6-3. CONDITIONS PARTICULIERES
Il est difficile voire même impossible d'isoler l'homme
de son environnement surtout dans un milieu rural et forestier. Il n'est qu'un
élément d'une communauté fortement organisée
où chacun a sa place nettement déterminée. La cellule de
base est la famille fortement imprégnée par le regroupement qui a
pour souci majeur d'assurer la subsistance de ses membres. Les règles
auxquelles tous les organes doivent se plier font que l'élément
du groupe n'a pas une vie propre et individuelle. CHELIG (1959) souligne: " Il
faut retenir comme un fait intangible que le milieu rural traditionnel fera
toujours passer en priorité le problème de la subsistance et
sacrifiera s'il le faut tous les autres facteurs (semences, cheptel ...) pour
assurer sa nourriture en payant les denrées alimentaires à
n'importe quel prix ". Cependant le dernier bien que le paysan conserve est son
cheptel car il constitue une source de revenu périodique mais permanent
(viande, lait, laine, brebis). L'importance du troupeau est sacrée et
son maintien est indispensable en milieu rural puisque c'est la pièce
maîtresse qui stabilise la cellule familiale. Le même auteur cite:
" L'épargne est utilisée à constituer un petit troupeau
familial dont l'apparition ou l'existence dans une famille paysanne est un
signe de prospérité. Le petit troupeau familial a une grande
importance en milieu rural: c'est le livret de caisse d'épargne de la
famille". Ces aspects et ces particularités rendent complexe le
règlement du problème d'utilisation des écosystèmes
forestiers par des textes à la mesure des voeux du gestionnaire de cet
espace qui est en fait la propriété de toute la
collectivité.
La forêt joue un rôle important dans la vie
sociale et économique du fait de la faiblesse des secteurs vitaux que
doivent être l'agriculture et l'industrie. Dans une contrée
où la surface agricole utile est faible et mal répartie,
l'expansion démographique provoque une pression de la population
autochtone sur le domaine forestier. La forêt est indissociable de
l'homme, protégée elle devient un no man's land, une portion de
territoire inutilisable, improductive où il y a perte d'énergie
et de matière.
« Aspects physionomico- structuraux de la
végétation forestière ligneuse face à la pression
anthropozoogène dans les
monts de Tlemcen et les monts de Dhaya (Algérie
occidentale)
BENABDELI (1983) résume cette situation: " Comme au
siècles derniers, l'homme continue à exercer sans merci une
pression permanente et sans répit sur la couverture
végétale. Les moutons et les chèvres continuent à
brouter les jeunes pousses et l'homme à -dévorer- des milieux
naturels pour satisfaire ses besoins en industrialisant et en urbanisant ...
Cette dégradation a vu son rythme accéléré et son
effet accentué par la guerre de libération et notamment par la
prolifération des incendies, des défrichements et l'installation
d'une infrastructure intense. Au lendemain de l'indépendance, un certain
relâchement dans la protection des forêts a été
observé et a eut pour effet la multiplication des troupeaux puisque les
terrains de parcours abondaient et aucune loi ne protège et
réglemente l'utilisation des forêts ". Par faute de politique
forestière permettant une réhabilitation de la forêt dans
la vie sociale et économique du pays au même titre que
l'agriculture ou à un degré moindre l'industrie, on a tout fait
pour retirer une production des écosystèmes forestiers pour
justifier, à tord d'ailleurs, tous les investissements improductifs qu'a
absorbé ce secteur.
A ce sujet BENABDELI (1983) précisait: " En plus des
actions dégradantes anciennes et pérennes, le forestier essaye
maintenant de rentabiliser économiquement le semblant de forêts
existantes par une exploitation de bois. Il est à craindre (en plus du
pâturage et de l'utilisation de la forêt par l'homme) au regard de
la manière dont est réalisée et entreprise cette
opération, que commence une nouvelle forme de dégradation plus
grave et meurtrière pour la couverture végétale ".
Le climat, comme nous l'avons déjà
souligné, ne peut être à lui seul responsable de la
dégradation des formations végétales puisque ses
principales composantes n'ont pas subit de modifications significatives et ne
peuvent en aucun cas être à l'origine de l'état dans lequel
se trouve nos écosystèmes forestiers. LE HOUEROU (1968) exclue le
climat à juste titre même en zone aride: " La
végétation des zones arides de l'Afrique du Nord est en voie de
régression rapide depuis quelques décades (1930 environ), cette
régression résulte de la pression démographique
grandissante qui se traduit par un surpâturage intense, l'extension des
cultures céréalières épisodiques et l'arrachage des
espèces ligneuses pour le bois de feu. Aucune modification du climat
n'est en cause ".
Les espèces intéressantes: chêne vert,
thuya, par la qualité de leur bois (résistance et
flexibilité) et de leur charbon étaient les plus
exploitées pour répondre aux besoins d'une population riveraine
de plus en plus nombreuse au lendemain de l'indépendance et pratiquement
depuis 1864 -1870. Les prélèvements (bois de chauffage, charbon,
piquet, charpente) ont altéré la composition de tous les
peuplements et formations bien venantes. Sous l'effet des incendies, des coupes
à blanc et d'un pâturage excessif le sol s'est également
dégradé; tous ces facteurs et des conditions favorables
réunies ont permis et favorisé l'installation et l'extension des
espèces résineuses ainsi que des espèces secondaires
indésirables mais dotées d'un pouvoir de multiplication
remarquable.
6-3.1. Une dégradation remarquable
La forêt était et demeure la source directe d'une
gamme très vaste de produits, bois de construction, bois de feu, charbon
de bois étaient très recherchés ainsi que des produits
accessoires tel que le liège, la résine dont la demande est
importante.
MORANDINI (1976) précise à ce sujet: " L'homme
considère la forêt comme une source de revenu inépuisable
et gratuite". Il résume la situation des causes de dégradation en
soulignant: " Il ne faut pas oublier qu'en région
méditerranéenne typique la forêt se trouve souvent en
équilibre très précaire dans un milieu écologique
très difficile: dans ces conditions, toute action nuisible peut
entrainer la rupture définitive de l'équilibre et une
dégradation très grave de la forêt".
Bien plus qu'ailleurs, la forêt oranaise a depuis
longtemps été liée à l'existence même des
populations pour lesquelles elle est indispensable pour leur survie. En plus du
bois et des produits accessoires qu'elle assure à l'homme riverain
surtout, la forêt demeure le seul fournisseur d'unités
fourragères. Mais malheureusement pour tirer profit de la forêt et
utiliser ses produits, l'homme est intervenu et intervient encore d'une
manière irréfléchie par des actions spontanées et
des interventions égoïstes où la pérennité de
la couverture végétale est reléguée au second plan.
Le
69
« Aspects physionomico- structuraux de la
végétation forestière ligneuse face à la pression
anthropozoogène dans les
monts de Tlemcen et les monts de Dhaya (Algérie
occidentale)
problème en Oranie se pose en termes de survie. La
question qui se pose et se posera avec acuité dans les années
à venir est de savoir si la partie septentrionale de l'Algérie
possède une couverture végétale suffisante pour permettre
une pérennité à l'agriculture, pour assurer une
alimentation en eau constante à travers la conservation du cycle de
l'eau et de favoriser l'épanouissement de notre environnement.
En Algérie, plus peut être que partout ailleurs,
la destruction de larges fractions de la couverture forestière des
chaînes telliennes fait peser sur la vie rurale du pays une menace d'une
gravité exceptionnelle. Citer les conséquences de cette situation
si bien résumée par TRABUT (1896) : " Quand les forêts
seront ravagées, que le sol sera dénudé et stérile
sur les sommets comme dans les plaines, nous aurons à lutter contre une
population de malheureux. Nous devons alors les repousser par les armes ou nous
ruiner en les secourant ".
Les responsabilités humaines vérifiées
par l'histoire dans la destruction de la couverture forestière sont
alarmantes car le taux de boisement du pays était de 30% à
l'époque romaine et qui n'est que de 11% pour l'Algérie du nord
et seulement 9% pour l'Oranie. Une lutte perpétuelle a toujours
été engagée et le demeure de nos jours entre les
influences humaines et les conditions naturelles. DEPOIS (1965)
précisait pour l'Atlas tellien en matière de dégradation:
" Aucune région d'Afrique du Nord n'a vu ses forêts
régresser et sa végétation naturelle
dégradée autant que l'Atlas tellien d'Oranie, celui où la
colonisation a le mieux réussi ". L'influence du milieu humain est une
cause puissante et profonde de dégradation, cette dernière a eu
des proportions alarmantes dans toute la région au même titre, si
ce n'est plus, que dans tout le bassin méditerranéen. QUEZEL
(1964) récapitulait la situation: " ... cette forêt, qui de l'avis
de tous les préhistoriens, recouvrait la quasi-totalité de la
région méditerranéenne à l'orée de
l'époque néolithique, a constitué un handicap
sérieux au développement de ces populations. Elle est en effet
incompatible avec l'existence de terrains de pâture... Il a donc fallut
détruire la forêt pour assure le maintien et le
développement des colonies humaines. C'est à partir de cette date
que l'homme... a commencé l'aménagement du paysage
végétal ".
Les forêts de la région étaient
qualifiées de belles et bien venantes avant la colonisation, mais pour
favoriser l'installation des colons dans les plaines et les collines elles
furent volontairement saccagées et défrichées par la
suite. BOUDY (1953) cite: " Les français y avaient trouvé des
montagnes couvertes de belles forêts ou, à défaut, d'un
épais maquis protecteur d'essences secondaires, qui ont disparu en
partie aujourd'hui ". La situation est estimée alarmante par plusieurs
spécialistes et des solutions urgentes, efficaces et radicales doivent
être trouvées dans l'immédiat si on ne veut pas assister
impuissant à une disparition totale de la couverture
végétale ligneuse naturelle. Soumise à une exploitation
anarchique (entendre utilisation dans son sens le plus large), la surface
forestière est en constante régression. Les conséquences
sont alarmantes puisqu'on assiste à la disparition de la
régénération naturelle seule garant de la survie des
formations forestières, à la rupture des équilibres et
à une dislocation de l'espace végétal naturel dans son
ensemble.
Sous l'action conjuguée de l'homme et de son animal,
tous les groupements végétaux ont été
touchés et ne subsistent que sous une forme de dégradation." La
végétation protectrice a été détruite en
premier lieu par l'homme et ses troupeaux, cette dégradation est
favorisée par les éléments du milieu physique qui
présentent le plus souvent des conditions favorables à la
régression du couvert végétal ou à
l'accélération du processus de destruction. La rupture
d'équilibre a été provoquée et a conduit
irrémédiablement dans les conditions actuelles à
l'apparition de formations végétales à pouvoir protecteur
très réduit et ne pouvant même pas se
régénérer convenablement face aux différentes
pressions qui s'y exercent " résumait pour les monts de Dhaya BENABDELI
(1983).
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