II-3-2-EXPOSE SUR LES THEORIES
II- 3-2-1- L'Ethnométhodologie
Dans cette section, il sera question de présenter l'Ecole
de Chicago et les principaux théoriciens.
II- 3-2-1-1- L'Ecole de Chicago
Les origines de l'Ecole de Chicago
s'enracinent dans la sociologie de la ville de Chicago de la
première moitié du 20ème siècle,
grâce aux travaux d'une mouvance née au sein de
l'Université de Chicago, dès l'ouverture de cette dernière
en 1892, et qui sera connue sous le nom de « l'Ecole de Chicago ». Et
ce n'est pas un hasard. La ville de Chicago du début du siècle
était confrontée, en effet, à des problèmes
explosifs : problèmes de déracinement culturel et donc
d'insertion-de « désorganisation réorganisation »,
diront les sociologues de Chicago- de la mosaïque d'ethnies qui la
constituait pour moitié de sa population en 1900, à la faveur
d'importants mouvements d'immigration en provenance de pays aussi divers que
l'Irlande, l'Italie, l'Allemagne, la Pologne ..., à quoi s'ajoute
l'immigration intense des Noirs Américains venus du Sud ;
problèmes de désintégration sociale aussi, avec, en
particulier et déjà, des phénomènes lourds de
délinquance, de gangs, de criminalité ; et encore,
problèmes de maîtrise d'une croissance urbaine gigantesque et
cependant non contrôlée ...
Autant de questions qui relèvent par excellence de
l'analyse sociologique, faisant méme l'objet d'une demande sociale
explicite d'études pour les comprendre et les traiter. Mais la
sociologie ainsi sollicitée se devait à
l'évidence d'être moins académique et plus pratique,
c'est-à-dire capable de traiter les problèmes et, pour ce faire,
de pénétrer les lieux où ils se posent et d'en saisir, de
l'intérieur le sens et les enjeux ...
Et c'est précisément cette sociologie empirique
que l'Ecole de Chicago va initier et développer jusqu'à
l'institutionnaliser. Et elle le fera d'autant mieux que nombre de ces
fondateurs, comme L. WARNER et R. REDFIELD, sont anthropologues de formation,
ou acquis aux vertus de l'observation in situ et du travail monographique,
comme E. HUGHES. L'histoire de cette entreprise de fondation s'est faite en
deux vagues :
Celle des précurseurs, jusqu'aux années 1920, avec
William I. Thomas, Robert E. PARK, Ernest W. BURGESS, Rodérick D. Mc
KENZIE ;
Celle des fondateurs de l'interactionnisme à proprement
parler (tel que conceptualisé sous le label « interactionnisme
symbolique »), qui donnera lieu à la « deuxième
école de Chicago », avec la première
génération, des années 1930-1940 : Herbert G. BLUMER,
Everett C. HUGHES, Alfred SCHUTZ, William L. WARNER, Robert REDFIELD ... . Et
une seconde génération, dans les années 1950-1960 avec
Harold GARFINKEL, Erving GOFFMAN, Howard BECKER...
II-3-2-1-2-Les théoriciens II-3-2-1-2-1- Alfred
Schutz
Avocat d'affaires à Vienne, Alfred Schutz écrit
en 1932 Der Sinnhafte Aufbau der sozialen Welt, un ouvrage sur la
phénoménologie du monde social dans lequel il tente de nouer les
fils reliant interaction sociale et intercompréhension. Fortement
influencé par M. Weber et par E. Husserl, A. Schutz forge le projet
d'une sociologie phénoménologique [... définie, comme] une
herméneutique de l'action sociale. A. Schutz, Le Chercheur et le
quotidien, trad. française, 1987). Elle vise à la
compréhension des procédures d'interprétation quotidienne
qui permettent de donner un sens à nos actions et à celle des
autres.
Tout comme Husserl considérait que le monde est une
donnée objective qui s'impose de la même manière, avec sa
structure et son histoire, aux individus qui doivent composer avec, Schutz
s'intéresse au monde social tel qu'il est perçu de façon
immédiate et familière grâce notamment à une
connaissance socialement distribuée(par les amis, les maitres, les
parents). Wébérien, Schutz accorde ensuite un primat à la
notion de sens de l'action. Pour résoudre le problème
délicat de la connaissance du sens de l'action d'autrui, Schutz pose les
bases d'une théorie de l'interaction.
A cette fin, il opère tout d'abord une analyse critique
de la notion wébérienne de compréhension et
reconnaît volontiers, malgré tout, que la connaissance
intersubjective par l'interchangeabilité des points de vue est possible.
En second lieu, il puise chez Husserl la notion de Typicité. La
typicité est un ensemble des schèmes interprétatifs qui
caractérisent notre connaissance familière te commune des choses
perçues par le biais d'intérêts et de sens communs. La
typicité n'est donc pas un stratagème heuristique visant à
mieux comprendre le monde historique (comme l'était, à l'inverse,
la notion d'idéal-type chez M. Weber) mais le produit d'une conception
du monde de la part des acteurs.
Schutz a été d'une influence déterminante
sur le développement de l'ethnométhodologie, non pas comme
passeur de Husserl en sociologie, mais bien plutôt par le fait que «
Schutz fut relu de façon très personnelle par Garfinkel qui
privilégia le thème, peu développé, de la
réflexivité du sens commun, c'est-à-dire de la
capacité des agents à rendre compte eux-mêmes de leurs
pratiques antérieurement à toute pratique scientifique. ».
Les travaux de Schutz servent également de point de repère pour
les sociologues qui, aujourd'hui privilégient une approche
phénoménologique de la vie quotidienne.
II-3-2-1-2-2-Harold Garfinkel
Né en 1917, H. Garfinkel est au début des
années 1950 inscrit en thèse sous la direction du sociologue
Talcott Parsons. Figure marquante de ce que l'on a appelé le
fonctionnalisme, ce dernier est marqué par le problème de
l'ordre: pourquoi y a-t-il dans le monde social de l'ordre plutôt que le
chaos? La réponse qu'il apporte dès 1937 (dans The Structure
of Social Action) à cette question est que les individus agissent
en suivant «des modèles normatifs qui règlent les
conduites et les appréciations réciproques». Ces normes
sont incorporées par les individus au cours de la socialisation et
appliquées sans même avoir besoin d'y réfléchir.
Parallèlement, H. Garfinkel se nourrit aussi de la pensée du
sociologue Alfred Schütz (1899-1959).Inspiré par la
phénoménologie d'Edmund Husserl, il tente de décrire
l'expérience individuelle du monde social comme un monde intersubjectif
allant de soi, un monde de routines.
La production d'un monde quotidien ordonné, non
problématique, routinier fascine également Garfinkel. Mais les
réponses de ses prédécesseurs ne le satisfont
guère. En effet, dans les deux cas, tout se passe comme si les normes ou
les routines agissaient de leur propre force, comme si les individus, dans leur
action ordinaire, ne faisaient qu'appliquer mécaniquement des
règles qui leur seraient extérieures. Et que,
symétriquement, le sociologue n'avait rien à dire sur la
manière dont concrètement les gens (inter)agissent ou se
comprennent. Les Recherches vont illustrer le point
de vue opposé. Pour le fondateur de l'ethnométhodologie, l'ordre
social (un monde prévisible) ne s'impose pas aux individus, il est
produit par eux. S'appuyant notamment sur l'interactionnisme symbolique et le
courant pragmatique, il montre que loin d'être des « idiots
culturels » agissant selon des alternatives préétablies, les
individus ont des compétences pour interpréter la situation dans
laquelle il se trouve et y agir convenablement. La science des
ethnométhodes, c'est-à-dire :
Des procédures appuyées sur un stock de
connaissances qu'utilisent les membres dans leur activité
quotidienne», vise donc à rendre compte le plus finement
possible «de la manière dont les individus font et disent ce
qu'ils font et disent lorsqu'ils agissent en commun ,dans le but de
découvrir les «méthodes» qu'ils utilisent pour
accomplir, au moment même où ils le font, l'activité
pratique dans laquelle ils sont pris 36.
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