II-3- Interrogations suscitées ou questions de
recherche
Il est toujours difficile d`établir les causes de la
contrebande. Mais cela n`empOche pas le chercheur d`essayer de formuler
quelques observations.
En principe beaucoup d`activités contrebandières
ont pour cause, la grande disparité économique entre les pays. Il
en résulte notamment que, dans nombre de pays, de vastes secteurs de la
population sont portés à produire des biens illégaux. Par
ailleurs, de nombreuses personnes sont à la merci d`une exploitation
physique par exemple la prostitution, de la part d`organisations criminelles.
En outre, les pays pauvres sont des marchés qui attirent des biens qui
sont volés dans des pays plus riches. Les conflits politiques qui
surgissent dans de nombreux pays africains et notamment dans nos
régions, engendrent une violence généralisée et
encouragent toute sorte de trafics jusqu`allant à la traite d`Otres
humains et au trafic d`armes illégales. Il se peut que ces pays en
guerre aient, financièrement tout intérêt à se
livrer à d`autres formes d`activités criminelles ; par exemple
à l`importation illégale d`armes. Ce faisant, ils
établissent des partenariats illicites avec d`autres pays.
Il existe plusieurs types d'activités criminelles
transfrontalières en Afrique de l`ouest, et la contrebande des
marchandises affecte particulièrement l'espace transfrontalier de
l`UEMOA (union économique et monétaire ouest africain regroupant
8 Etats dont notre pays est membre.
Depuis quelques années, cette activité
connaît une expansion majeure dans la sous région, ainsi que
l'atteste le démantèlement de célèbres
réseaux de trafiquants spécialisés dans cette branche.
Fort de ce constat, deux questions méritent d'être posées,
à savoir : Qu'est-ce qui
explique le développement de cette forme
particulière d'activité criminelle? Quels rôles les
États tiennent-ils respectivement dans ce système de trafic
?
Un faisceau de facteurs socio-économiques et
sociopolitiques inters reliés permet d'expliquer le développement
de ce trafic. En effet, la dévaluation du Franc CFA, en 1994, et la
relative amélioration du réseau routier entre les huit pays ont
eu pour effets respectifs la diminution du pouvoir d'achat de « l'Africain
de l`ouest moyen mais pauvre » voulant acquérir une marchandise et
l'accroissement des échanges déjà dynamiques entre la
Côte d`ivoire et ses voisins du Nord. L'inexistence d'un véritable
système de transport public dans les différents pays a
favorisé l'augmentation de la demande de marchandises pour des besoins
privés et de commerce. Flairant ainsi l'importance de cette demande
toujours croissante, des réseaux criminels organisés se sont
greffés à ces caractéristiques et ont alors entreprit,
souvent par reconversion, de mettre sur pied des circuits transfrontaliers de
ventes de marchandises.
En effet, aidés par la porosité des
frontières entre les différents Etats, ils mettent sur le
marché illicite des marchandises souvent de haut de gamme à des
prix défiants toute concurrence et de ce fait accessibles à
« l'Africain de l`ouest moyen mais pauvre ».
En outre, le fait que nous n'ayons pas de signalement de
marchandises en provenance des autres pays limitrophes de Côte d`ivoire,
permet plus ou moins de dire que la Côte d`ivoire est un pays pourvoyeur
de marchandises dans ce trafic. Ces dernières sont la plupart du temps
des marchandises contrefaites.
En effet, l'existence de marché des marchandises de
contrebande dans ces pays, notamment au Mali et le Burkina Faso, fait que
l'on pourrait
considérer les autres pays comme récepteurs et
points de vente de des produits de contrebande. L'embellie financière de
la Côte d`ivoire fait en sorte que les populations manifestent la
volonté d'acquérir des marchandises et notre pays devient donc de
plus en plus un espace d'acheminement final pour les contrebandiers bien que la
vente de marchandises de contrebande dans notre pays existe bien avant cette
croissance économique.
Ainsi, pour répondre à leur demande, les
réseaux criminels organisés acheminent les marchandises de
contrebande et les revendent entièrement ou partiellement dans notre
pays et sur le territoire douanier du district d`Abidjan.
Les contrebandiers sont accusés de bouleverser
l`harmonie entre la demande et l`offre. Par exemple, en mettant sur le
marché des biens illicites, ils réduiraient la demande globale de
biens licites et, partant, les revenus des sociétés productrices
et distributrices légitimes.
Get argument, implicitement, exclut la possibilité que
le produit de la contrebande sert à acquérir des biens licites,
encore qu`il ne soit pas prouvé que les membres de groupes de criminels
contrebandiers soient moins dispendieux que le consommateur ordinaire. On a
fait valoir aussi que la propension des groupes engagés dans la
production d`activités de contrebande à consommer est faible, du
fait que leurs revenus illicites continuent à circuler à
l`intérieur de marchés illicites pour financer d`autres
initiatives illicites. De mOme, on n`a avancé que les contrebandiers
tendant à transférer à l`étranger une partie de
leurs gains, privant ainsi le pays dans lequel ils opèrent d`importantes
ressources économiques pour son développement.
Ces caractéristiques ne sont cependant pas uniquement
propres aux contrebandiers. Des chefs d`entreprises légitimes accumulent
eux aussi une richesse inerte et n`orientent pas toujours leurs revenus vers
des investissements dynamiques, ou la consommation.
Il se peut aussi que des entreprises légitimes et des
politiciens transfèrent des capitaux à l=étranger en toute
légalité mais trouvent le moyen de les faire fructifier en
recouvrant à des pratiques illégales. Selon des estimations
crédibles, le pourcentage des capitaux blanchis par les contrebandiers
ne représente que 10% environ du montant total des capitaux
flottants.
La question se pose aussi de savoir si ce sont les
contrebandiers qui initient les entrepreneurs et politiciens qui opèrent
en marge de la légalité ou s'ils trouvent en eux des
maîtres?
On peut par exemple affirmer qu`en investissant des produits
illicites dans l`économie officielle, les contrebandiers ne font
qu`appliquer les techniques et méthodes des délinquants
d`affaires et des sociétés commerciales contrevenantes ; dans un
sens, ils sont corrompus par l`économie plus qu`ils ne la corrompent.
En résumé, la rencontre entre la
criminalité contrebandière et l`économie officielle n`est
pas le fruit d`une relation contre nature entre une entité qui
pâtit de dysfonctionnements. C`est plutôt la rencontre de deux
mondes qui échappent à une régulation stricte et qui
s`écartent des règles qu`ils ont officiellement établis
pour eux-mêmes. Par exemple, les règles du libre jeu de la
concurrence sont souvent ignorées par les chefs d`entreprises
légitimes eux-mOmes qui soutiennent qu`elles sont universellement
valables, de mOme que les règles d`honneur sont
ignorées par les criminels professionnels produisant
des activités de contrebande qui proclament leur foi inconditionnelle en
elles. Les dégâts causés par la fraude et la contrebande en
zone UEMOA ont fragilisé le tissu industriel et l`économie des
pays de la sous région au point de désagréger
progressivement le fragile équilibre indispensable à l`essor
économique et au bien-être des populations des pays
concernés. Cette situation préoccupante s`est accentuée
ces dernières années avec la progression inexorable de la
pauvreté et la diminution de pouvoir d`achat des populations sur le
territoire douanier du district d`Abidjan. Phénomènes universels,
la fraude, la contrebande et la contrefaçon ont fait leur lit partout
où les appétits illégitimes des opérateurs
économiques véreux ont trouvé des facteurs exogènes
et endogènes favorables :
D`une part, la santé des économies de la plupart
des pays d`Afrique est tributaire des fluctuations des cours mondiaux des
matières premières et des prix des marchandises à
importer, d`autre part, les facteurs endogènes se résument en
cette étonnante vulnérabilité ou porosité des
frontières nationales, exacerbées par la complicité plus
ou moins passive des autorités en charge d`endiguer ces fléaux.
En effet, l`on ne pourra efficacement lutter contre la contrebande que s`il est
rompu le lien entretenu à plusieurs niveaux entre elle et ses mamelles
nourricières que sont la fraude, la corruption, et la
contrefaçon. Les domaines touchés par ces fléaux sont
divers et touchent tous les secteurs économiques. Leur évolution
constante profite de la mondialisation des échanges. Ce
phénomène qui, jusqu`à la fin des années 80,
affectait essentiellement les industries de luxe, ne cesse de se diversifier et
les conséquences aujourd`hui sont désastreuses en terme
d`emplois, de sécurité sanitaire et de pertes de ressources
fiscales et douanières.
Concernant la contrebande en Côte d`Ivoire en
général et dans le district d`Abidjan principalement, elle existe
de nos jours dans la plupart des
secteurs d`activités économiques. La situation
est alarmante dans le contexte de marasme économique mondial et
circonstanciel que traverse le pays depuis la crise armée qui perdure.
En effet, jusqu`à présent certains postes de contrôle
douanier dans les zones centre nord ouest (CNO), ne sont pas encore
effectivement sous la gestion de l`Etat ivoirien. Ils sont pour la plupart des
portes ouvertes à toutes les formes de trafics illicites où
l`Etat ne parvient pas à contrôler rigoureusement les
échanges commerciaux, donc il connaît un manque à gagner.
Au cours des dernières décennies écoulées, les
activités de contrebande se sont considérablement
développées tant géographiquement que numériquement
dans le district d`Abidjan. Le phénomène n`est pas isolé :
il s`inscrit dans le cadre général de la mondialisation.
L`interdépendance des économies mondiales et le
développement des échanges économiques internationaux
facilitent le transfert des biens et la circulation des personnes d`un pays
à l`autre. Les trafiquants profitent de cette situation, en empruntant
des itinéraires commerciaux parallèles ou les mOmes
itinéraires commerciaux. Ainsi, ce n`est un secret pour personne, on le
sait en Côte d`ivoire tous les objets, tous les produits, toutes les
matières sont imitées. En l`espace de quelques années, la
contrebande et la contrefaçon ont gagné des proportions
inquiétantes tant dans le pays tout entier en général, que
dans le district d`Abidjan tout particulièrement. Ces auteurs,
très actifs dans la plupart des secteurs industriels de la place,
s`attaquent aux produits de la vie courante et inondent les marchés de
copies à la qualité plus que douteuse, et ce en toute
impunité face à des autorités trop souvent
démissionnaires. Les montres, les sacs de marque, l`eau minérale,
les boissons alcoolisées, les pièces de rechange de voitures
(plaquettes de frein, pneus), les cigarettes, les textiles, les appareils
électroménagers, les téléphones portables, les
produits cosmétiques et d`entretien, les
produits dentifrices et autres produits de consommation
courante, sont imités et atteignent le territoire douanier du district
d`Abidjan par des réseaux contrebandiers. Mais plus grave, des
préservatifs contrefaits et poreux sont distribués pendant les
campagnes de lutte contre le Sida, les anticancéreux de
contrefaçon et de contrebande ne contenant que des plâtres, des
kits de sérum de pédiatrie de contrefaçon vendus en
pharmacie, les médicaments voire le sang humain de contrefaçon
inondent le marché local par des transits contrebandiers, rien en
définitive n`échappe aux faux dans le pays et dans le district
d`Abidjan. Ces produits ci-dessus cités et bien d`autres encore sont
vendus partout que ce soit dans la rue, aux carrefours, dans les boutiques, les
supermarchés et commerces renommés, les bazars et les halls, on
les retrouve partout et le consommateur est naturellement la victime, or toute
la population est consommatrice donc nous sommes tous des victimes potentielles
de la contrefaçon et de la contrebande. Selon l`éditorial du Dr
KOMIN François dans CIVITAS, avril 2010 n2 : (bulletin ivoirien
d`éducation civique), plusieurs acteurs interviennent dans la
chaîne malveillante de la contrefaçon et de la contrebande ;
fabricants sans foi ni loi, contrebandiers perfides, fonctionnaires corrompus,
commerçants peu scrupuleux et au bout de la chaîne les
consommateurs. Des personnes ont crié haro sur la contrebande avec une
verve enflammée contre ces acteurs et ont considéré les
consommateurs comme de simples victimes. A regarder de plus près, le
consommateur, destinataire final des produits de contrebande et de
contrefaçon, est au cur de cette monstrueuse machine mercantile qui, en
fait, est une grosse machination pour tirer profit du =`gros nigaud« qu`il
est car tous profitent de lui et lui ne profite nullement de la contrebande et
de la contrefaçon, sauf de cette naïve joie
éphémère avant de se rendre compte de la grande
escroquerie dont il est victime. On peut
regrouper les consommateurs en deux catégories : d`une
part, les amateurs, demandeurs de produits qu`ils savent pertinemment de
contrebande et de contrefaçon, mal faits, et d`autre part, des
ignorants, ou parfois des opportunistes pour ces derniers, il faut les inviter
à faire plus attention. Ils doivent examiner un peu plus minutieusement
les produits qu`ils comptent acquérir en gardant toujours à
l`esprit que tous les produits sont susceptibles de contrebande ou de
contrefaçon. C`est pour eux que les entreprises mettent en place des
systèmes d`information et de conseils pratiques. Par contre, pour la
première catégorie de consommateurs, le mal est plus profond tant
les motivations qui les animent sont diverses : le luxe ne doit pas Otre
réservé qu`aux riches ; la marque est un détail qui ne
mérite pas qu`on paie le prix fort ; ce ne sont pas quelques
contrebandes ou contrefaçons qui vont faire tomber une telle grosse
boite ; ou de façon plus ivoirienne : « ce n`est pas à cause
de CD piratés qu`un tel ne pourra plus chanter. » Et pourtant les
conséquences sont évidentes, dramatiques ; des emplois perdus,
des entreprises fermées. « Au cours d`une épidémie de
méningite au Niger en 1985, plus de 50.000 personnes ont reçu des
faux vaccins provenant d`un don d`un autre pays qui les croyait sUrs. La
contrebande et la contrefaçon a été à l`origine de
2500 décès. La consommation de sirop contre le taux contenant du
paracétamol préparé avec du diéthylène
glycol, un produit chimique toxique utilisé comme antigel, a
provoqué 89 décès en Haïti en 1985 et 30
décès de nourrissons en Inde en 1998. » (Aide mémoire
n° 275 de novembre 2003 de l`OMS.). Plus près de nous, en
Côte d`ivoire (2009), une commerçante, pensant rajouter du sucre
vanillé pour agrémenter la bouillie qu`elle vend, empoisonne les
populations d`Ahounienfoutou, un village de Bongouanou. Et si tous ces drames
ne vous émeuvent pas, refusez tout simplement de financer le crime
organisé en pensant à ces
blanchisseurs d`argent sale, ces grands escrocs des mafias
russes, italiennes ou chinoises qui bien souvent sont à la base de la
contrebande et de la contrefaçon. Les grandes entreprises
installées sur le territoire douanier du district d`Abidjan telles que
Nestlé, Unilever, Imperial Tabacco Group, Sanofi, Uniwax en font les
frais. Ces entreprises honnêtes et citoyennes se retrouvent
confrontées à des concurrents particulièrement
déloyaux et très actifs qui ~uvrent dans l`ombre et usurpent
ainsi leur savoir-faire, les dépossèdent de leur image, de leur
réputation et des fruits de lourds investissements consentis dans la
recherche et le développement, le marketing et la communication. L`Etat,
vit essentiellement des ressources fiscales car par définition la
contrebande et la contrefaçon sont des économies souterraines qui
échappent au trésor public, à la douane et aux
impôts. Dans le district d`Abidjan, la contrebande représente des
risques sociaux qui entravent la sécurité de l`emploi pour des
milliers de travailleurs. L`un des secteurs les plus touchés est le
textile à cause de la culture du port du pagne des ivoiriens et
l`attrait économique qu`il représente pour les contrebandiers et
les contrefacteurs. En effet, depuis les trois dernières années,
5850 emplois ont été perdus dans le secteur du textile. De 2005
à 2007, la société Uniwax, s`est séparée de
450 employés sur un total de 860. Tout comme Uniwax les autres
sociétés telles que la cotonnière Ivoirienne (Cotivo),
Utexi, Challenger (ex Wrangler) et les établissements Robert Gonfreville
(ERG) sont aux abois. Cette dernière, située à
Bouaké est plongée dans une situation critique. Ces trois
entités (DOPA pour l`égrenage du coton, FTG pour la filature et
IVTEX qui se charge de l`impression et de la teinture des tissus) ne
fonctionnent plus à plein temps occasionnant une perte de plus de 500
emplois. Aujourd`hui, la gravité des problèmes que pose la
contrebande n`est pas toujours perçue par le grand public, voire par
ceux
qui doivent le réprimer. Le phénomène de
contrebande est encore trop souvent appréhendé par le prisme
d`anecdotes échangées sur les =`bonnes affaires =`. Par exemple
l`achat, à un prix intéressant, de fausses grandes marques qui
ont atteint le marché du district d`Abidjan par des réseaux de
contrebande. Encore considérées comme des infractions mineures,
la contrebande et la contrefaçon industrielle et commerciale continuent
de fragiliser le tissu industriel ivoirien en générale et celui
du district d`Abidjan en particulier. Avec à la clé des baisses
drastiques des contributions des entreprises au budget de l`Etat sans compter
le danger public qu`elles représentent à cause des secteurs
sensibles comme celui des produits pharmaceutiques où le danger touche
directement la vie humaine.
Alors les questions consistent à
savoir :
-A une époque oi la société
prône les principes de précaution, oi les entreprises
réaffirment leur engagement à l'égard de la santé
et de la protection du consommateur, peut-on vraiment s'accommoder des risques
de la contrebande ?
- Malgré l'existence et la mise en place de
mesures réglementaires et de surveillance pour la réduction de la
contrebande, Pourquoi elle est toujours récurrente dans le district
d'Abidjan ?
Les réponses se retrouvent dans les failles du
système de contrôle ou d`inspection des marchandises aux
entrées routières du district d`Abidjan, aussi dans les
difficultés d`application de sanctions pénales ou des
réglementations aux acteurs. Ainsi pourrait-on se poser les questions
centrales suivantes:
1-Pourquoi y a t-il des risques économiques
politiques, sociaux et sanitaires lorsqu'il y a des failles dans le
système de contrôle des marchandises aux entrées
routières du district d'Abidjan d'une part et dans l'application
des droits et taxes d'autre part?
2-Quels sont les impacts de la contrebande sur
l'état d`une part et sur la population
entière d'autre part?
3-Quels types de proposition de solutions doit-on
envisager pour réduire le phénomène à
l'étude?
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