. Nous pensons que cela s'explique par le fait que
cette catégorie regroupe en majorité les patients stades III ou
IV qui auraient commencé les ARV sans bilan CD4. Nous sommes
également conscients de l'effet des oublis de saisie et des
périodes où l'appareil PARTEC était en panne.
Les limites de l'étude
Les données utilisées pour cette étude
ont été collectées en routine sans toute la rigueur
scientifique requise. Par ailleurs la collecte était assurée par
des médecins et infirmiers formés, et saisies sur support
informatique par un personnel spécialisé. Nous n'avons pas inclut
certains prédicteurs possibles dans l'étude par manque des
données. Il s'agit par exemple du taux d'hémoglobine et du niveau
d'adhérence au traitement antirétroviral.
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