Dans un premier temps il convient de mieux cerner le terme
« public ». On entend ici un rassemblement d'individus qui ont chacun
leur histoire, leurs références et des apprentissages bien
différents. C'est de là qu'est issue la difficulté d'un
festival : s'adresser à des publics
hétérogènes par la diversité de leur
rapport à l'art. Les organisateurs doivent assumer des missions assez
contradictoires. Ils doivent être
attentifs au tissu culturel local, tout en restant ouvert
quant à leur image nationale voire internationale. Ils sont
amenés à devoir penser à la fidélisation de leur
public mais aussi à son renouvellement. Leur projet artistique doit
être cohérent, rigoureux mais en même temps il doit
promouvoir un esprit festif, convivial et bien sûr être
divertissant.
Enfin il faut discerner la population du public. La notion de
population dépasse celle de public qui lui renvoie à des
pratiques culturelles acquises. Une population n'est qu'un public potentiel. Ce
qui est important de comprendre car population ne signifie pas public
acquis.
· Une meilleure connaissance des publics :
profil socio-économique
<< L'essor, ces dernières années, des
activités culturelles et de loisirs a poussé les responsables des
festivals à accroître les actions de promotion en lançant,
des études de publics. >>
<< La connaissance du profil socio-économique,
du lieu de résidence et des motivations du public festivalier sont
indispensables pour l'établissement de campagnes de promotion efficaces
et de supports de communication pertinents. >>
D'après ces extraits issus de l'ouvrage Les
Festivals en France, marchés, enjeux et alchimie de Luc
Bénito, nous amène au constat de l'importance d'une meilleure
connaissance des publics. Pour cela nous allons survoler le profil
socio-économique des publics afin de mieux les cerner et comprendre les
enjeux qu'ils représentent auprès des organisateurs de
festivals.
L'âge
Pour les festivals de musiques actuelles, le public se divise
en deux tranches. Le public de tranche d'âge « moyenne >>,
comme par exemple le festival de Jazz in Marciac. 27 % de ses festivaliers se
situent entre 36 et 45 ans. Les publics des festivals des musiques
amplifiées sont en général encore plus jeunes, surtout
s'il s'agit d'un festival à la programmation plutôt axée
sur le rock. Ainsi la deuxième tranche de public est dite << basse
>>, comme par exemple pour le festival des Eurockéennes de Belfort
dont la catégorie 21-24 ans domine avec une part de 35% suivit des 18-20
ans avec près de 25 % de ses spectateurs.
Citons par ailleurs les festivals pluridisciplinaires qui
nous intéresserons par la suite. La catégorie prédominante
pour ce type d'évènement est de 25 à 40 ans soit
près de 35%, suivi par les 18-24 ans avec quantà eux 25 % de
l'âge moyen des publics.
On peut ici noter que plus la tarification est basse plus la
tranche d'âge moyenne diminue. Les classes d'âges «
supérieurs >> sont prédominantes dans les festivals de
musique classique. Cette fréquentation s'explique par le fait qu'il
s'agisse en général d'un public d'amateurs fidèles.
Outre les préférences des jeunes pour les styles
de musiques actuelles, ils semblent en moyenne attirés par tous les
thèmes, autres que le classique
Le niveau d'éducation
Sur ce point peu d'études s'y sont consacrées.
En moyenne d'après les rares recensements, 24% des festivaliers sortent
de l'enseignement secondaire, seulement 3,6% d'un enseignement primaire et 11%
n'ont qu'une formation technique. *
D'après ces chiffres il semblerait que les festivals
soient fréquentés par un public plutôt << instruit
>>. Évidemment on peut émettre des doutes et des
réserves par cette généralisation. Néanmoins
l'écart entre les niveaux d'éducation est si important qu'il
crédibilise cette observation.
Les pratiques culturelles des festivaliers
Enfin on peut mentionner dans cette brève analyse du
profil socio-économique des publics la question des pratiques
culturelles des festivaliers.
A Jazz in Marciac 48 % des festivaliers ont répondu
avoir assisté à plusieurs festivals depuis un an. Parmi eux
ressortait un évident << public jazz >> présent
à 55% sur l'ensemble des spectateurs.
30% de ce << public jazz >> n'ont assisté
qu'à un seul festival, le plus souvent celui de Marciac.
Néanmoins, 22 % reconnaissent avoir assisté à plusieurs
festivals de jazz. Les autres festivaliers témoignent avoir
assisté à plusieurs manifestations, souvent assez diverses :
théâtre, danse, marionnette, musique classique et rock.
* Constats de Luc Bénito dans son
ouvrage Les festivals en France, marchés, enjeux et alchimie de
2001
On constate que le profil socio-économique du
festivalier, que nous venons ici simplement de survoler, ne s'écarte que
peu de celui d'un amateur d'art ou de spectacles. Le niveau d'étude
apparaît souvent comme déterminent dans la consommation
culturelle, bien plus encore que la catégorie sociale. Les arts et la
culture sont bien réservés à une certaine <<
élite > sociale. Pour autant les festivaliers sont plutôt
constitués d'initiés plutôt que d'individus de
condition aisée.
Par ailleurs il est important de noter en conclusion que la
structure du public varie énormément en fonction du thème
de la manifestation.
· Comment expliquer l'accroissement de la demande
de festivals ?
Suite à ce constat comment expliquer alors
l'accroissement de la demande de festivals si ce n'est pas par
l'élargissement des consommations culturelles ? On l'a vu
précédemment, la demande de culture est en hausse depuis les
années 1980. Dans les faits il ne s'agit pas d'une ouverture des publics
à des disciplines artistiques << traditionnelles > comme la
musique classique, le théâtre ou la danse. Mais à
l'élargissement dans les années 1980 du champ de la culture et
des disciplines nouvelles (hip-hop, arts de la rue, rock, bande
dessinée, design et mode...) pratiquées par des publics
différents.
· Public non averti et festivals
Mais il reste toujours la question du public dit << non
averti > face à la << fièvre festivalière >.
Les populations rurales peuvent y être assimilées étant
donné qu'elles sont plus enclines à une moins forte
sensibilisation à la culture par le manque de structures permanentes
culturelles sur leur territoire. Et cela se confirme par l'objectif principal
de la démocratisation de la culture, dont la priorité est
l'accès à la culture pour tous. Ce qui signifie bien
qu'aujourd'hui encore en France existe une forte concentration de public
<< non sensibilisé > à la culture. Nous l'avons vu au
début de ce mémoire, les festivals contribuent à la
décentralisation culturelle et ainsi à la démocratisation
de la culture. Mais comment arrivent-ils à séduire ce
public non averti ?
C'est là la mission et l'enjeu principaux des acteurs
culturels et dans notre cas des organisateurs de festivals d'apporter
des propositions artistiques de qualité à ces populations qui
restent « isolées ».
Les publics non avertis peuvent penser que la culture n'est
pas pour eux. Les festivals se doivent de dépasser cette réaction
et de s'imposer comme leur « premier pas > vers la culture. Cela rentre
dans la démocratisation de la culture qui explique la
nécessité de susciter la rencontre entre l'art et le public. Les
festivals proposent ainsi aux publics non avertis et aux populations «
isolées > en amenant la culture sur leur territoire
à faire la démarche de venir voir leur programmation et ainsi
d'apprécier la culture. Cette première approche est souvent
facilitée par le fait que les festivals poussent à la
curiosité. De plus leurs esprits festif et convivial y contribuent
fortement.
Mais n'apparaît-il pas ici un paradoxe
? Assimiler public non averti et populations rurales semblent
étranges étant donné que nous avons démontré
dans le premier chapitre que les ruraux avaient
désormais les mêmes modes de vies que les urbains
et que leurs différences s'étaient estompées par
l'ouverture au monde des populations rurales avec les nouveaux outils de
communication (télévision, Internet...). De même nous avons
mentionné le fait que la mobilité s'était accrue, les
espaces urbains et ruraux sont aujourd'hui reliés par un important
réseau routier et ferroviaire. Les limites entre ces deux espaces sont
de plus en plus minces, d'où l'apparition de communes rurales
multipolarisées de plus en plus sous influence urbaine.
L'élitisme présent dans la culture se renforce
lorsque les structures culturelles sont moins accessibles. En ville, les
théâtres sont aux coeurs de l'activité urbaine. Pourtant
leur fréquentation est moins élevée que le cinéma
et leur public est souvent constitué d'abonnés comme nous l'avons
expliqué dans la partie précédente.
Les habitants des campagnes prennent leur voiture pour aller
faire leurs courses voire pour aller travailler dans les villes, alors pourquoi
ne la prendraient-ils pas pour aller voir un spectacle en ville ?
Cela revient à notre argument sur la difficulté
pour un public non averti de faire la démarche d'aller à la
rencontre de la culture. La frontière entre les espaces urbains et
ruraux est certes de plus en plus mince. Mais l'idée de toujours devoir
aller au centreville pour accéder à des services « tue >
la notion de village qu'il ne faut pas oublier.
Tout cela se traduit par le fait que l'on ne peut reprocher
aux ruraux de ne pas se déplacer plus pour accéder aux offres
culturelles des villes. C'est à la culture d'aller à la rencontre
de ces populations et de respecter leurs valeurs et leurs façons de
vivre.
· Les possibilités d'adaptation de
projet artistique des festivals de musiques actuelles en milieu
rural
<< Les festivals sont les fils adoptifs de la
décentralisation. >> Cette expression d'Emmanuel Négrier
citée auparavant nous amène à la conclusion de cette
partie. Les festivals ont cette spécificité de pouvoir
s'implanter pratiquement n'importe où.
Nous allons maintenant nous pencher plus attentivement sur
les offres artistiques possibles pour les festivals de musiques actuelles. Nous
verrons comme leur programmation peut s'adapter aux
festivaliers lambda, aux touristes de passage et
en particulier à la population locale.
Commençons par le sujet principal de cette partie, les
populations rurales. Nous l'avons vu plusieurs fois durant ce mémoire,
les musiques actuelles englobent un large éventail d'esthétiques
musicales. Et c'est là l'un des atouts principal des festivals de
promotion de ce domaine. Leur projet artistique peut s'adapter plus facilement
en fonction du profil socio-économique des populations rurales
ciblées en tant que publics potentielles. Ainsi une localité
ayant une tranche d'âge moyenne en majorité pourrait se montrer
plus intéressée par une programmation basée sur le jazz et
ces genres dérivés, les musiques traditionnelles et du monde ou
encore la chanson française.
Reprenons l'exemple cité dans la partie 7.1
qui illustrait notre deuxième argument, basé sur le fait
que les festivals de musiques actuelles possèdent la faculté de
s'adapter plus facilement aux populations rurales, en poussant notre
réflexion un peu plus loin.
Le festival Musicalarue, dont son actuelle mission est
basée sur une meilleure << adaptation >> du projet
artistique aux landais, est en effet un cas exemplaire tout à fait
pertinent. Suite à la professionnalisation de l'association et à
la qualité du projet artistique qui attirait de plus en plus de monde,
était engendrée une certaine << dépossession
>> des populations face à leur festival. A la base Musicalarue
était en effet une fête de village qui a par la suite bien
tournée. Pour remédier à ce problème, Bastien Perez
axe sa programmation en premier lieu vers la chanson française et
seulement
après il s'ouvre aux musiques plus actuelles comme le
rock ou l'électro. L'afflux de visiteurs d'une jeune
génération permet dans ce cas-là de «
revitaliser » le village de Luxey. Les familles sont
reconnaissantes et fières de leur festival qui respecte leurs valeurs,
par la valorisation d'un esprit festif et conviviale. Elles se retrouvent dans
une programmation assez « traditionnelle », par ces artistes issus de
la chanson française et des musiques à texte. Et le projet
artistique contribue, par son ouverture sur les musiques plus actuelles,
à satisfaire les attentes des jeunes locaux et surtout
à animer le village chaque mois d'août, par le grand nombre de
festivaliers extérieurs au territoire venus partager cette ambiance si
particulière propre à Musicalarue.
Tout comme la chanson française, la musique jazz et
ses genres dérivés peuvent très bien s'adapter et
séduire les populations rurales. Nous l'avons vu au cours de ce
mémoire, le milieu rural est sujet à un vieillissement de sa
population et d'une forte influence de retraités venus profiter du calme
de la campagne. Les festivals de musiques actuelles ont cette
possibilité d'attirer un public d'une tranche d'âge moyenne, comme
nous l'avons vu avec l'exemple du festival de Jazz in Marciac.
De plus, les festivals de musiques actuelles entrant dans
l'offre totale de services touristiques d'un territoire proposent ainsi une
animation supplémentaire aux touristes de passages. Nous l'avons vu dans
le chapitre précédent, bien que les touristes peuvent s'assimiler
à un public non averti, il n'y a plus besoin de démontrer que les
festivals ont cette spécificité d'arriver à attirer et
séduire des visiteurs non sensibilisés tels que des touristes qui
n'étaient pas forcément venus dans la région pour assister
au festival et qui peuvent être amener à venir visiter un
territoire voire une commune auxquels ils n'auraient peut-être pas
présentés d'intérêt sans la présence de cet
évènement.
Enfin nous pouvons nous questionner sur le public
déjà averti, c'est-à-dire les festivaliers
adhérents. Quels sont leurs motivations ? Et qu'en est-il de la
fréquentation des festivals de musiques actuelles en milieu rural en
France ? C'est sur ce point que nous allons désormais nous pencher au
cours de la deuxième partie.