IV-2-2-L'occupation des terres appartenant aux Bantou comme
cause des conflits
Les dynamiques à l'intérieur des
sociétés qui conduisent celles-ci vers une certaine
évolution marquée par la domination de certains groupes sur
d'autres ; allant du simple exercice du pouvoir à l'appropriation du
pouvoir. Cette situation a comme conséquence la confiscation du
territoire par ceux qui exercent le pouvoir et qui conduit ces derniers
à protéger cet espace et à refuser tout partage de
celui-ci avec d'autres groupes partageant le même espace territorial. Un
responsable de l'ONG dénommée GRAD-PRP basée à
Lolodorf nous a répondu parlant du problème foncier à
Ngoyang en ces termes :
La question foncière est un problème
très sérieux entre les Bantou et les Pygmées. Les Ewondo
sont allés jusqu'à dire que comme les ONG soutiennent les
Pygmées dans tout ce qu'ils font, les ONG doivent leur donner de
l'argent pour leur terrain sur lequel est construit le foyer. La raison
évoquée par ceux-ci vient du fait qu'ils disent que ce sont eux
qui ont donné les terres aux Pygmées pour que ceux-ci puissent
s'y installer. Les Bantou affirment avoir été abusés parce
que, disent-ils : « Nous croyions que les Pygmées étaient
juste là pour quelques temps et qu'après ils devaient retourner
en foret». C'est la raison pour laquelle ils ont demandé au SAILD
de les payer pour leurs terres qu'ils avaient cédées aux
Pygmées57.
Telle semble être la dure réalité à
laquelle sont confrontés les Bakola/Bagyelli. Que l'on soit à
Bidjouka ou à Ngoyang, la réalité est la même sur le
terrain. Les Pygmées se plaignent d'être victimes de
marginalisation au niveau de l'accès à la terre pour pouvoir
exercer des activités qui sont de divers ordres : agricole,
d'exploitation forestière, de mise en valeur, d'occupation domestique,
etc. Un Pygmée interrogé à Ngoyang au sujet de
l'accès à la terre nous a répondu en ces termes : «
Les Ewondo disent que tout ça ce sont leurs terres. Ils disent que
nous les Pygmées nous devons quitter d'ici et que le terrain leur
revient ». La protection des terres par les Bantou est l'un des
enjeux majeurs des nombreux conflits ayant jonché les rapports de
cohabitation entre ces communautés territorialement voisines. De prime
abord, on peut être amené à penser que les Pygmées
n'ont pas le droit de posséder les terres. Ce qui est faux ; au regard
de la Déclaration universelle des droits des peuples
autochtones58 qui dit en sa partie six(6), en ses articles 25 et 26
que :
57 MIMBOH Paul-Félix/ Responsable GRAD-PRP,
entretien réalisé le 05/01/2010 à Lolodorf
58 Déclaration universelle des droits des
peuples autochtones ; voir en Annexe
Article 25
Les peuples autochtones ont le droit de conserver et de
renforcer les liens particuliers, spirituels et matériels , qui les
unissent à leurs terres, à leurs territoires, à leurs eaux
fluviales et côtières, et aux autres ressources qui constituent
leur patrimoine, ou qu'ils occupent ou exploitent, traditionnellement, et
d'assumer leurs responsabilités en la matière à
l'égard des générations futures.
Article 26
Les peuples autochtones ont le droit de posséder,
de mettre en valeur, de gérer et d'utiliser leurs terres et territoires,
c'est-à-dire l'ensemble de leur environnement comprenant les terres,
l'air, les eaux, fluviales et côtières, la banquise, la flore, la
faune et autres ressources qu'ils possèdent ou qu'ils occupent ou
exploitent traditionnellement.
Mais il faut dire que la vérité est tout autre
sur le terrain au regard des menaces et du refus de l'accès aux terres
dont les Bakola sont l'objet de la part des Bantou. On pourrait donner raison
à MENARD qui dit à propos :
L' " aversion », le " sentiment d'être des
étrangers et des ennemis l'un pour l'autre », apparaissent comme la
" forme latente » d'une forme plus générale de socialisation
conflictuelle : Sans cette aversion, la vie [...], qui met chacun de nous
quotidiennement en contact avec d'innombrables autres individus, n'aurait
aucune forme pensable59.
Pour résoudre ce problème de l'accès aux
terres par les Bakola, il va falloir que l'Etat puisse prendre à bras le
corps la défense des intérêts des Pygmées qui
méritent en tout de point de vue de vivre où bon leur semble. Il
faut ici dire que la Constitution du Cameroun qui fut adoptée par la loi
n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du
02 juin 1972. La Constitution du 18 janvier 1996 est l'une des rares, sinon la
seule de l'Afrique subsaharienne à faire usage du mot « autochtone
». Elle dispose à cet effet dans son préambule que : «
l'Etat assure la protection des minorités et préserve les
droits des populations autochtones conformément à la loi
». Cette disposition de la loi fondamentale Camerounaise est
renforcée par sa tradition orale reconnaissant à certaines
communautés des droits immémoriaux sur certaines terres. La
Constitution reconnaît en outre l'égalité de tous les
Camerounais en droits et en devoirs et dispose que « l'Etat assure
à tous les citoyens les conditions nécessaires à leur
développement ». Et selon la lettre de l'article 2 de cette
constitution, la République du Cameroun « reconnaît et
protège les valeurs traditionnelles conformes aux principes
démocratiques, aux droits de l'homme et à la loi ».
Cela dit, il n'y a
59 O, MENARD ; Le conflit, op.cit
aucune loi de ce pays qui n'explicite pas ces dispositions
constitutionnelles. Toutefois, on note sur le terrain que ces dispositions de
la loi ne sont pas appliquées et ceci au grand dam des Pygmées
qui sont victimes des abus de pouvoir des Bantou. On peut dire avec Crozier que
:
Le phénomène du pouvoir est simple et
universel, mais le concept de pouvoir est fuyant et multiforme...quel que soit
en effet son « type », c'est-à-dire ses sources, sa
légitimation, ses objectifs ou ses méthodes d'exercice, le
pouvoir-au niveau le plus général-implique toujours la
possibilité pour certains ou groupes d'agir sur d'autres individus ou
groupes60.
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