7-LES CAUSES DE LA DEGRADATION DE LA VEGETATION
FORESTIERE.
Les paysages végétaux actuels de l'Oranie assez
particuliers par leur physionomie, leur structure et leur composition ne
peuvent trouver une explication à leur état que par l'impact de
l'action
« Aspects physionomico- structuraux de la
végétation forestière ligneuse face à la pression
anthropozoogène dans les
monts de Tlemcen et les monts de Dhaya (Algérie
occidentale)
anthropozoogène. L'homme est directement responsable,
par ses différentes interventions dans ce milieu, de cette situation
puisque la plupart du temps par son imprévoyance et sa
méconnaissance de l'écosystème forestier il provoque des
altérations souvent irrémédiables. L'action de l'animal
n'est pas à négliger comme le confirme GUINIER (1970): " En
France l'épidémie de la myxomatose qui a anéanti le lapin
de Garenne dans beaucoup de région, rend possible des
régénérations forestières inespérées
et permet la réapparition espèces dont on attribuait volontiers
l'absence à une modification des conditions climatiques ".
Le processus de dégradation des formations
végétales est si complexe par la multiplicité des facteurs
en présence et des interactions possibles que sa prise en charge
nécessite l'analyse de tous ces facteurs, du moins les plus
déterminants d'entre eux. Pendant des siècles également,
les relations entre sylviculture, pâturage et agriculture ont
évolué dans un seul sens imposé essentiellement par une
intensification constante et progressive de l'occupation et de
l'aménagement de l'espace se traduisant par une agression permanente du
milieu forestier. Les formations végétales étaient
impuissantes pour faire face au rythme constant de pression qu'elles
subissaient pour permettre la survie de deux secteurs vitaux: l'élevage
et l'agriculture. Une classification des zones à sauvegarder en
priorité était basée sur le concept économique
d'où la forêt passait en dernière position bien
après l'agriculture, l'élevage, l'industrie, l'urbanisation
etc... Cette situation s'est soldée par une prise de position suicidaire
des forestiers en voulant rentabiliser les écosystèmes ligneux
naturels pour réhabiliter le secteur dans une société
où les bilans économiques et financiers étaient
d'actualité.
" Les forestiers eux même leur (les forêts) ont
trop souvent appliqué les techniques d'exploitation et de conservation
mises au point à propos des forêts européennes, techniques
qui peuvent se révéler désastreuses en zone
méditerranéenne " notait QUEZEL (1976) à propos de
rentabilisation des forêts.
L'élevage est encore de nos jours à la base de
l'économie locale, l'agriculture traditionnelle est toujours
utilisée malgré ses limites ce qui justifie pour encore longtemps
les agressions que doit subir le domaine forestier dans son ensemble. L'avenir
de l'agriculture, de l'élevage, du tourisme et de l'industrie du bois
est à jamais lié aux formations végétales et
à leur sauvegarde.
Le rythme de dégradation et la multiplication des
facteurs font que toute forme de végétation ligneuse quelque soit
son stade de régression continue d'être détruite et rien
n'est épargné; les derniers remparts alors de lutte naturelle
contre les phénomènes de steppisation et de
désertification sont menacés sérieusement. Un à un
nous allons tenter d'analyser ces facteurs dégradants.
7-1. LES INCENDIES
Au rythme actuel de destruction du patrimoine
végétal par les incendies, dans un siècle au plus la
couverture végétale forestière sera anéantie.
Annuellement les feux de forêts détruisent en moyenne prés
de 2 % de la surface forestière nationale alors que les reboisements ne
sont que de l'ordre de 1% soit une perte de l'ordre de 15.000 hectares par an,
en supposant que tous les reboisements réussissent mais ce n'est
malheureusement pas le cas.
Parmi les agressions que subit la forêt, l'incendie est
le plus grave non seulement il peut entraîner la destruction totale de la
végétation mais il altère le sol, enlaidit le paysage et
compromet souvent la reconstitution végétale. Le feu risque de
mettre en cause l'existence même de la forêt lorsqu'il est
provoqué avec des objectifs d'extension de terrains agricoles, de zones
urbanisables, de terrains de parcours ou tout simplement pour créer des
postes de travail temporaires pour les riverains de la formation
détruite. L'intensité et la fréquence des feux sont si
redoutées que l'on parle dans la région de « la part du feu
» pour accepter l'ampleur des dégâts que commet ce
fléau. MARC (1916) cite: " Parmi toutes les causes de destruction qui
menacent la propriété forestière algérienne, il
n'en est certes, pas de plus grave que l'incendie. Etant donné les
conditions climatiques du pays, la constitution des boisements, la
mentalité et les habitudes des populations indigènes qui vivent
à leur contact ".
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« Aspects physionomico- structuraux de la
végétation forestière ligneuse face à la pression
anthropozoogène dans les
monts de Tlemcen et les monts de Dhaya (Algérie
occidentale)
Il y a lieu de noter que les forêts initiales de
chênes sclérophylles ou à feuilles caduques (et elles ont
exceptionnelles dans la région) sont caractérisées par des
espèces à exigences écologiques strictes (tant du point de
vue microclimat que des caractères du sol) qui contribuent par leur
localisation exclusives dans ces forêts à en assurer une
diversité floristique maximale (LEPART et ESCARRE, 1983). Ces
forêts potentielles et leurs espèces caractéristiques ont
été remplacées par des forêts de conifères
à croissance rapide et par d'autres espèces favorisées par
les feux soit par reproduction par graines (Cistus, Ulex,
Rosmarinus, Thymus, Calycotome ) soit par multiplication
végétative (Quercus, Phillyrea, Rhamnus, Brachypodium
) soit par les deux processus à la fois (Rhus,
Pistacia ).
Quant aux pyrophytes, favorisés par le feu, ils
constituent un pool d'espèces très agressives contribuant ainsi
par leur puissance d'occupation à uniformiser et banaliser le paysage
végétal et à réduire considérablement la
diversité floristique des structures de végétation en
modifiant notamment le jeu des processus de la concurrence
interspécifique.
Dans le domaine de la prévention, les opérations
sylvicoles par dépressage, les techniques de feux courants et les
parcours contrôlés en forêt, sont autant de moyens pour
soustraire au feu de nombreux écosystèmes. Ces
particularités sont essentiellement liées aux profondes
modifications survenues dans l'utilisation par l'homme des
écosystèmes forestiers et en premier lieu à leur
sousutilisassions voir à leur abandon.
7-1.1. Causes et importance
" Les principales causes de développement des incendies
sont liées entre elles et fortement un ensemble cohérent et
synchronisé. On remarque que la composition floristique et notamment la
stratification des végétaux jouent un rôle
prépondérant " soulignait BENABDELI (1983) sur les causes et les
facteurs stimulant les incendies. L'intensité, la fréquence et
l'importance de l'incendie sont en rapport avec le milieu physique et
végétal qui se caractérise par les facteurs climatiques
déterminants, la structure et la composition de la
végétation. La naissance et la propagation des incendies est
dépendante de la présence et de la réunion de cinq
éléments fondamentaux:
- l'imprudence et la malveillance qui sont fonction du taux de
fréquentation de la forêt et de l'intensité de
l'activité des différents utilisateurs. Concernant la source de
chaleur REBAI (1983) souligne: " Elle est produite par l'étincelle qui
déclenche le feu; elle a une origine parfois accidentelle, mais elle est
presque toujours provoquée par l'homme ",
- les causes biologiques qui accentuent ou atténuent
les risques, ils sont fonction de la nature du sous-bois, des débris
végétaux, de la teneur en humidité des
végétaux, de la stratification de la végétation et
des conditions météorologiques qui confèrent à ces
paramètres divers degrés de danger et de risque d'inflammation. A
ce sujet TRABAUD (1974) propose la classification suivante des combustibles
végétaux qui jouent un rôle déterminant dans les
incendies de forêt: les espèces végétales dominantes
(ont une action sur la dynamique du feu),la répartition spatiale de la
végétation (détermine le type de feu et ses
possibilités de propagation) et le biovolume (volume de matière
végétale susceptible de brûler en cas d'incendie ),
- les facteurs climatiques qui influent sur les risques
d'incendie sont le déficit en eau et l'élévation de la
température qui favorisent l'éclosion des feux. LAGARD (1973)
résume ces paramètres: "Les incendies de forêts sont dus
dans leur quasi-totalité à l'inflammation des déchets
végétaux du sous-bois. Pour que ces déchets s'enflamment
ils doivent avoir atteint un certain degré de sécheresse ",
- le parcours par ses effets de piétinement et de broyage
des débris organiques, de défoliation des espèces vivaces
entraînant une dessiccation de la strate buissonnante la plus
inflammable,
- les travaux forestiers entraînant la destruction totale
de la végétation ligneuse et l'installation d'une strate
herbacée dense se desséchant pendant l'été,
période propice aux incendies.
BARBERO (1988) précise que parmi les causes
déterminantes il y a lieu de noter: " L'urbanisation de nombreux
écosystèmes forestiers considérés par plusieurs
décideurs responsables, il y a quelques années encore, comme un
moyen de prévention révèle aujourd'hui ses dangers... Il y
a
« Aspects physionomico- structuraux de la
végétation forestière ligneuse face à la pression
anthropozoogène dans les
monts de Tlemcen et les monts de Dhaya (Algérie
occidentale)
donc de nouveaux risques au moment où l'on affiche une
volonté de plus en plus grande d'ouvrir aux loisirs la forêt
méditerranéenne ".
C'est un fléau assez ancien, depuis la domination
turque les incendies en Oranie étaient des événements
d'autant plus courants que les populations locales avaient besoin de terre de
culture et de renouvellement de leurs terrains de parcours. Le feu a mis en
péril nos richesses forestières avec les incendies
catastrophiques de 1863-1865, 1873, 1881, 1892-1894 et 1902-1903 qui ont pris
des proportions désastreuses. Ce problème ravageur pour toute la
couverture végétale a été étudié
depuis longtemps sous toutes ses formes et diverses mesures ont
également été prises telles que des dispositions
législatives et réglementaires dissuasives, des recommandations
dans un cadre de sensibilisation, des travaux et des mesures
préventives, une répression sélective et souvent injuste.
Malgré toutes les mesures autant préventives que dissuasives
prises pour la défense et la sauvegarde des formations
végétales d'importants sinistres eurent lieu et mis à nu
toute la faiblesse et l'impuissance des textes et de la stratégie de
lutte tant préventive qu'active. L'association de l'éleveur et de
l'agriculteur, riverains de la forêt, au devenir de la forêt a
toujours été rejetée pour des raisons injustifiables mais
en liaison avec l'incapacité de gérer ce milieu avec les
activités humaines qui s'y exercent. C'est sans aucun doute dans cette
relation milieu forestierutilisateurs que réside la solution au
problème des feux de forêt. Le rapport de la commission
d'enquête sur les incendies de forêts en avril 1866 soulignait: "
Habitées (les forêts) ou non, toutes étaient
alternativement envahies par le feu... La majeure partie de l'étendue
parcourue par le feu n'était garnie que de broussailles sans importance,
n'ayant de forêt que le nom. L'autre partie était
généralement peuplée d'essences à feuilles
persistantes, mais non résineuses, lesquelles, douées d'une
puissante vitalité, se montrent particulièrement promptes
à réparer le mal qui leur est causé. C'est grâce
à ces conditions spéciales que les bois ont pu, si non se
développer librement en Algérie, du moins s'y maintenir en
dépit des incendies systématiquement et de tout temps
allumés par les indigènes ".
Un autre rapport de cette commission, 38 ans après
(1904) persiste dans des conclusions discriminatoires en notant: " C'est
l'application du système agricole et pastorale des Arabes qui ne
cessaient de réclamer d'ailleurs le droit de débroussailler par
le feu, comme il existait autrefois pour satisfaire leurs besoins coutumiers ".
Une nuance était décelable dans ce rapport: " Les incendies ne
sont pas systématiquement allumés pour transformer la forêt
en maquis ou friche qui seraient par la suite abandonnées comme biens
communaux aux gens du pays ". On ne s'est donc jamais intéressé
aux causes réelles des incendies, qui obligeaient les `
indigènes' a à allumer les feux et à expliquer pourquoi
c'est toujours les mêmes zones qui sont menacées et
détruites.
Les causes à l'origine des incendies sont
réparties presque de la même manière en 1800 qu'en 1900 et
se ventilaient comme suit: 8% à des accidents, 23% intentionnelles et
d'intérêt, 32% à l'imprudence et 37% inconnues. Il y a lieu
de noter que 70% des incendies ont pris naissance à l'intérieur
des massifs forestiers et militent pour la révision à la baisse
du pourcentage de causes inconnues au profit de celles intentionnelles. Ce
facteur agressif et dégradant est énergiquement présent et
le sera encore pour longtemps si le secteur forestier continue à faire
du milieu forestier une zone interdite.
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