VI-2- Méthodes multidisciplinaires en
criminologie et leurs limites
1-Les méthodes multidisciplinaires
La criminologie moderne est en pleine évolution sous le
triple rapport des idées directrices, des problèmes
étudiés, et des méthodes de recherche. Il en est
résulté naturellement des controverses entre représentants
de tendances divergentes. L`un des thèmes de discussion se rapporte
à l`orientation générale de la recherche. Faut-il donner
la priorité à l`orientation dirigée vers les
problèmes, ou à l`orientation dirigée vers les
méthodes ? Ce dilemme a été bien analysé par
Hermann Mannheim, (1965). L`idéal serait, naturellement d`étudier
les problèmes d`importance fondamentale avec une méthodologie
rigoureuse, mais cet idéal se montre souvent impossible ; faut-il alors
persister à étudier ces problèmes capitaux avec une
méthode imparfaite, ou se borner à étudier des
problèmes d`ordre secondaire avec d`excellentes méthodes ? Les
partisans d`une criminologie scientifique penchent souvent pour cette
dernière alternative. Cependant, en criminologie comme en
médecine, le besoin de solutions pratiques urgentes peut
prévaloir sur les desiderata de la théorie scientifique. C`est
d`ailleurs la raison pour laquelle, autrefois, les partisans de Beccaria
n`attendirent pas, pour commencer leurs reformes, que la science criminologique
eût apporté des solutions aux problèmes qu`ils
affrontaient. La tendance prédominante, en criminologie moderne, semble
Otre l`orientation vers les problèmes, avec un effort particulier pour
trouver des voies nouvelles afin d`améliorer la méthodologie. On
peut se demander pourquoi il est si difficile, en criminologie, de s`attaquer
aux problèmes fondamentaux avec des méthodes rigoureuses, tandis
que ces dernières s`appliquent surtout aux problèmes
d`importances secondaires. La raison
en est principalement dans le caractère complexe de la
criminologie. La criminologie étudie l`origine du
phénomène criminel, or les causes du crime sont multiples, les
unes étant d`origine psycho biologique, les autres d`origine
sociologique. D`une part, il existe une criminologie générale,
qui cherche à établir des lois universelles comme il en est dans
les sciences physiques et naturelles, et d`autre part, une criminologie
clinique, qui est la science du fait particulier, soit comme point de
départ, soit comme domaine d`application des faits établis par la
criminologie générale. Il résulte de là que la
criminologie doit se servir des méthodes différentes, suivant
qu`elle étudie les causes biologiques ou les causes sociologiques du
crime, et suivant qu`elle travaille dans le domaine théorique et
général ou dans le domaine clinique et individuel. Nous voyons
donc que la criminologie ne peut progresser que par la mise en ~uvre d`une
pluralité de méthodes. Ces méthodes seront, les unes
empruntées à d`autres sciences (biologie, psychologie,
psychiatrie, sociologie), d`autres propres à certains domaines de la
criminologie au sens le plus large (criminalistique, pénologie). Cette
pluralité des méthodes comporte des conséquences
théoriques et pratiques importantes. Si la criminologie veut Otre plus
qu`une mosaïque de données empruntées à des sciences
auxiliaires, elle doit envisager le moyen d`effectuer la synthèse des
données. A notre avis, la notion essentielle sur laquelle se fonde
l`autonomie de la criminologie est celle de la finalité éthique
qui dirige l`activité du criminologiste. A ce point de vue, la
criminologie se compare à la médecine et à la
pédagogie : la médecine ne se conçoit pas sans application
au traitement et à la prévention des maladies ; la
pédagogie n`a de sens que par son orientation éthique et son
application au développement harmonieux de l`individualité de
l`enfant. De mOme, la criminologie n`aurait aucun sens si elle n`était
pourvue d`une visée de valeurs spécifiques : sa
finalité
éthique se réalise par son application à
la prophylaxie du crime, à la resocialisation (et, s`il y a lieu, au
traitement) des criminels. Donc, les méthodes biologiques,
psychologiques, psychiatriques, sociologiques, et autres, employées par
la recherche criminologique, doivent converger vers une synthèse, dont
le principe directeur réside dans la visée de valeurs
définies plus haut. Du point de vue pratique la pluralité des
méthodes de recherche implique une conséquence importante, qui
est le caractère multidisciplinaire de la plupart des recherches en
criminologie. Certes, il existe des possibilités de recherche
individuelles en criminologie, et beaucoup de découvertes importantes
doivent le jour au labeur de savants travaillent isolément dans un
domaine étroitement circonscrit (la statistique criminologique a
été fondée par deux de ces isolés, QUETELET et
GUERRY). Mais plus les problèmes étudiés sont d`ordre
général, plus l`approche pluridisciplinaire s`impose. Nous
n`avons pas à aborder ici les aspects méthodologiques et
psychologiques de la recherche d`équipe, qu`il s`agisse d`une
équipe intra disciplinaire ou pluridisciplinaire : ces problèmes
sont les mêmes en criminologie que dans les autres sciences. Rappelons
simplement qu`en criminologie, c`est une finalité éthique qui en
constituera le pôle directeur. En criminologie comme dans les autres
sciences, on distingue plusieurs sortes de recherches. Il existe une recherche
exploratrice, qui a pour but d`évaluer si un certain objet possible de
recherche a des chances d`être abordé avec fruit. Il existe une
recherche-pilote, dont le but est de fournir, pour ainsi dire, un
échantillon préliminaire d`une recherche, laquelle sera ensuite
poursuivie avec des moyens et sur une échelle plus vaste. Il existe une
recherche confirmatrice, destinée à vérifier les
résultats d`une recherche antérieure exécutée avec
une méthode analogue. Il existe une recherche validatrice,
destinée à vérifier les résultats d`une recherche
antérieure, par recoupement, en employant
d`autres méthodes. Il existe enfin une recherche
conceptuelle, qui reprend et analyse les concepts de base d`une science en
examinant s`ils ne doivent pas Otre modifiés à la suite des
nouvelles acquisitions de la science en question. Comme pour les autres
sciences, la recherche criminologique présuppose certaines conditions
matérielles et sociales. Pour la criminologie, les principales
présuppositions sont les suivantes : tout d`abord, l`existence de
statistiques criminelles bien faites, au niveau régional, national et
international. Ensuite l`existence de documents de base : tels sont les
dossiers des services de polices, de douanes, de la gendarmerie nationale, des
tribunaux, des pénitenciers et maisons de rééducation.
Enfin, l`existence de chercheurs qualifiés et entraînés
dans la technique des recherches qu`ils ont à effectuer, tout en
étant au courant des principes et des problèmes de la
criminologie générale. Il faut également des centres de
documentations, des bibliothèques spécialisées, et des
bibliographies bien faites. Une partie des efforts consacrés à la
recherche consiste à former des chercheurs qualifiés, et à
provoquer l`amélioration de la valeur des statistiques, ainsi que des
documents de base et de la documentation. Il y a là un ensemble de
facteurs auxiliaires de la recherche qui constitue ce que l`on a appelé
la =` la recherche invisible« : le policier ou le douanier qui fait un
rapport exact et complet sur un délit ; le travailleur social qui fait
une enquête consciencieuse ; l`officier du pénitencier qui
établit et met à jour un dossier complet sur le comportement d`un
détenu ; le fonctionnaire qui s`astreint à faire une statistique
exacte et précise des délits commis dans son district. Tous
contribuent sans le savoir à la recherche en criminologie. Un autre
facteur essentiel pour la recherche consiste dans l`appui apporté par
les autorités publiques, tant du point de vue matériel que moral,
et l`encouragement qu`elle reçoit de la part du public.
- Les méthodes généalogiques
ou le rôle de l'hérédité dans la
criuirmLigémèse : elles ont
été appliquées à l`étude des groupes
présentant un nombre insolite de contrebandiers parmi les
différents acteurs en présence. Exemple : les
célèbres études de DUGDALE sur la famille de JUKES, celles
de Goddard sur les =`Kallikas«. L`intérOt documentaire de ces
recherches est indéniable, mais les conclusions qu`elles permettent de
tirer n`ont qu`un faible degré de généralité. Elles
conservent cependant toute leur valeur au titre de recherche exploratrice.
Comme les précédentes méthodes, les méthodes
statistiques mathématiques établies pour les recherches sur
l`hérédité en général, mises au point pour
les recherches sur l`hérédité des maladies mentales par
une école de psychiatres généticiens (RÜDIN,
LUXEMBURGER, etc.), elles ont été appliquées à la
criminologie par quelques-uns de ces psychiatres généticiens,
notamment Ernst et STUMPFl. Ces auteurs ont trouvé, parmi les membres
des familles de criminels, un pourcentage de criminels notablement plus
élevé que dans la moyenne de la population. L`objection
fondamentale qui leur a été adressée réside dans
l`existence d`une =`pseudo hérédité« par
identification du criminel avec les modèles présentés par
les membres criminels de sa famille. Cette objection n`élimine pas
l`hypothèse que des facteurs criminogènes
héréditaires vrais puissent exister à côté de
la=`pseudo hérédité«, mais il en résulte la
nécessité de reprendre les études statistiques
mathématiques avec des méthodes beaucoup plus complexes, aptes
à délimiter exactement la part de l`hérédité
et de la=`pseudo hérédité«. De telles études
n`ont pas été entreprises jusqu`ici.
-les méthodes liées à la psycho
criminologie
Les méthodes individuelles ont trouvé des
précurseurs dans les descriptions du crime données par les grands
écrivains, et plus tard dans les collections de causes
célèbres (le =`Pitaval« à partir de 1734, etc.). Puis
le passage de comptes rendus anecdotiques à l`analyse psychologique a
été effectué par ANSELM Feuerbach (1828), qui choisit un
certain nombre de cas types pour consacrer à chacun d`eux une analyse
psychologique très détaillée,
précédée d`une reconstitution minutieuse de la vie
entière du criminel. Plus récemment, des études du type
longitudinal ont été reprise par Tarde, et surtout par Sutherland
aux Etats-Unis Sutherland a étudié la carrière du
contrebandier américain, à côté de ces études
de caractère essentiellement descriptif, d`autres études ont
été effectuées avec des techniques spéciales :
psychanalyse et autres méthodes de psychologie des profondeurs,
phénoménologie existentielle à d`autres études, de
portée limitée, à l`aide de tests de projection. Les
méthodes de séries s`effectuent à partir
d`échantillons suffisamment importants pour permettre une analyse
statistique. On prend, par exemple un groupe d`une centaine d`individus ayant
commis telle ou telle variété de crime, ou présentant des
caractéristiques communes (âge, milieu social, etc.), et on
compare les résultats obtenus avec ceux montrés par un groupe
témoin. /DIJ1PfiIhoG-IJ1G'fiIuG-sIJ1 individuelles par groupes
de SEELIG, essaie de remédier aux inconvénients des deux autres
méthodes. L`investigateur choisit un groupe d`individus ayant commis un
certain délit. Une première analyse permet de classer ces
individus en un certain nombre de sous-groupes présentant des
caractères distinctifs. Chacun de ces sous-groupes étudiés
en détail, afin de mettre en évidence les traits communs qui
existent entre ses membres et les différencient des autres sous-groupes
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