III- PROBLEMATIQUE
Aussi paradoxale que puisse paraître la situation qui
prévaut à Bidjouka et à Ngoyang, il faut s'efforcer,
à partir de quelques pistes de réflexion, de mieux expliciter le
problème
suscité par la construction d'infrastructures sociales
aux Bakola/Bagyelli de Bidjouka et de Ngoyang. On est, dès lors, conduit
à interroger l'histoire des relations de cohabitation entre ces
différentes communautés (Pygmées et Bantou), mais
également la culture des Bantou et celle des Bakola des localités
étudiées.
En effet, on peut relever que les Bantou nourrissent à
l'endroit de leurs voisins Bakola un certain complexe de
supériorité qui les pousse à considérer les seconds
comme des « soushommes » et à n'avoir, par conséquent,
aucune considération à leur égard . Ils recourent aux
Pygmées quand il s'agit de bénéficier des soins
thérapeutiques administrés par les Bagyelli, ou quand il s'agit
de se procurer du gibier ou certaines espèces
végétales.
En convoquant les notions
d'ethnométhodes et celles de
membre, nous allons tenter de comprendre pourquoi la
construction des infrastructures peut avoir une influence sur la cohabitation
entre Bantou et Bakola. Car le conflit est souvent larvé,
c'est-à-dire qu'on ne peut pas forcément le voir « à
l'oeil nu ». Ce qui veut dire qu'un visiteur extérieur, une
personne étrangère au groupe ou à la communauté,
pourra ne pas prendre conscience de son existence. Seule une familiarité
plus grande avec ces personnes et ces structures, ou une analyse approfondie,
voire anthropologique, pourra pointer l'existence d'un conflit.
En sollicitant le concept de
conflit, nous aurons ainsi un moyen d'aller
au-delà de la façade consensuelle et de la mise en scène
en direction de l'extérieur que les Bantou et les Bakola/Bagyelli
peuvent proposer à toute personne étrangère à leur
vécu quotidien. Ceci est particulièrement important dans le cas
des discordes qui surviennent régulièrement lorsqu'il s'agit de
mener une action de développement en faveur des Pygmées. Cela a
été observé lorsqu'il a fallu dédommager les
populations riveraines du tracé du pipeline Tchad-Cameroun dans les
arrondissements de Lolodorf et de Bipindi5.
A travers l'identification des groupes
stratégiques, nous allons comprendre comment les
Bakola/Bagyelli s'organisent autour d'une appartenance groupale commune pour
défendre leurs intérêts et répondre à
l'agression faite sur eux par les Bantou, quand il s'agit de la mise en oeuvre
des projets de développement orientés en leur direction.
La notion d'arène nous
permettra de comprendre pourquoi la construction des infrastructures sociales
aux Bakola/Bagyelli a fait de Bidjouka et de Ngoyang des lieux de
confrontations entre des acteurs sociaux en interaction autour d'enjeux
communs.
Ces quelques voies de résolution du problème
suscité que nous venons d'évoquer peuvent nous pousser à
explorer l'origine des tensions sociales survenues au lendemain de
5 Samuel Nguiffo, secrétaire
général du CED (Centre pour l'environnement et le
développement), in le Courrier ACP-UE janvier-février 2002.
l'appropriation de ces logements sociaux par les Bakola. Car
pendant que certains Bantou habitent de vielles maisons
délabrées, leurs voisins Pygmées sont logés dans
des habitations meilleures que les leurs. Tout ceci fait dire aux Bantou qu'on
assiste là à une inversion de la structure sociale à
Bidjouka et Ngoyang.
Nous nous intéressons également aux Bakola pour
voir quelle est leur part de responsabilité dans ces conflits. Nous
serons amenés, dans un premier temps, à souligner que les Bakola,
de par leurs activités cynégétiques et de cueillette,
adhèrent partiellement à ces actions de développement. A
Bidjouka, le hameau est souvent laissé à l'abandon pour une
période de deux à trois mois, le temps que dure la saison de
chasse. A Ngoyang, le phénomène des déperditions scolaires
des enfants Bakola est fréquent. Ce qui n'est pas du goût des
Bantou. Nous pouvons aussi relever la façon avec laquelle ces
habitations sont entretenues par leurs propriétaires.
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