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Du secret professionnel du ministre de culte

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par Rémy MUNYANEZA
Université nationale du Rwanda - Bachelor's degree en droit 2008
  

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§2. La Nature du secret professionnel

D'aucuns attribue au secret professionnel une conception absolu (A), tandis que d'autres lui attribue une conception relative (B)

A. La conception du secret professionnel absolu

D'après cette théorie, les dépositaires du secret professionnel doivent absolument se taire ; aucune circonstance, aucune nécessité même la plus impérieuse ne leur permettrait de s'affranchir de cette obligation. Cette opinion découle de la considération que l'ordre public constitue le fondement du secret professionnel18(*).

Dans cette conception, aucune convention ni aucune considération n'a le pouvoir de faire fléchir l'obligation au secret, à la seule exception de la loi qui peut l'écarter par un texte précis et formel, inspiré d'intérêts supérieurs. Puisqu'il appartient au législateur de déterminer les règles assurant le respect du secret professionnel, dit la Cour de cassation dans un arrêt relativement récent, rendu le 23 décembre 1968, ce secret professionnel ne peut être invoqué, comme cause de justification à l'encontre d'une disposition légale impérative19(*).

L'obligation au silence prend alors avec cette conception un caractère général ; elle est imposée au professionnel sans réserves, ni conditions, car il est interdit de déroger par convention particulière aux lois qui intéressent l'ordre public20(*).

Le consentement du propriétaire du secret n'est pas exonératoire21(*), le secret doit être absolument gardé. D'après la théorie du secret absolu, ce secret peut même être opposé à la justice : quelles que soient les circonstances, la personne astreinte au secret peut se retrancher derrière le secret professionnel même lorsqu'elle est appelée en justice. Ce qui implique qu'elle ne peut échapper aux poursuites pénales lorsqu'elle a révélé les faits, même, lors d'un témoignage en justice et quel que soit le mobile qui l'ait poussé à le faire22(*). L'adage « silence quand même, silence toujours » trouve ici son application.

Charles MUTEAU23(*) écrivait que rien n'est plus sacré, que la confidence faite au prêtre, où l'homme de Dieu appelé à la recevoir représente Dieu lui-même. Il en est de même pour l'avocat. Comme le prêtre, il reçoit en quelque sorte des confessions ; la confiance que sa profession attire serait un détestable piège s'il pouvait en abuser au préjudice de ses clients. Ces derniers doivent compter sur l'absolue discrétion de l'avocat24(*) ou du ministre du culte.

Charles MUTEAU continue en disant que la thèse du secret professionnel absolu a du moins le mérite de ne pas engendrer toutes ces hésitations, ces contradictions, que fait naître celle qui paraît aujourd'hui consacrée, et de permettre aux personnes si nombreuses qu'elle intéresse au plus haut degré, une connaissance exacte et précise de leurs droits et de leurs devoirs25(*). Il n'est pas contestable, en effet, que le recours au secret absolu garantit un confort intellectuel indéniable. Le premier avantage de cette théorie, reconnaissait André HALLAYS, est d'enlever au dépositaire du secret le soin de consulter sa conscience pour apprendre d'elle s'il doit parler ou se taire : en laissant chacun libre d'apprécier à sa guise l'étendue de son devoir professionnel, on met le client à la merci du médecin ou de l'avocat ou du prêtre ; on tue la confiance26(*).

La théorie reçut une consécration officielle de la part de la chambre criminelle de la Cour de cassation de France, dans la célèbre arrêt Watelet, rendu le 19 décembre 188527(*). Voici les faits qui ont donné lieu à cette jurisprudence : le docteur Watelet avait soigné le peintre Bastien-lepage. A la mort de celui-ci, un article parut dans le Voltaire du 12 décembre 1884, où l'on accusait les médecins de n'avoir point compris l'affection dont souffrait leur malade et de l'avoir envoyé à Alger, où le climat l'avait achevé. Le docteur Watelet, en réponse à cet article, adressa le jour même, au directeur du Matin une lettre que publia ce journal et dans laquelle il réfutait l'accusation dirigée contre ses confères et contre lui. Il expliquait la maladie de Bastien-Lepage- une tumeur du testicule gauche-, les soins qui lui avaient été donnés- l'opération de la castration-, pour dire, enfin, que la mort était fatale et que le climat du Midi ne pouvait, dès lors, avoir eu sur le malade, d'influence mauvaise28(*) :

Rompant avec l'opinion généralement admise jusqu'alors et qui considérait l'intention de nuire comme un élément essentiel du délit de violation du secret professionnel, la Cour de cassation jugea que le texte de Code pénal punit toute révélation dès qu'elle a été faite avec connaissance, sans qu'il soit nécessaire d'établir, à la charge du révélateur, l'intention de nuire : « Le texte est applicable, par conséquent, dit la Cour, au médecin qui publie dans un journal, sur les causes de la mort de l'un de ses clients et les circonstances de sa dernière maladie, une lettre par laquelle il révèle au public un ensemble de faits, secrets par leur nature et dont il n'a eu connaissance qu'à raison de sa profession, alors même qu'il n'aurait pas eu l'intention directe de nuire à la mémoire du défunt, et aurait eu plutôt pour but de détruire des suppositions fâcheuses sur la nature de la maladie dont son client est mort. »29(*)

Comme toutes les théories extrêmes, celle du secret absolu prenant racine dans le seul intérêt social et dans l'ordre public, ne peut être entièrement satisfaisante, car elle méconnaît le fait que le secret professionnel est destiné à protéger autant un intérêt privé que l'intérêt général. Sans doute, elle offre l'avantage de supprimer bien des difficultés pratiques, mais par sa simplicité même et sa rigidité, elle n'est pas en mesure de s'adapter aux cas de conscience qui peuvent se poser dans l'exercice quotidien de professions fertiles en complications redoutables.30(*)

Ainsi donc un autre courant admet que des dérogations au secret professionnel peuvent être admises ; naissant ainsi la conception du secret relatif.

B. La conception du secret relatif

Une conception plus nuancée et moins rigide que celle du secret absolu est apparue, en partant de la constatation que si l'intérêt social demande le secret, d'une manière générale, il est des cas dans lesquels le même intérêt social exige la révélation. En outre, l'idée est admise que certains droits individuels- tels le droit à l'honneur, les droits de la défense, sinon le droit de la preuve - sont si forts qu'il a paru justifié d'assouplir le caractère du secret professionnel31(*).

Les partisans de cette conception ne manquent pas de faire observer que les législateurs du Code pénal, ont invoqué un intérêt supérieur à ceux que le secret professionnel doit protéger ; ils avancent que le secret professionnel a un caractère relatif et doit s'effacer devant un intérêt social plus important. La doctrine a progressivement montré que la conception du secret absolu ne résiste pas à l'analyse lorsqu'elle se trouve confrontée à des valeurs dont la sauvegarde revêt une importance au moins égale à celles que le secret professionnel protège. L'idée du secret absolu a, d'abord, été battue en brèche par des lois de plus en plus nombreuses qui imposent la révélation et limitent l'étendue du secret ; elle a été contestée par la doctrine et, ensuite, par une jurisprudence de plus en plus abondante32(*).

J.A. ROUX a écrit que le secret professionnel pose non pas une question particulière, mais un problème d'une portée générale ; le problème du conflit de devoirs. La loi pénale l'admet et lui donne une solution en y voyant, le cas échéant, une cause de justification. La personne placée dans cette situation, écrit Roux, échappe à toute responsabilité pénale lorsqu'elle obéit au devoir que la loi estime supérieur, parce que toute responsabilité pénale suppose une faute et qu'en agissant comme il l'a fait, l'auteur de l'acte a agi sans faute ; cette cause de justification a, d'ailleurs, comme les autres faits justificatifs, sa source dans la loi33(*). Prenons un exemple dans la loi rwandaise ; c'est vrai que le législateur rwandais pose comme devoir le fait de taire le secret professionnel34(*), mais conformément à ce qu'écrit Roux, le législateur rwandais autorise dans le même article la violation du secret professionnel en posant d'autres devoirs qu'ils considèrent comme supérieur à celui de garder le secret professionnel comme par exemple le devoir de participer ou d'aider à la manifestation de la vérité35(*).

La disproportion qui existe souvent entre les intérêts pouvant fonder le maintien intangible du secret, et ceux attachés à sa levée, ont été soulignés de plus en plus fréquemment. Quelle justification donner au silence du ministre de culte ou du médecin, quand il pourrait, par sa révélation, faire éclater l'innocence d'un accusé dans un procès pénal. Le professeur Balthazard a évoqué le cas du médecin qui avait gardé le silence dans un procès où une jeune fille était accusée d'avoir empoisonné sa mère, alors qu'il savait que cette dernière était morte d'une maladie rénale36(*).

Dans le cas du Rwanda, c'est la théorie du secret professionnel relatif qui prévaut. C'est ainsi que l'article 214 du code pénal permet toujours la révélation lorsque le dépositaire du secret est appelé à rendre témoignage en justice. Si dans certains cas la loi l'oblige à faire connaître le secret (p.e. art. 256 et 258 CP), il lui appartiendra généralement de peser en son âme et sa conscience la valeur respective des intérêts en cause. La question de savoir si le dépositaire du secret se retranchera ou non derrière le secret professionnel est au Rwanda une question de conscience, de déontologie professionnelle37(*).

Ainsi on se trouve au Rwanda dans une situation où l'indiscrétion est pénalement sanctionnée lorsque la divulgation est faite à un particulier ou au public, mais dans laquelle le dépositaire est néanmoins autorisé à faire connaître à la justice le secret professionnel38(*).

Vu l'esprit de la législation rwandaise, on peut admettre que la personne qui a fait la confidence peut relever le dépositaire du devoir de silence. Ce dernier ne peut cependant être forcé à révéler ce qu'il sait. Il peut préférer se taire (p.e. cas d'un prêtre catholique à qui un pénitent propose de déclarer ce qui a été dit au confessionnal : le prêtre peut refuser de parler)39(*).

Dans certains cas la loi oblige à faire connaître le secret. Citons notamment les articles 178, 256 et 258 du C.P. qui font application du principe  « qui peut et n'empêche, pèche » (LOISEL)40(*)

De ces trois textes, seul l'article 178 commence par les «  Sous réserve des obligations résultant du secret professionnel ». Ce qui suffit à démontrer l'illogisme avec lequel la question du secret est traitée par le Code pénal. En effet, si par exemple en temps de guerre, un défenseur en justice prend connaissance dans l'exercice de sa profession, de projets ou d'actes de trahison, d'espionnage etc., il ne risque aucune sanction en s'abstenant de prévenir les autorités puisque l'article 178 qui punit cette abstention lui confère le droit de respecter les obligations de l'article 214. Par contre les articles 256 et 258 ne formulent pas cette réserve et un défenseur en justice qui ne dénonce pas un crime qui risque de se commettre ou qui s'abstient de révéler à la justice les preuves de l'innocence d'une personne incarcérée risque d'encourir une peine. Ceci parait assez surprenant puisque les faits prévus à l'article 178 semblent tout de même plus graves pour la nation. Il est étonnant que les personnes soumises au secret professionnel n'aient pas à dénoncer des actes et projets qui peuvent mettre en péril la sécurité du pays. Le législateur rwandais semble s'être inspiré de la loi française (voir art 62,63, 100 CP Franç.) pourtant critiquable pour son incohérence41(*).

En outre, les articles 256 et 258, qui ne parlent pas du secret professionnel, prévoient une exemption de peine en faveur des parents et alliés jusqu'au quatrième degré. En d'autres termes, le prêtre devrait trahir le fidèle qui s'est confié à lui mais le cousin peut se taire impunément. Cette solution parait discutable. Ces critique ne signifient pas que nous contestons le fondement des dispositions des articles 256 et 258 : lorsqu'un individu risque d'être victime d'un crime, il parait simplement humain de l'en aviser quelle que soit la façon dont on a apprit ce danger42(*).

* 18 F.X. KALINDA, Déontologie des professions juridiques, notes de cours, Butare, U.N.R, Faculté de droit,

p. 48. Inédit.

* 19 Pas., 1969, I, p. 337; Rev. dr. pén., 1968-1969, p. 863 et Rechts. Weekbl., 1969-1970, col, 566.

* 20 Ibidem,

* 21 R. KINT, Déontologie des professions juridiques, Butare, U.N.R., 1984, p. 63.

* 22R. KINT, Déontologie des professions juridiques, Butare, U.N.R., 1984, p. 63.

* 23 C. MUTEAU, Op. Cit., p. 194.

* 24 V. DEMARLE, De l'obligation au secret professionnel, Bruxelles, éd. Bruylant-Christophe. 1900, cité

par P. LAMBERT, Le secret professionnel, Bruxelles, Edition Nemesis, 1985, p. 194.

* 25 C. MUTEAU, Op Cit., pp. 11, 245 et s.

* 26 Idem, p. 18.

* 27 Sirey, 1886, I, p. 176 ( et le rapport du conseiller Tanon) et Dall. Pé. 1886, I, p. 347 (et la note). La cour de cassation avait rejeté le pourvoi introduit contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 5 mai 1885 qui avait confirmé le jugement de condamnation du tribunal correctionnel de la Seine du 11 mars 1885l ; Voy. Egalement Aix, 19 mars 1902 : le secret professionnel est une règle d'ordre public qui n'admet aucune restriction et ne cède devant aucune considération, Dall., pér. 1903, 2, p. 451.

* 28 C. DEJONGH, Le secret professionnel des médecins, in Rev. Dr. b., t. I, éd. Bruylant-Christophe, 1890, p. 527, n° 3 ; voy. Le texte complet de la lettre du docteur Watelet, in P. BROUARDEL, Le secret médical, éd. Baillière, Paris, 2e éd., 1893, p. 19. cité par P. LAMBERT, Op. Cit., p.40.

* 29 P. LAMBERT, Op. Cit., p. 42

* 30 P. LAMBERT, Op. Cit., p. 42

* 31 Voy. sur cette question: P. VAN NESTE, Kan het beroepsgeheim absoluut genoemd worden ?. Rechts, Weekbl., 1977-1978, col, 1281. cité par P. LAMBERT, Op. Cit., p.41.

* 32 Voy. A. PERRAUD-CHARMANTIER, De l'évolution de la notion du secret professionnel. Gaz. Pal., 1943, 2, p.39.

* 33 Note s/ Cass. Fr. (crim.), 9 mai 1913, Sirey, 1914, I, p. 169.

* 34 Article 214 du C.P.L.II, déjà cité.

* 35 « (...) , hors le cas où elles sont appelées à rendre témoignage en justice (...) ». Art. 214 du C.P.L.II.

* 36 J. HONORAT et L. MELENNEC, Vers une relativisation du secret médical, Sem. Jur., 1979, I, Doc., n° 2936. Pour un alibi fondé sur une hospitalisation, voy. Cass. Fr. (crim.), 16 mars 1893, Dall. Pér., 1894, I, p. 137 (et le rapport du conseiller Vételay) ; la Cour a considéréque le directeur d'un hospice, interpellé par un juge d'instruction sur le point de savoir si un individu désigné y a été reçu, à quelle date il y est entré et quel jour il en est sorti, ne peut refuser de répondre sous le seul prétexte que le fait sur lequel sa déclaration est requise ne serait venu à sa connaissance que dans l'exercice de ses fonctions : il ne pourrait être considéré comme tenu d'observer le secret professionnel que dans des cas qui intéresseraient la sécurité des malades et l'honneur des familles.

* 37 R. KINT, Op. Cit., p. 32.

* 38 Ibidem,

* 39 Idem, p. 33.

* 40 Ibidem,

* 41 R. KINT, Op. Cit., p. 33

* 42 Ibidem,

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand