III-4- BAKOLA ET REPRESENTATIONS CULTURELLES DES
INFRASTRUCTURES SOCIALES
Toutes les sociétés, mêmes les plus
ouvertes aux changements rapides et cumulés, manifestent une certaine
continuité ; tout ne change pas et ce qui change ne se modifie pas en
« bloc ». Ce point de vue est la résultante de la somme des
observations que nous avons faites sur le terrain. En effet, que ce soit
à Ngoyang ou à Bidjouka, il est très difficile d'affirmer
que la construction des infrastructures sociales aux Bakola/Bagyelli a
considérablement modifié leur vécu quotidien ou leur
perception/représentation de l'habitat. Il devient dès lors
intéressant que nous nous attardions sur les représentations
culturelles des Bakola/Bagyelli au sujet de ces maisons dont ils sont les
principaux bénéficiaires.
De prime abord, nous pouvons affirmer que tout comportement ou
toute attitude de l'homme est une production de signification. Ce qui fait en
sorte que le comportement des individus ne peut se comprendre que dans le jeu
des signifiants et des signifiés. Il devient donc intéressant
pour nous d'interroger les schèmes culturels des sociétés
pour parvenir à comprendre le sens ou la place qu'elles donnent à
un objet ou à un élément extérieur à leur
environnement culturel. A ce propos, Jodelet dira :
Les représentations sociales sont des
systèmes d'interprétation régissant notre relation au
monde et aux autres qui orientent et organisent les conduites et les
communications sociales. Les représentations sociales sont des
phénomènes cognitifs engageant l'appartenance sociale des
individus par l'intériorisation de pratiques et d'expériences, de
modèles de conduites et de pensée42 .
Du foyer en passant par les maisons construites par la CBCS
à Ngoyang et le hameau de Bidjouka-Samalè, il est question pour
nous de dégager les processus qui déterminent
42 Jodelet, 1989 ; Les représentations
sociales, Paris : PUF
l'appropriation de ces infrastructures par les
Bakola/Bagyelli. Il nous revient dès lors dans le développement
qui va suivre de montrer comment les valeurs, les normes sociales et les
modèles culturels des Bakola/Bagyelli sont pensés et vécus
par les concernés en rapport avec ces nouvelles maisons dont ils sont
aujourd'hui les heureux propriétaires.
III-4-1- Les Bakola et les représentations
culturelles des infrastructures sociales
La construction du foyer scolaire de Ngoyang bien
qu'étant une émanation des Bakola eux-mémes n'a pas
produit l'effet escompté. En effet, les objectifs du projet SAILD-APE
visaient à augmenter le taux de scolarisation des enfants Bakola et la
régression du phénomène des déperditions scolaires.
Au regard des résultats obtenus sur le terrain, l'on ne saurait se
satisfaire de la situation à Ngoyang. Le foyer, bien qu'appartenant aux
Bakola, celui-ci n'a pas été intégré au «
capital collectif » de la communauté. Les populations ne se sont
pas approprié l'infrastructure pour faire d'elle une source
d'émancipation. Les parents n'ont vu dans le foyer qu'une
opportunité qui leur était accordée de se
désengager du devoir d'envoyer leurs enfants à l'école.
Que ce soit la gestion, l'entretien ou la participation communautaire à
la survie du foyer, ils n'ont rien fait sur ces quelques aspects. Le foyer se
mourait au jour le jour et cela se traduisait par l'état en friche des
bâtiments qui composaient le foyer (dortoir, réfectoire, salle de
fêtes, etc.). Le foyer est resté dans la tête des Bakola
comme étant l'affaire du SAILD et par conséquent ils n'avaient
aucune obligation au sujet de l'entretien et du maintien en bon état de
cette infrastructure sociale. La photographie cidessous montre l'état de
quasi abandon du foyer par les Bakola. On peut voir que le site n'est pas
entretenu par ceux qui devaient en principe le faire à savoir les
principaux bénéficiaires que sont les Bakola.
Photo 17: Foyer de Ngoyang a l'abandon et en friche
Source : Aristide Bitouga (Ngoyang 2009)
Pour ce qui est du projet qui a conduit à la
construction des maisons aux Bakola par la CBCS, nous pouvons dire que ce ne
fut pas au départ l'émanation d'une volonté propre des
Pygmées. Méme si aujourd'hui, on peut observer le fort engouement
de ces derniers à solliciter la pérennisation du projet. En
réalité, ceux-ci n'avaient pas été consultés
au sujet de la mise en oeuvre de ce programme. Mais au demeurant, force est
tout de même de constater que les bénéficiaires n'ont pas
boudé leur plaisir de devenir propriétaires d'un nouveau type
d'habitat qui n'était pour la grande majorité qu'une vue de
l'esprit. Car, au regard de l'investissement que nécessite la
construction d'une case moderne, très peu de Bakola peuvent s'offrir un
tel luxe. Pour la grande majorité des Pygmées de telles maisons
ne sont pas à leur portée. Seuls les Bantou, au regard des moyens
dont ils disposent, peuvent s'en construire.
Le projet prévoyait que l'implantation de la maison, le
tôlage et la pause des ouvertures seraient assurés par la CBCS ;
Pour ce qui est du bourrage des murs de la case, cela reviendrait à
chaque propriétaire de maison. Le bourrage terminé, il avait
été convenu que l'ONG achevait les travaux de construction par le
crépissage des murs. Mais les observations faites à Mimbiti nous
ont permis de nous rendre compte que certains Bakola qui avaient
bénéficié des implantations au courant de l'année
2003 en 2011 avaient été incapables de bourrer les murs de leurs
maisons. La photographie ci-dessous montre une maison appartenant à un
Nkola qui ne s'est pas préoccupé de bourrer sa maison. Femmes et
enfants vivent dans ce hangar qui leur sert de logis.
Photo 18: Maison appartenant à un Nkola de Mimbiti
et dont les travaux sont restés inachevés.
Source : Aristide BITOUGA (Mimbiti 2009)
Ce que nous pouvons retenir comme leçons de cette
situation est que les Bakola ne se sont pas reconnus dans cette nouvelle forme
d'habitat qui leur imposait pour être construite plus de travail et de
sacrifice. La grande majorité des Pygmées des campements de
Ngoyang
sont restés tributaires de leur habitat traditionnel et
peinent de nos jours à s'accommoder avec ces maisons qui « sont
venues des autres ». Nous pouvons également relever que la venue de
ces maisons n'a pas eu une influence sur le mode de vie des Bakola.
|