III-4-2-Les Bagyelli et les représentations
culturelles des infrastructures sociales
La construction du hameau de Bidjouka-Samalè visait
dans son volet social à faire sortir les Bagyelli du campement de
Binzambo de la forêt pour les installer en bordure de route. Les raisons
évoquées pour justifier le choix du campement de Binzambo
portaient essentiellement sur quelques difficultés qui entravaient le
mieux-être des Bagyelli vivant dans la forêt. Au nombre de ces
difficultés on peut citer :
Les enfants ne pouvaient pas aller facilement à
l'école à cause de l'éloignement du campement de
l'école publique de Bidjouka-Bambi.
L'inaccessibilité des populations aux soins de
santé primaires causée par l'éloignement du campement de
la structure sanitaire.
La difficile traversée de la Mougué
(rivière) pendant la saison de pluies.
L'isolement des Bagyelli du reste des populations vivantes
à Bidjouka. Ce qui contribue à leur non prise en compte dans la
politique de développement du village. Toutes ces difficultés
citées ont conduit la grande majorité des Bagyelli de Binzambo
à accepter volontairement de partir de la forét pour venir
s'installer au bosquet de Mangom (Bidjouka-Samalè). Toutefois, il est
important de mentionner le fait que même si les Pygmées ont
apprécié l'initiative il n'en demeure pas moins vrai que
plusieurs réserves ont été émises par les Bagyelli
qui ont contribué à remettre en cause le bienfondé du
projet de construction des maisons. La nécessité de construire
des maisons aux Bagyelli était une bonne chose mais comme nous ont
confié certains informateurs Pygmées au cours de nos entretiens
qu'ils n'ont pas été consultés pour savoir s'ils voulaient
quitter la forét pour aller s'installer dans un hameau qu'on leur
construirait. Mapfoung, un des leaders Pygmées du
hameau a déclaré :
Nous étions très contents quand Massila est
venue nous dire qu'on allait nous construire des maisons. Mais à notre
grande surprise les maisons n'ont pas été construites où
nous aurions souhaité qu'elles soient construites. Nous voulions que ces
maisons soient construites en foret. C'est là-bas que nous sommes
habitués à vivre. Nous venons ici au village(Bidjouka) pour
quelques temps. Après nous rentrons en forêt43.
La non prise en compte du point de vue des principaux
bénéficiaires que furent les Bagyelli a eu comme
conséquence la désertion rapide du hameau et l'abandon des
maisons
43 Mapfoung, entretien réalisé le
09/01/2010 au bosquet de Mangom (Bidjouka-Samalè).
qui leur avaient été offertes. Sur un total de
huit maisons, six d'entre elles furent abandonnées par leurs
propriétaires qui préférèrent retourner vivre en
forêt. Pour comprendre la réaction des Bagyelli face à ces
maisons qui leur étaient destinées, il convient d'interroger les
principaux acteurs au sujet des représentations culturelles qu'ils
projettent sur ces maisons.
Des informations collectées sur le terrain, deux
facteurs identifiés par les Bagyelli expliquent leur difficile
intégration à cette initiative qui visait à
améliorer leurs conditions de vie d'un point de vue global et celui de
l'habitat en particulier. Le premier argument développé par les
Bagyelli est lié au plan de construction des maisons. En effet, le
modèle de construction habituellement utilisé par les Bagyelli
n'a pas été pris en compte. La segmentation des maisons en
compartiments (salle de séjour, chambres, cuisine) ne cadrait pas avec
le schéma traditionnel de leurs cases. La case bagyelli est un tout. Le
Ngyelli ne fait pas une distinction entre les différentes pièces
de la maison. Un coin de la case sert de cuisine (étagère, claie,
foyer, etc.), les lits sont disposés de part et d'autre de l'espace
intérieur avec un ou deux sièges (sièges, bancs). Parce
que peu habitués à l'architecture qui leur est proposée,
les Bagyelli ne s'encombrent pas lorsqu'il s'agit de disposer les objets,
meubles ou ustensiles à l'intérieur de la maison. On trouve dans
la salle de séjour (salon) le lit, les ustensiles de cuisine (marmites,
assiettes, seau, etc.) ainsi que des outils (machette, houe, etc.)
placés à même le sol. La photographie ci-dessous montre
l'intérieur d'une maison occupée par un Bagyelli du hameau de
Bidjouka-Samalè.
Photo 19: Intérieur d'une maison appartenant a
NDIG David (Bidjouka-Samalè) Source : Aristide Bitouga
(Bidjouka 2009)
Le deuxième argument évoqué par les
Bagyelli est la disposition linéaire des maisons. En effet, la
société bagyelli est collectiviste et se traduit par le fait
qu'habituellement la construction des cases se fait de façon groupale et
sphérique. Les entrées des maisons d'un
même quartier sont toutes orientées vers une cour
centrale commune, ce qui illustre la structure foncièrement
collectiviste de la société Bagyelli. Ainsi, durant la
journée, les entrées de case ne sont jamais fermées (sauf
si l'ensemble de la communauté s'absente pour plusieurs jours :
l'obturation de l'entrée informe l'éventuel visiteur de l'absence
prolongée des occupants), et la nuit, si un panneau d'écorce fait
office de porte, c'est plus par souci de maintenir à l'intérieur
la chaleur dégagée par le feu et éviter l'intrusion des
animaux que de se dissimuler aux yeux du reste de la communauté. Avec
cette disposition linéaire des maisons, les Bagyelli ont vu tomber leur
esprit collectiviste. Or, comme l'affirment les principaux
bénéficiaires, cette disposition linéaire des maisons a
fait naître dans la mentalité des membres de la communauté
un individualisme qu'on n'avait pas jusqu'alors observé. Cet
individualisme a contribué à exacerber les tensions entre les
occupants du hameau de Binzambo-Samalè. Certains informateurs nous ont
fait savoir que de plus en plus, on parlait des problèmes de jalousie,
de tuerie, voire de sorcellerie. A cet effet, Mapfoundoeur Gervais
affirme que :
Il y a un problème de complexe entre eux. Je cite par
exemple Massila, elle est déjàémancipée
et eux ils sont encore comme ils sont. Il y a un peu de jalousie. Ce qui
fait
que quand tu vois quelqu'un déjà
évolué tu lui jettes des mauvaises intentions. Si bien qu'il y a
même ici déjà des problèmes de tueries. C'est l'une
des causes qui fait en sorte que d'autres préfèrent rentrer en
brousse. Par exemple Massila a fréquenté, elle est mieux
placée, elle a des relations et elle voyage beaucoup. Maintenant ses
frères l'accusent en disant qu'elle est ceci, elle est cela.
Voilà pourquoi eux ils ne veulent pas venir habiter ici. C'est l'une des
causes principales du fait que les maisons aient été
abandonnées44.
Ces nombreux incidents ont poussé beaucoup d'occupants
à abandonner leur maison pour rentrer s'installer en forét.
44 Mapfoundoeur Gervais, responsable Samalè du
hameau de Binzambo, entretien réalisé le 09/01/2010 au bosquet de
Mangom.
CHAPITRE QUATRIEME : CONTRIBUTION
ETHNO- ANTHROPOLOGIQUE A L'ANALYSE ET INTERPRETATION DES
CONFLITS
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