INTRODUCTION GENERALE
Les marques sont l'une des plus vieilles créations de
l'homme. Leur utilisation au fil du temps s'est accrue de sorte que de nos
jours, leur valeur économique n'est plus à démontrer.
L'origine de la marque fait l'objet d'une littérature
non négligeable depuis de nombreuses années. Ainsi, M.TEDLOW
écrit « Qu'un produit standardisé, distribué
nationalement dans de petits emballages, c'était aussi un produit auquel
le fabricant pouvait donner un nom. Qui dit pouvoir donner un nom dit aussi
pouvoir faire de la publicité autour de ce nom. Ainsi apparut quelque
chose qui était plus qu'un nom, une sorte de super nom : la marque
»1.
La force de la marque dans la vie du consommateur suscite des
inquiétudes pour certains qui dénoncent « les
stratégies hyper mondialistes des géants américains, les
manipulations vis-à-vis du consommateur, et la politique du vide en ce
qui concerne le produit ; mais aussi l'exploitation d'une maind'oeuvre trop bon
marché ~2.
Déjà à l'époque de la loi du 23
juin 1857, le droit de la marque naissait du premier usage, mais la marque
devait être déposée pour être opposable aux tiers ;
même non déposée elle était protégée,
comme toute propriété contre les atteintes qui pouvaient lui
être portées, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.
En France, en dehors de tout usage, le droit sur la marque
pouvait naître du dépôt effectué au greffe du
tribunal de commerce ou du tribunal de grande instance du domicile du
déposant. Ce dépôt était effectué pour une
durée de quinze ans ; il pouvait être renouvelé dans les
mêmes conditions qu'un premier dépôt3.
1 TEDLOW RICHARD, « L'Audace et le marché
~l'invention marketing aux Etats Unis, Editions Odile Jacob, 1997, p.43.
2 CLEIN NAOMI, No Logo, La tyrannie des marques,
Babel, 2002.
3 Rapport Colombet, sous l'empire de la loi du 23 juin
1857.
Primitivement, la marque avait seulement pour vocation de
porter à la connaissance du public l'origine des produits et par le fait
même de garantir leur qualité. Cette fonction « socio
économique» de la marque a été affirmée
à plusieurs reprises par la jurisprudence qui, depuis 1877, a
considéré « qu'un signe non destiné à remplir
ce but ne peut être déposé à titre de marque de
fabrique »4.
La marque est communément définie comme
étant un signe distinctif dont la fonction est de distinguer les
produits ou services dans le commerce, de ceux des concurrents. Pour une
entreprise commerciale, la marque constitue un outil économique
nécessaire a l'identification de ses produits ou services sur le
marché. Avec le progrès technologique des dernières
décennies, la marque est devenue un moyen incontournable de
communication et de positionnement des entreprises, quelle que soit leur
taille. L'on attribue également à la marque un rôle
protecteur du public, en ce qu'elle permet au consommateur
intéressé par un produit ou service quelconque, de faire un choix
susceptible d'éviter d'être induit en erreur.
Depuis quelques années, la marque tend vers une
fonction symbolique. Elle a pour objet non pas la promotion de l'origine ou des
qualités intrinsèques de produits ou de services mais le
ralliement conscient ou inconscient à certains symboles,
véritables « signes de reconnaissance » pour certaines
catégories socio - professionnelles5.
Cette évolution se traduit en premier lieu par la
pratique consistant à faire exploiter certaines marques par des tiers
licenciés pour la commercialisation d'autres produits ou services que
ceux qui sont à l'origine de la renommée de la marque. Ainsi par
exemple, la marque « Coca-Cola ~ est aujourd'hui apposée
sur de nombreux produits sans relation avec la boisson qui l'a rendu
célèbre6.
4 Tribunal correctionnel de Paris, 11e
chambre, 9 mars 1877.
5 Bertrand (André R.), Droit des marques,
signes distinctifs-noms de domaine, deuxième édition, Dalloz
2005, p.18
6 Op.cit, p.19
Le droit de la marque confère au titulaire un ensemble
de droits et de facultés qui ont pour objet de lui réserver
l'usage exclusif du signe distinctif et de le protéger contre les
concurrents qui souhaiteraient profiter de sa position et de sa
réputation. C'est ce que la jurisprudence de la Cour d'appel appelle
l'«objet spécifique du droit de la marque ))7.
Le doyen ROUBIER voyait dans la marque « un droit de
clientèle )), dans la mesure où elle permet « grâce
à une emprise sur la clientèle d'obtenir des
bénéfices dans la concurrence économique
))8.
La jurisprudence considère que le droit de
propriété conféré par la marque n'est qu'un droit
de « propriété intellectuelle )) c'est-à-dire qu'il
s'agit seulement d'un droit exclusif d'usage ou plutôt «
d'occupation ))qui est limité à l'institution du signe
déposé dans son rapport avec le produit ou le service qu'il
désigne9.
La marque ne protège que les produits ou les services
visés lors de l'enregistrement et de ce fait, le droit accordé
à son titulaire n'est donc pas aussi « absolu ))que celui
accordé au titulaire d'un brevet ou au titulaire d'un droit d'auteur
puisqu'il n'est théoriquement opposable qu'à des concurrents
directs par le jeu de la règle de la
spécialité10.
Il n'en demeure pas moins que le succès d'une marque
ainsi que sa reconnaissance par le consommateur sont le fruit de la combinaison
d'efforts a la fois de temps, de travail et de ressources financières
qui, à juste titre, devraient permettre a l'entreprise titulaire de la
marque d'en tirer profit, en termes de part de marché. Dès lors,
se pose le problème de sa protection. L'enregistrement d'une marque est
valable dix ans et peut-être renouvelé de façon
illimitée pour autant qu'elle soit exploitée et maintenue en
vigueur selon les exigences légales.
7 Idem, p.19
8 Roubier (P), le droit de la propriété
industrielle, L. Sirey, 1952, p.104
9 C.A. Paris, 4e Ch.18 mai 1993, JBS, PIBD,
1993, III 687.
10 Bertrand (André R.), droit des marques,
signes distinctifs-noms de domaine, deuxième édition, Dalloz
2005, p.22
La Convention de Paris du 20 mars 1883 pour la protection de
la propriété industrielle pose quelques principes de base,
notamment celui de l'assimilation aux ressortissants Unionistes à celui
des ressortissants domiciliés dans un pays Unioniste. Et celui du droit
de priorité dont la durée de six mois pour les marques permet
à celui qui a régulièrement fait le dépôt
dans un des pays de l'union, de se prévaloir, pendant cette
priorité, de tous les droits reconnus au premier déposant.
Soulignons par ailleurs que l'exigence de la demande
d'enregistrement d'une marque est au coeur de toute réforme
législative, y compris de conventions internationales. C'est ce que nous
révèle l'article 6 bis de la Convention de Paris dans sa
révision de 1967 qui dispose : « qu'elle s'appliquera, mutatis
mutandis, aux produits ou services qui ne sont pas similaires à
ceux pour lesquels une marque de fabrique ou de commerce est
enregistrée, à condition que l'usage de cette marque pour ces
produits ou services indique un lien entre ces produits ou services et le
titulaire de la marque enregistrée et à condition que cet usage
risque de nuire aux intérêts du titulaire de la marque
enregistrée». Il en est de même du Code Belge de la
propriété intellectuelle11.
S'agissant des jeunes Etats de l'Afrique francophone, le
besoin d'assurer la protection des droits de propriété
industrielle s'est fait sentir au lendemain de leurs indépendances
respectives, au début des années 1960. Alors que l'Institut
National de la Propriété Industrielle (INPI) France assurait la
fonction d'office récepteur des marques pour l'ensemble des anciennes
colonies françaises, les 12 Chefs d'Etats et de gouvernements se
réunirent a Antanarivo(Madagascar), pour faire application des
dispositions de l'article 19 de la Convention de Paris et créer un
certain nombre d'institutions parmi lesquelles l'Office Africain et Malgache de
la Propriété Industrielle (OAMPI)12.
11 Son article 6,alinéa 1 dispose : «
Le titulaire d'une marque de fabrique ou de commerce enregistrée aura le
droit exclusif d'empêcher tous les tiers agissant sans son consentement
de faire usage au cours d'opérations commerciales de signes identiques
ou similaires pour des produits ou services identiques ou similaires à
ceux pour lesquels la marque de fabrique ou de commerce est enregistrée
dans les cas ou un tel usage entrainerait un risque de confusion. ...~, Code de
la propriété intellectuelle : Traités, lois et
règlements, 3e édition, Brulant 2009.
12 L'Accord de Libreville assurait la protection des
brevets, des marques de fabrique ou de commerce et des dessins et
modèles industriels. Il fut signé par les 12 Etats à
savoir: le Cameroun, la République Centre
Plus tard, les experts finalisèrent la tenue d'une
Conférence a Libreville, le 13 septembre 1962. Cet Accord a crée
un organe gouvernemental chargé d'administrer les droits de la
propriété industrielle, c'est le point de départ de
l'actuelle OAPI.
Avec le retrait du Madagascar et le désir
d'élargir le champ de compétence, un Accord fut signé
à Bangui, le 02 mars 1977. Cet Accord, institue l'Organisation Africaine
de la Propriété Intellectuelle (OAPI) qui administre toute la
propriété intellectuelle13. L'Accord de Bangui a
été révisé le 24 février 1999 pour
être conforme a l'Accord sur les ADPIC et moderniser certains aspects
pratiques de l'Accord. Son entée en vigueur est intervenue le 28
février 2002.
A la date d'aujourd'hui, l'OAPI compte 16 Etats membres, soit
un territoire d'une superficie d'environ 7.755.967 Km2 avec une population de
150.000.000 d'habitants. L'Accord de Bangui constitue la loi nationale sur
l'ensemble de ces Etats14.
Le système tel que prévu par l'Accord de Bangui,
offre des avantages pratiques intéressants et une sécurité
juridique à la fois pour les Etats membres et les déposants en ce
sens que les droits conférés par les titres de protection
délivrés sont valables sur le territoire de chacun des Etats
membres de l'OAPI.
Les attributions de l'OAPI figurent dans l'article 2,
alinéa 2 de l'Accord de Bangui Révisé. Au nombre des
missions à lui reconnues, il y a la délivrance des titres de
protection. Le domaine des marques qui fait l'objet d'un grand nombre de
dépôts d'enregistrement a l'OAPI, illustre bien les
caractéristiques du système OAPI. L'existence d'un office commun
OAPI assure une centralisation des procédures d'obtention, et un seul
titre qui est délivré, à savoir le titre OAPI. Il n'y a
donc pas de systèmes nationaux de délivrance des titres qui
coexistent avec le système régional.
Africaine, le Congo, la Côte d'Ivoire, le Dahomey
(aujourd'hui Bénin), le Gabon, la Haute Volta (actuel Burkina Faso), le
Madagascar, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad.
13 L'Administration est compétente
également pour les noms commerciaux, les modèles
d'utilité, les appellations d'origine et la propriété
littéraire et artistique.
14 De nouveaux Etats ont rejoint l'espace OAPI,
à Guinée, la Guinée Bissau, la Guinée Equatoriale,
le Mali et le Togo.
L'Accord de Bangui constitue le « Code de la
propriété intellectuelle »pour les Etats membres.
Ce Code, bien qu'il se soit inspiré du Code Français de la
Propriété Intellectuelle sur certains aspects, est beaucoup plus
original dans son contenu, moderne et est conforme aux Conventions
Internationales en vigueur.
La République Démocratique du Congo est un pays
francophone comme la plupart des Etats membres de l'Accord de Bangui. Elle ne
fait partie d'aucune Organisation régionale dans le domaine de la
propriété intellectuelle. Situé au coeur de la
région des « grands lacs », le pays a une superficie de plus
de 2.957 Km2 et une population de plus de 70 millions d'habitants. Sa
législation actuelle en droit de la propriété industrielle
date du 07 janvier 1982. En d'autres termes, elle n'est pas conforme aux
récentes évolutions issues de l'Accord de Marrakech de 1994,
notamment a l'accord sur les ADPIC.
L'Organisation mondiale du commerce (OMC) a classé la
République Démocratique du Congo dans le groupe des Pays les
Moins Avancés (PMA) et en tant que tel, elle bénéficie
d'une nouvelle période de transition qui expire le 15 juillet 2013 pour
mettre sa législation en conformité avec les dispositions de
l'accord sur l'ADPIC.
Le choix de ce sujet se justifie par le fait que L'Accord de
Bangui est un outil moderne d'intégration et une loi uniforme pour
l'ensemble des Etats Membres, contrairement à la République
Démocratique du Congo qui possède une législation qui n'a
pas fait l'objet de réforme depuis trente ans. En conséquence,
elle est devenue lacunaire au regard des dernières évolutions en
matière de la propriété industrielle. Etant donné
que les deux législations sont fondées sur le même standard
international, nous aborderons notre étude sous l'angle de la pratique
administrative entre elles pour la procédure d'enregistrement d'une
marque.
L'Accord de Bangui, comme la législation Congolaise de
janvier 1982, appartient à la famille romano-germanique,
c'est-à-dire proche du droit Français. Ainsi, pour une meilleure
compréhension de notre thème de travail, nous ferons
référence à la jurisprudence Française qui est plus
riche et complète en ce qui concerne l'étude de la
procédure d'enregistrement d'une
marque. De même, les décisions rendues par la
Commission Supérieure de Recours de l'OAPI ainsi que les rares
décisions Congolaise feront également l'objet d'un
intérêt particulier.
L'intégration économique régionale
implique l'harmonisation des normes, elle n'est envisageable qu'à partir
de l'analyse comparative de deux systèmes étrangers. Alors que le
droit comparé suppose que l'on regroupe les ordres juridiques nationaux,
que l'on analyse ces derniers pour voir en quoi ils se ressemblent et sur quels
points ils divergent.
En conséquence, notre travail propose de mener une
réflexion sur la procédure d'enregistrement d'une marque dans
l'espace OAPI et en République Démocratique du Congo et
démontrer l'intérêt pratique pour les déposants
éventuels de ne détenir qu'un seul titre pour la protection de sa
marque dans plusieurs pays. A partir des points de ressemblances et de
différences entre les deux systèmes, démontrer en quoi
l'unification législative est nécessaire a l'ère de la
mondialisation de nos économies.
Les droits accordés au propriétaire de la marque
« étant dérogatoires au principe général de la
liberté commerciale, leur délimitation doit être
opérée de façon rigoureuse15 ».
L'Accord de Bangui, tout en distinguant la marque ordinaire de
la marque collective, considère comme marque de produits ou de services,
tout signe visible utilisé ou que l'on se propose d'utiliser et qui est
propre à distinguer les produits ou services d'une entreprise
quelconque. Il s'agit notamment, des noms patronymiques pris en eux-mêmes
ou sous une forme distinctive, des dénominations particulières,
arbitraires ou de fantaisie, la forme caractéristique du produit ou de
son conditionnement, les étiquettes, enveloppes, emblèmes,
empreintes, timbres, cachets, vignettes lisérés, combinaisons ou
dispositions de couleurs, dessins, reliefs, lettres, chiffres, devises,
pseudonymes.
15 Reboul (Y), note Ann. Propriété
industrielle 1984, 220.
Est considérée comme marque collective, la
marque de produits ou services dont les conditions d'utilisation sont
fixées par un règlement approuvé par l'autorité
compétente et que seuls les groupements de droit public, syndicats ou
groupements de syndicats, associations, groupements de producteurs,
d'industriels, d'artisans ou de commerçants peuvent utiliser, pour
autant qu'ils soient reconnus officiellement et qu'ils aient la capacité
juridique.
La loi Congolaise de 1982 quant à elle prévoit
quatre sortes de marques qui sont : les marques de fabrique ; les marques de
commerce : les marques de service et la marque nationale de garantie. Elle
définit la marque comme « tout signe distinctif qui permet de
reconnaître ou d'identifier divers objets ou services d'une entreprise
quelconque. ». Ce signe est nouveau lorsqu'il n'a pas déjà
été enregistré comme tel pour le même produit ou
service. La marque est différente du nom commercial qui désigne
l'entreprise et de l'enseigne commerciale qui individualise une boutique. En
cas de combinaison, la marque est complexe ou composée.
La marque est complexe lorsqu'elle est composée de
divers éléments susceptibles isolement de constituer chacun une
marque valable. Elle est composée quand chacun de ses divers
éléments ou certains d'entre eux ne pourraient constituer une
marque valable, leur réunion seule validant la marque. Il sied de noter
que chacun des éléments de la marque appartient au domaine
collectif et il a été jugé que l'utilisation par un tiers
d'un seul de ces éléments ne constitue pas une
contrefaçon16. La marque nationale de garantie vise à
ratifier seulement et officiellement la qualité des marchandises
Congolaises. Les dispositions légales ou réglementaires
précisent comment joue cette marque pour les marchandises : les
conditions auxquelles seront subordonnées l'usage de cette marque, le
contrôle de la conformité des marchandises aux normes nationales
en vigueur ainsi que les sanctions y afférentes17. Son
abréviation est « Z.A.N.O.R. », il s'agit d'une marque de
certification.
16 Tribunal commercial de Bruxelles, le 18 avril 1938
in Com. Brux., 1939, p. 390.
17 L'Ordonnance 75-271 du 22 aout 1975 et
l'Arrêté départemental DENI/CAB/03/88 du 19 aout 1988
portant statut et gestion de la marque nationale de conformité aux
normes in J.O.Z. n°23, 1er décembre 1988, p. 26.
De ce qui précède, il nous semble mieux
d'analyser, dans un premier temps les règles de procédure
d'enregistrement des marques à l'OAPI et en République
Démocratique du Congo (Première Partie), puis dans un second
temps, la violation de la procédure d'enregistrement des marques
à l'OAPI et en République Démocratique du Congo
(Deuxième Partie).
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