IV-1- LA NOTION DE CONFLIT
Nous souhaiterions tout d'abord limiter notre réflexion
sur les conflits, aux domaines des rapports de cohabitation intercommunautaire
mettant en situation de conflit des communautés voisines mais
culturellement différentes à l'instar ici des Bakola/Bagyelli et
des Bantou (Ngoumba, Ewondo) vivant dans les localités de Bidjouka et de
Ngoyang. Ensuite, nous allons essayer d'éclairer la notion de conflit en
tant qu'anthropologue du conflit, c'est-àdire comme un chercheur qui
veut comprendre les conditions d'existence de la cohabitation et de la
coopération humaine, en regardant les relations intercommunautaires
comme les produits de construits sociaux dont il faut trouver la dynamique.
Pour bien nous faire comprendre, partons de ce qui pourrait
ressembler par bien des points à un paradoxe : dans le cadre des
relations intercommunautaires, on peut affirmer qu'aucun groupe ou
communauté ne veut vraiment volontairement et explicitement vivre des
conflits et pourtant qu'on rencontre fréquemment dans l'action
quotidienne. Ceci nous oblige donc à nous interroger sur les processus
sociaux qui conduisent les acteurs à se trouver pris dans de telles
situations alors même que les conflits sont généralement
vécus de manière négative par ces mêmes acteurs.
Pourquoi les situations de conflit dans la vie intercommunautaire, que nous
n'aimons pas et que peu de personnes aiment, se produisent quand même et
de façon assez fréquente ?
IV-1-1-Aperçu ethnolinguistique de la notion de
conflit chez les Ewondo
Une analyse ethnolinguistique du mot conflit
(etôm) dans la langue Ewondo montre que celui-ci a comme voisin
immédiat le mot guerre (bitâ), qu'il vaut mieux
éviter dans le cas général. Les Ewondo emploient le mot
etôm quand il s'agit d'une situation qui oppose deux individus
sans que cette dissension ne perturbe l'occupation de l'espace ou le partage
des ressources naturelles disponibles. Par contre, bitâ, c'est
lorsqu'il il y a opposition, confrontation entre deux groupes ou plusieurs
camps rivaux. C'est pratiquement la manifestation du conflit ouvert où
tous les moyens sont mis à contribution pour pouvoir vaincre son
adversaire, voire le détruire jusqu'à la mort. Comme mots
antinomiques du mot conflit, on trouve accord (ouyili) et
paix (ivevoé), supposés par conséquent permettre
d'éviter le conflit. L'entrée par le mot
compétition (nkat) donne aussi comme voisin le mot
conflit. Par contre le mot alliance (abaman ngoul) serait
antinomique du mot conflit. Le mot coopération (bene
ngam) propose le mot accord, déjà rencontré,
comme voisin. La coopération peut donc être pensée
comme une pratique conduisant à l'accord, qui évitera le
conflit.
Coopération /bene
ngam/
Compétition /nkat/
Accord /ouyili/
Alliance /ngam /
Conflit /etôm/
Coalition / abaman ngoul
/
Paix /ivevoé/
Guerre /bitâ/
La figure 145 montre le graphe de
mots que nous venons d'analyser.
Qu'il soit individuel ou collectif, le conflit est partie
intégrante d'un jeu social dans lequel il est nécessaire de
plaire à l'autre. Que l'on soit «
risquophile46 » ou «
risquophobe », et méme si l'on accepte le postulat
que les règles du conflit sont inhérentes et contingentes au
temps et au lieu d'épanouissement du développement de celuici,
force est de constater que le conflit s'impose partout, méme si nombre
de règles sont conçues dans le seul but d'éviter sa
survenue, tandis que d'autres visent sa gestion une fois celui-ci
déclaré. Le conflit s'impose d'autant plus qu'il va pouvoir
simultanément exclure et intégrer, et apparaître tout
simplement comme nécessaire puisque, par sa réalisation, il
permet d'en éviter d'autres. Le conflit apparaît comme
inhérent aux sociétés humaines. Mais, dans un monde
où presque tout un chacun dit souhaiter le retour à la paix en
rêvant à une concorde vraisemblablement utopique, il semble a
contrario plus facile de se retrouver dans le conflit, plus lancinant et
certainement plus perpétuel que la paix du même nom. Le conflit a
réinventé le mouvement perpétuel. La paix n'est finalement
qu'un sursis entre deux occurrences d'un conflit qui, par sa récurrence
polymorphique, ressurgit toujours, là ou ailleurs.
Le conflit est présent dans presque tout rapport
humain. Domestico-familial, régional, national ou global, larvé
ou bien ouvert, primitif ou sociétal, devenant alors structuré et
organisé, le conflit, multiple et protéiforme, est constitutif de
toute société. Les conflits
45 Graphe conçu par Paul Naegel, Chercheur, « Centre
François-Viète », université de Nantes ;
46 Risquophobe et risquophile sont des concepts utilisés
par Menard Olivier dans Le conflit, Juin 2005, Nantes l'Harmattan, Logiques
sociales.
survenus à Bidjouka et Ngoyang sont de nature
socioculturelle. Car, ceux-ci mettent aux prises des communautés au
sujet de la construction des infrastructures sociales aux Pygmées par
des partenaires au développement. Ces logements ont fait naître
des antagonismes entre des populations entretenant entre elles une coexistence
pacifique.
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