Suite à cette brève étude sociologique
des publics, on peut se demander : quelles sont les motivations des
festivaliers ? La banalisation du terme << festival >> et son offre
qui tend actuellement vers la saturation peut nous amener à nous
demander si le public n'est pas épuisé par le concept de
festival.
· Les motivations
Par le terme << motivations >> on entend ici les
facteurs qui déclenchent l'envie de se rendre à un festival et
d'assister à un ou plusieurs de ses spectacles.
D'après Luc Bénito*, on peut
distinguer trois types de motivations : le projet culturel, le projet social et
le projet touristique. Ici nous analyserons simplement les deux
premières, la dernière étant moins intéressante au
sein de la réflexion de notre partie et que nous avons
déjà abordée durant la partie 6.
- Le projet culturel qui regroupe toutes les
motivations d'ordre culturel, c'est-à-dire ce que le public entend
pouvoir en retirer sur ce plan là. Il englobe deux points.
Le premier comprend l'enrichissement culturel,
qui se traduit par la motivation issue de l'idée du profit
qu'espère retirer le spectateur du festival.
C'est ici qu'apparait la notion de << public averti
>>. Ces festivaliers viennent pour << absorber >> une dose de
culture et découvrir de nouveaux talents. Mais ils s'y déplacent
aussi dans le but de confronter leurs acquis et les développer par le
biais de la qualité artistique, de la programmation et de l'ambiance
conviviale du festival, propices à une dynamique d'ouverture
vis-à-vis de leur discipline et des autres.
Toujours d'après Luc Bénito*, << Le
festival censé être le haut-lieu d'une discipline artistique est
sans doute, en terme d'enrichissement culturel, la pratique la plus propice.
>> D'après lui, « Les novices choisirons une programmation
d'artistes connus, tandis que les amateurs opteront plutôt pour des
spectacles de création. >> Cela n'est qu'une
généralité mais il est vrai que l'on peut mentionner
brièvement ici l'appellation « culture de masse
». La culture présentant aujourd'hui un très large
choix artistique, autant pour les disciplines que les oeuvres et les artistes,
que même un public averti peut
* Source : BÉNITO Luc, Les Festivals
en France, marchés, enjeux et alchimie - 2001 - p.35
<< s'y perdre >>. La culture de masse pousse les
consommateurs de culture à se réfugier derrière les
têtes d'affiches, les films les plus populaires, les livres best-seller.
Ainsi ils se sentent rassurer face à cet univers si riche.
Généralement les publics avertis sont plutôt des <<
experts >> dans leur domaine de prédilection mais s'avèrent
juste initiés aux autres disciplines. Nous pouvons en tirer la
conclusion qu'en fonction du thème du festival, même les publics
avertis peuvent être au même << niveau >> que le public
dit non sensibilisé, si le domaine du projet artistique ne s'assimile
pas à ses connaissances.
Nous en arrivons ainsi au deuxième point de la
motivation de cette motivation d'ordre culturelle, le rattrapage
culturel. Les festivals se concentrant en majorité sur la
période estivale, ils peuvent être vue comme un <<
rattrapage >> annuel. La fréquentation du théâtre,
des concerts et autres spectacles sont des pratiques qui s'avèrent assez
rares en moyenne au cours de l'année. En effet même les plus
férus de culture et d'art ne peuvent assouvir leur <<
appétit culturel >> tout au long de l'année, l'emploi du
temps quotidien primant souvent sur ces envies classés comme <<
divertissement >>. Ainsi les festivals apparaissent comme le moyen de
faire << le plein >> de spectacles et de concerts ayant souvent
lieu pendant les vacances ou les weekends.
Nous pouvons conclure par ce propos extrait de l'ouvrage de
Luc Bénito : << Les festivals offre une certaine
rentabilité pour leur séjour d'un point de vue culturel en
assistant à un maximum de spectacles en un minimum de
temps. >>
- Le projet social qui fait
référence à une catégorie de motivations
basées sur les normes sociales et/ou aux comportements sociaux types. Il
se divise en trois points. Tout d'abord, le <<
pèlerinage >> qui est la caractéristique
fondamentale des festivals. Ils sont l'occasion de se retrouver chaque
année pour une communauté de passionnés, voire de curieux,
autour d'une célébration d'un genre artistique. Comme le stipule
Luc Bénito, << à ce titre, la discipline artistique fait
office de quasi-religion pour un groupe de fidèles, et le festival
favorise sûrement la conversion à de nouveaux adeptes. >>
Ce sentiment de bien-être recherché par ces
individus d'une même communauté est le produit des festivals,
engendrant cette communion d'esprit.
Cela nous amène au deuxième point, la
rencontre et l'échange. Ce désir de
communication ne s'attribue pas simplement aux participants mais aussi aux
artistes et autres acteurs de l'évènement. La rencontre entre le
public et les artistes génère un échange culturel que Luc
Bénito aime qualifier de << relation très proche >>.
Ce rapport entre le public et les artistes est très important. Certains
festivals proposent même à leur
public d'assister aux répétitions des artistes
pour contribuer à valoriser cet échange. Il découle
directement de l'objectif premier des festivals, de promouvoir un genre
artistique, un artiste, une création, une oeuvre, etc.
Enfin le dernier point de cette motivation est lié
à la reconnaissance sociale. D'après Luc
Bénito << certains, enfin, se rendent à des festivals afin
de reproduire les pratiques d'une classe sociale ou d'un milieu
spécifique auquel ils veulent s'identifier ou qu'ils désirent
parfois intégrer. >>
On peut illustrer ce propos par l'exemple du festival du
Hellfest (cf. planche 7 ) qui s'affirme par une réunion
de passionnés de métal reconnaissant par leur excentricité
vestimentaire et une certaine << exhibition >> de leur ferveur pour
ce genre de musique souvent jugés par les non-initiés comme
violent voire sauvage.
· Conclusion des motivations : exemple de Jazz
in Marciac
En guise de conclusion sur la demande de festivals et des
motivations qui en découlent, on peut proposer une
typologie* en nous basant sur l'étude du cas de Jazz in
Marciac, qui reste l'une des références en la matière. Les
catégories de public qui vont être présentées ici
proposent une lecture assez pertinente compte tenu du fait qu'elle adopte un
niveau d'abstraction suffisant pour pouvoir l'appliquer à l'ensemble des
festivals.
Les quatre tendances qui se distinguent sont donc les suivantes
:
- Le public pour qui le festival
représente une animation locale, à
caractère festif. C'est une catégorie assez importante en
général pouvant englober par exemple les touristes de
passages.
- Le public de passionnés qui quant
à eux se déplacent exprès dans le but de passer quelques
jours au sein du festival qui est une catégorie plutôt
minoritaire.
- Le public de provenance,
c'est-à-dire le public régional dont l'implantation d'un festival
leur fournit l'occasion d'une sortie culturelle. Il ne s'agit donc pas d'un
public touristique mais d'un public ayant des pratiques culturelles assez
développées. Il représente une part assez importante au
sein des festivaliers.
- Le public local, englobant essentiellement
ici les populations locales qui ne sont pas
forcément amateures de
spectacles ou de culture en général. Ce public peut être
assimilé
à la motivation de curiosité, l'envie de venir
partager l'atmosphère de fête régnante
* Source : BÉNITO Luc, Les Festivals
en France, marchés, enjeux et alchimie - 2001 - p.40
pendant une manifestation. Cette part est aussi souvent assez
importante au sein des spectateurs. Nous pouvons constater qu'il n'y a pas
qu'un seul type de festivalier mais plusieurs types de public qui
fréquentent les festivals.
Cette analyse des motivations traduit donc les apports des
festivals pour leurs publics. Mais qu'en est-il concrètement de leur
fréquentation ?
? La fréquentation
Par raison de principe, un festival ne doit pas être
évalué pas son succès populaire surtout s'il est soutenu
par une puissance publique. Mais l'étude de la fréquentation des
festivals est en lien direct avec le << travail sur les publics >>
obligatoire pour les organisateurs des festivals. De plus, elle s'impose comme
une notion enrichissante au sein de notre réflexion sur l'impact de
l'activité des festivals sur le développement local. De
même concernant sa fonction au sein de l'offre culturelle qui,
d'après les nombreux constats que nous avons effectués
jusqu'à présent, dépasse généralement les
attentes premières.
D'après une étude d'Emmanuel Négrier en
2005*, en ce qui concerne les entrées payantes, les festivals les plus
célèbres (Jazz in Marciac, Les Chorégies d'Orange, etc.)
tirent la moyenne largement vers le haut et << faussent >> les
résultats. Ces festivals battent chaque année de nouveaux records
de fréquentation. Mais qu'en est-il pour les festivals plus <<
petits >> ?
Les constats de l'étude d'Emmanuel Négrier
indiquent une hétérogénéité des
festivals à forte fréquentation tant en ce qui concerne
les disciplines, les esthétiques ou les cibles, que la situation
géographique ou la période de l'année. Sur
l'échantillon de France Festivals, cinq festivals, soit 7% des
manifestations recensées, représentent 44% de leur
fréquentation totale. Nous pouvons penser que de manière
générale les publics vont vers des festivals <<
exceptionnels >>, un peu comme pour le principe de la culture de masse.
Face à une trop grande offre, une trop grande diversité, il est
plus rassurant de se << réfugier >> auprès des
têtes d'affiches et ici au sein des festivals les plus reconnus pour la
qualité de leur projet artistique. Ils s'affirment ainsi comme des
valeurs sures et
* Source : NÉGRIER Emmanuel, Les
Nouveaux territoires des festivals - 2007 - p. 32 à 41
« rentables > d'après les motivations des publics
que nous venons d'étudier.
La conclusion d'Emmanuel Négrier au sujet de
l'évolution de la fréquentation des festivals de
2001 à 2005 se résume en trois images bien
caractéristiques des différences de situation qui marquent le
paysage français :
- de manière générale est sentie une
augmentation globale, mais qui cache autant de hausse que de baisse
- la croissance de grosse augmentation est due à un petit
nombre de manifestations qui tire le groupe vers le haut. En
réalité apparaît des croissances assez
modérées.
- les baisses sont elles aussi concentrées sur une
minorité de manifestation.
Ainsi nous pouvons constater une absence de
caractéristique très nette, liée à un
genre, un lieu, un domaine particulier voire à une période
précise de l'année. Cette distinction indistincte nous
amène à être prudents face aux nombreuses thèses qui
tentent quand même d'expliquer de manière précise
l'essoufflement de certaines manifestations ou le succès grandissant
d'autres.
Les baisses de fréquentation assimilées
à l'évolution des subventions peuvent en revanche faire ressortir
l'hypothèse qu'elles pourraient être liées à des
soutiens publics amoindris. Mais cette coïncidence est difficile à
analyser et elle n'est constatable que pour une poignée de festivals par
échantillon. De plus certains festivals en croissance subissent tout de
même en parallèle une baisse de leurs subventions...
Pour analyser de manière beaucoup plus précise
l'évolution de la fréquentation des festivals il faudrait faire
une étude au cas par cas en décryptant tous les détails de
leur organisation et de leur déroulement ainsi que leurs
retombées auprès de leurs publics, ce qui n'est évidemment
pas imaginable au sein de notre propre étude.
? Les faiblesses : des participants
imprévisibles
En revanche, nous pouvons tenter d'analyser les contraintes
que certains festivals rencontrent au sein de leur fréquentation issues
de quelques faiblesses d'organisation et des comportements parfois
imprévisibles des participants.
Tout d'abord on peut se demander si le milieu rural, par sa
distance avec l'espace urbain
et son manque en termes d'offre de transport
en commun ne représente pas une
faiblesse concernant la
fréquentation, surtout en ce qui concerne la mobilité des
jeunes. Nous pouvons être amenés à penser que les
jeunes du milieu urbain peuvent être vite démotivés
à l'idée de devoir se déplacer jusqu'en milieu rural pour
assister à une représentation ou que les jeunes ruraux n'ont pas
de possibilité de déplacement au sein de leur région dont
la nécessité de la détention d'un véhicule et du
permis est compromettante.
Mais les festivals ont su repéré et trouver des
solutions face à ce << dilemme ». Ainsi le festival de
musiques actuelles dans les Landes, Musicalarue, implanté dans une
commune ne possédant pas de gare a trouvé un moyen
ingénieux pour répondre à ce problème de
mobilité. En plus de vanter les mérites du covoiturage sur son
site officiel, l'association du festival a collaboré avec l'entreprise
régionale << Les Bus des Ferias »* afin de permettre
aux populations de pouvoir se déplacer aisément jusqu'à
l'évènement. (cf. partie 4.3 )
La véritable faiblesse en ce qui concerne la
fréquentation est du à ces participants qui
sont souvent imprévisibles.
Outre la question des artistes que nous traiterons dans la
partie suivante, le comportement des publics, bien qu'il puisse être
appréhendé et envisagé par des études
antérieures, amène à une incertitude pour les
organisateurs face à leur projet artistique. Nous l'avons
étudié, leurs motivations et donc leurs attentes sont nombreuses.
Les festivals se doivent de faire preuve d'une véritable exigence en ce
qui concerne la qualité de leur programmation. C'est une situation
propre aux domaines des arts et de la culture où la demande s'exprime
souvent a posteriori. C'est un enjeu auquel un nouveau festival doit
faire face durant sa première édition. Ils existent bien
sûr des alternatives afin de réduire l'incertitude du comportement
du public, en anticipant leurs préférences. De plus les festivals
doivent constamment faire preuve de vigilance en renouvelant leur projet
artistique initial en fonction des attentes des festivaliers, autant pour les
<< fidèles » que pour les << éventuels »
nouveaux participants.
Tout cela nous amène à conclure par le fait que
la demande de festivals est toujours fortement
présente. Malgré l'offre incroyable des festivals de
musiques actuelles en France qui s'avère assez déstabilisante,
les festivaliers en demande toujours plus. Cela peut se traduire par
l'expression familière « plus on en a, plus on en veut ».
Leurs exigences face à une programmation de qualité est un
véritable << chalenge » pour les
organisateurs qui doivent faire preuve d'originalité,
rester à l'écoute des populations locales, tout en n'omettant pas
la question du développement touristique local afin de répondre
aux attentes des collectivités territoriales.
Enfin, il faut noter que les festivals de musiques actuelles
nationalement reconnus pour leur qualité artistique, tels que les
Vieilles Charrues ou encore le Hellfest, battent chaque année leur
record de fréquentation. Ils s'affirment ainsi comme des exemples de
réussites et comme des références indispensables pour tout
futur de porteur de projet.
*
*Pour plus d'informations, se
référer aux dépenses liées aux transports, page
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