II-3-2-2-La théorie du conflit
Dans cette section, il sera question de présenter l'Ecole
de Manchester et les principaux théoriciens.
II-3-2-2-1- L'Ecole de Manchester
L'Ecole de Manchester a mis sur pied un
important projet de recherche anthropologique dans les régions rurales
et urbaines de l'Afrique Centrale britannique des années 1950 et 1960 ;
Ces recherches étaient coordonnées par le Département de
l'Anthropologie Sociale de l'université de Manchester et la
Rhodes-Livingstone Institute. Les innovations théoriques et
méthodologiques qui aboutirent à ce projet coopératif
n'étaient qu'une suite de celles qui avaient été
initiées dans le même domaine de recherche par Max Gluckman au
début de sa carrière académique comme agent de recherche
pour l'Institut. Plus tard, il devint le tout premier professeur du
Département d'Anthropologie sociale à l'université de
Manchester. Ses étudiants, plus tard, dans le cadre de leurs travaux de
recherche développèrent des approches théoriques et
méthodologiques de Gluckman qui, éventuellement, aboutirent
à la mise en oeuvre d'une école de Pensées:
l'Ecole de Manchester. Tout au long de sa
carrière, Gluckman a joué un rôle majeur dans la
création de l'Ecole de Manchester.
Quelques thèmes sont considérés comme
caractéristiques des approches de recherche de l'Ecole de Manchester.
Ses Théoriciens ont examiné des situations de conflit qui sont
contenues dans un ordre apparemment établi, qui est
perpétuellement menacé par le refus des individus à
accepter des compromis qui ne satisfassent pas leurs besoins immédiats.
L'Ecole
36 Albert Ogien, «A quoi sert
l'ethnométhodologie?», Critique, n° 735, 2008.
de Manchester se caractérise par son
intérêt pour le conflit et sa focalisation méthodologique
sur l'analyse des situations réelles; Les étudiants collectaient
les données à partir des observations faites sur les actions
sociales des individus et les décrivaient de façon très
détaillée. Leurs investigations démontrèrent un
intérêt pour le processus social dans des cas concrets de conflit
et de résolution de ceux-ci.
II-3-2-2-2- Les
théoriciens II-3-2-2-2-1- Max Gluckman
Max Gluckman (1911-1975), est né à Johannesburg,
Afrique du Sud des parents russojuifs. Il étudia l'Anthropologie
à l'université de Witwatersrand de 1928-1939, sous la direction
de Mme A.W.Hoernlé et Schapera. En 1938, il se rend à
l'université d'Oxford oü il décrocha son Ph.D deux ans plus
tard. Entre 1936 et 1938, Gluckman a mené des travaux de recherche dans
le pays Zulu. De ses expériences de terrain il rédigea entre
autre essais : Le Royaume Zulu de l'Afrique du Sud et
Analysis of a social situation in Modern Zululand. Gluckman a
développé plus tard son point de vue sur la question de
l'opposition segmentaire qui est le point central de la théorie du
conflit. Gluckman a développé sa propre approche théorique
sur les modes d'opposition et les conflits oü il approuve l'idée de
l'expression d'équilibre à travers le conflit en opposition
segmentaire et a insisté sur les multiples allégeances sociales
orchestrés par les acteurs des groupes d'opposition. Il était
influencé par le travail des néo-structuralistes d'Oxford,
particulièrement par les premiers travaux d'EvansPritchard. En 1939,
Gluckman se rendit en Rhodésie du nord comme chercheur de la
Rhodes-Livingstone Institute. Là, il mena des travaux de recherche parmi
les Barotseland. En 1941, ses travaux furent suspendus après qu'il ait
prit les commandes de la dite Institut. Peu après, il retourna à
Barotseland où il focalisa ses recherches sur les processus judiciaires
des cours tribales de Barotse. A partir des données collectées,
il publia deux livres de grande importance : The judicial process among the
Barotse of Northern Rhodesia37(1955) et The Ideas
in Barotse jurisprudence38(1965). Dans ses descriptions et
analyses, Gluckman démontre son intérêt pour les tribunaux
et leur rôle en tant que agents de moralité; En 7947, il quitta
l'Institut pour un poste d'enseignant à Oxford. Deux plus tard, il
renonce à son poste à Oxford pour une nomination à
l'université de Manchester comme le tout premier professeur
d'Anthropologie sociale. Gluckman forma la plupart des chercheurs, ceux qui
étaient désignés comme agents de recherche et pourvu
à un cadre académique pour eux après leur retour sur le
37 Gluckman ; 1955, The judicial process among the
Barotse of Northern Rhodesia
38 Gluckman ; 1965, The Ideas in Barotse
jurisprudence
terrain en Afrique Centrale. Leurs premiers rapports
étaient généralement présentés lors des
séminaires de Gluckman à l'université de Manchester.
II-3-2-2-2-2- Michel Crozier
Né à Sainte-Menehould, Michel Crozier
étudie à l'École des Hautes Etudes Commerciales (HEC)
avant d'effectuer son premier séjour aux États-Unis (1949-1950),
où il réalise une étude sur les syndicats
américains. Après avoir intégré le Centre National
de la Recherche Scientifique (CNRS) à son retour en France, il se
consacre à la sociologie du travail, dans le sillon de Georges
Friedmann, et se distingue en inscrivant sa démarche sociologique dans
un travail de terrain et d'enquête. Son analyse du Centre des
chèques postaux de Paris, en 1954, est ainsi suivie d'une enquête
sur le fonctionnement du Monopole français des tabacs et allumettes, qui
trouvent un certain écho en France et dans de nombreux pays.
Après un deuxième séjour
déterminant aux États-Unis, à l'université Stanford
(Californie), en 1959-1960, Michel Crozier fonde en 1961 le Centre de
sociologie des organisations. En 1964, il publie son premier ouvrage important,
le Phénomène bureaucratique39, fortement
influencé par les études culturalistes américaines, qui
conçoivent la culture comme un système de comportements
conditionnés par l'éducation et le milieu social. L'ouvrage
décrit le fonctionnement d'une administration française
marquée par la centralisation des décisions, qui engendre la peur
du face-à-face et qui aboutit à l'isolement de chaque
catégorie hiérarchique ainsi qu'au développement de
relations de pouvoir parallèles. Le fonctionnement et les
dysfonctionnements des systèmes bureaucratiques y sont analysés
à travers la manière dont les acteurs pratiquent entre eux le jeu
de la coopération ou celui du conflit.
Michel Crozier mène parallèlement une
réflexion méthodologique dans le cadre de l'analyse
stratégique, qu'il expose dans un ouvrage écrit avec Erhard
Friedberg, l'Acteur et le Système40.
Élargissant son analyse, il s'efforce de saisir des situations
concrètes, déterminées par le système de pouvoir
propre à une organisation. Il parvient à la conclusion que, loin
d'exécuter passivement une règle transmise d'« en haut
», l'acteur conserve toujours une marge de liberté : il
s'insère en fait dans un système d'actions concret, terme qui
désigne la
39 Crozier, M ; 1965, Le
phénomène bureaucratique ; Paris, Editions du Seuil.
40 Crozier, M & Friedberg, E ; 1977, L'acteur et le
système ; Paris, Editions du Seuil
multitude des jeux complexes régissant les conduites
humaines et orientant les stratégies. Selon Michel Crozier,
l'imbrication des diverses actions crée des « zones d'incertitude
» : du fait que l'on ne peut pas prévoir si les acteurs adoptent
une stratégie de coopération ou d'affrontement, l'issue de toute
réforme est aléatoire.
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