I-3-Pertinence scientifique
Les nombreux aspects de la criminalité montrent
qu`aujourd`hui, la criminalité économique est un
phénomène global et omniprésent, bien que le
concept puisse recevoir différentes définitions dans les
législations nationales. Jamais elle n`a été aussi
fortement organisée et aussi internationale. Il n`y a pas si longtemps,
en matière de criminalité économique, la justice
était exclusivement une affaire nationale. Désormais, alors que
de nombreux pays reconnaissent la négativité de cette
criminalité estimée à des pertes énormes, il n`est
plus possible de faire cavalier seul. Les nations sont devenues trop
vulnérables à cause de la mondialisation de l`économie de
marché.
De nombreux facteurs ont une incidence sur l`essor de la
criminalité économique et sur les contre-mesures qui sont prises
au niveau national ou international. Les technologies révolutionnaires
apparues ces dernières années ont, de manière inattendue,
facilité l'émergence de réseaux criminels
organisés qui opèrent par-delà les frontières pour
profiter au maximum des possibilités et minimiser le risque d`être
pris ou démantelés. La Commission européenne l`a
souligné dans son rapport de mai 1997 sur « Une politique de
l`Union dans la lutte contre la corruption ». Dans le même temps, le
Marché unique de l`Union Européenne et l`Accord de Schengen qui
s`est traduit par l`abolition quasi totale des contrôles aux
frontières, ont entraîné une vulnérabilité
accrue dans ce domaine.
A l`exception de cette branche d`activités criminelles
que l`on peut définir comme la criminalité d'entreprise
(« la criminalité dans les activités économiques
»), la criminalité organisée (« la
criminalité en tant qu`activité économique »), la
tendance récente, ne cesse pas d`être
inquiétante. Ce type de criminalité existe
dès lors que deux personnes, ou plus, participent conjointement à
un projet criminel afin d`obtenir du pouvoir et des profits par le biais
d`affaires illégales ou d`activités liées à
celles-ci, en recourant à la violence ou à l`intimidation et en
influant sur la sphère politique, les médias, l`économie,
le gouvernement ou la justice. Fonctionnant pour l`essentiel selon le principe
des réseaux, la criminalité organisée est très
souple, rapide et n`est, en grande partie, pas limitée par des
frontières nationales. Elle exploite pleinement les technologies de
pointe. Souvent, elle infiltre les entreprises légitimes dont elle
parvient parfois à prendre le contrôle. Elle est grandement
aidée en cela par la croissance du « cyberespace » sur lequel
les juridictions territoriales n`ont que peu de prise. Les criminels qui
agissent de manière organisée sont prêts à tout pour
que leurs entreprises réussissent par les tentatives de corruption, par
l`intimidation ou le recours à la violence à l`encontre d`agents
de la fonction publique ou de personnes travaillant dans le secteur
privé.
Les organisations criminelles actuelles ont accumulé
une puissance financière considérable, qui leur permet de jongler
avec les ressources (les hommes ou l`argent), d`avoir un accès
privilégié à l`information, d`infiltrer les cercles de
décisions politiques et économiques, de blanchir les
bénéfices de leurs activités et de faire en sorte que la
justice soit clémente à leur égard. Les crimes
étant à l`organisation criminelle ce que les activités
licites sont à une société opérant dans le cadre
légal, l`expansion et la prolifération de la criminalité
organisée pourrait conduire à une situation où
l`activité illicite, loin d`être en marge de la
société, en constituerait le noyau même. Elle pourrait
devenir « un Etat dans l`Etat », ce qui serait néfaste
à la prééminence du droit et saperait l`autorité et
l`intégrité de l`Etat légitime.
La criminalité économique est une
activité organisée de manière rationnelle, à
même de produire de la richesse et d`être source de pouvoir tout
comme n`importe quelle autre entreprise et souvent plus rapidement que les
entreprises normales. Il semblerait que la criminalité économique
soit en train de diversifier ses opérations et de se lancer dans une
gamme d`activités toujours plus large qui couvre le trafic d`armes et de
stupéfiants, la contrebande de produits et le trafic d`êtres
humains, le trafic d`influence, les pratiques commerciales frauduleuses, la
criminalité informatique, la contrefaçon, le vol, la corruption
et, bien entendu, le recyclage de « l`argent sale ». La
déréglementation entraînée par la mondialisation de
l`économie et des finances a, dans une certaine mesure, facilité
la dissimulation de ces activités.
Les crimes économiques transnationaux sont complexes
par leur nature, en particulier parce qu`ils sont fréquemment
combinés avec des activités licites, ce qui les rend difficiles
à repérer et à évaluer. A ce jour, il n`existe
aucune méthode systématique permettant de comptabiliser ces
crimes au niveau international. Peu de pays les enregistrent de manière
séparée dans leurs statistiques officielles. De plus, les
données officielles ne couvrent que les crimes
découverts qui, selon le pays, ne représentent que la
partie émergée de l`iceberg et ne permet donc qu`une estimation
partielle de l`importance réelle de la criminalité
économique. C`est pourquoi, il est urgent d`élaborer une
méthode fiable et uniforme de collecte des données. Certains
groupements de pays tels que l`Union européenne, ont
considérablement progressé dans la collecte des données
relatives à la criminalité organisée.
On s`accorde largement à reconnaître que la
contrebande trouve sa source dans des créneaux ou des réseaux
illicites d`un type nouveau.
La nature et les caractéristiques de ces réseaux
méritent que l`on s`y attarde un peu.
Selon la distinction proposée par
ALBANESE3, certains de ces créneaux permettent aux
délinquants de se procurer des gains illicites avec des risques
relativement bas, d`autres sont créés par les délinquants.
Dans certaines catégories, on trouve non seulement la fourniture de
biens et services illicites pour lesquels il existe un marché, mais
aussi des créneaux nés de l`évolution sociale et
technologique.
Dans d`autres catégories par contre, on retrouve la
corruption et l`extorsion, à savoir les rackets et les fraudes
impliquant des entreprises commerciales légitimes.
Cependant, certaines formes de contrebande rendent cette
distinction beaucoup moins nette, voire inutile.
En effet, les organisations criminelles exerçant dans
les activités de commerce illicite de marchandises, saisissent les
occasions qui se présentent à eux, tout en créant des
nouvelles.
Leur modus operandi4 est tel que leurs
agissements deviennent de plus en plus interdépendants et
protéiformes5. Ainsi, le savoir faire qu`elles acquièrent dans un
domaine est utilisé dans de nouveaux marchés, tandis que les
réseaux qu`elles instaurent compte les partenaires les plus divers,
légitimes ou non.
Elles passent constamment de domaines qui relèvent
traditionnellement de la contrebande bien orchestrée et a des domaines
qui relèvent de la contrebande des entreprises et des cols blancs.
3 J. ALBANESE, `' the causes of organized crime»
[communication présentée à la conférence
internationale sur la criminalité organisée Université de
LAUSANNE, 6-8 octobre 1999]
4 Modus Operandi, `'transaction qui met les
contrebandiers en accord sur le mode d'opération à utiliser ou
d'activités illicites à utiliser dans le domaine de la
contrebande.
5 Protéiformes, `'qui change fréquemment de
forme. Petit LARROUSSE, 1983
La contrebande prend parfois l`apparence de la
criminalité des entreprises; c`est le cas, par exemple, des
sociétés légitimes versant des pots de vin à des
représentants officiels étrangers afin de faciliter la
commercialisation de leurs marchandises dans des pays ou elles sont bannies. Il
faudrait insister davantage sur le fait que la contrebande couvre un ensemble
de conduites criminelles, ce qui la rend d`autant plus préoccupante.
On pense généralement que la contrebande des
entreprises et des criminels à col blanc rencontre plus d`indulgence,
sur le plan social comme sur le plan pénal, que la criminalité de
d`autres types.
Du fait que ces types de comportements criminels sont
liés, la tolérance relative dont jouissent habituellement les
criminels à col blanc risque de s`étendre aux membres de groupes
criminels actifs de la contrebande.
Ainsi pensons nous que des recherches plus poussées sur
les causes des divers types de criminalité contrebandière
s`imposent.
Il faudrait aussi étudier davantage les effets des mesures
dissuasives punitives et réparatrices ainsi que le rôle des
services de répression.
Peu nombreux sont les travaux de recherches empiriques
disponibles, et les études existantes portent essentiellement sur les
répercussions de la contrebande au niveau national et local.
Cependant, l`ONU entend combler cette lacune à travers
ses études mondiales sur la contrebande. Cette criminalité ne
doit pas être assimilée exclusivement aux activités
illégales d`organisation comme les mafias et les groupes de cartels
à travers le monde, ils ne sont pas les seuls. De même, il ne faut
pas se polariser uniquement sur des activités contrebandières
classiques comme le trafic de drogue, la traite des êtres humains, le
trafic de marchandises volées et le blanchiment de produits
illégaux.
Il se peut fort bien que la contrebande aille au-delà de
ces activités classiques et revête des caractéristiques
plus complexes.
Elle peut par exemple recouper la déviance
d`entreprise, et parfois des pouvoirs publics. Tel est le cas lorsque des biens
produits légalement sont commercialisés illégalement.
Exemple, la contrebande de matières nucléaires, d`armes, de
produits pharmaceutiques, des tableaux, d`alcools, de vivres etc. Tel est le
cas également lorsque des biens produits dans un pays sont
commercialisés illégalement dans un pays où ils sont
officiellement interdits, avec la complicité de politiciens corrompus.
La contrebande englobe les fraudes fiscales, la contrefaçon,
l`escroquerie vis-à-vis d`institutions financières, la
concurrence déloyale sur les marchés, l`espionnage industriel,
l`importation et exportation de plantes et d`animaux protégés, le
trafic d`uvres d`art et le rejet illégal de déchets industriels
toxiques.
Elle recouvre aussi, outre les activités
illégales de groupes ou d`organisation terroristes, la violation des
sanctions et embargos imposés à des pays par la communauté
internationale et l`agression perpétrée contre des pays sous
forme de guerre et génocide.
Les activités contrebandières s`accompagnent
pour la plupart des faits illégaux comme la corruption des
fonctionnaires, qui facilite la perpétration d`une infraction et sa
dissimulation, et le blanchiment de capitaux à travers des institutions
bancaires ou des organismes extraterritoriaux.
Enfin, le fait que les membres d`un groupe criminel
organisé transnational soient, au besoin, au nom de leurs
intérêts, prêts à recourir à la violence et en
mesure de le faire, suscite fortes préoccupations d`ordre
économique, juridique, policier, et surtout social.
Les études réalisées offrent des
centaines de monographies à propos desquelles il faut cependant se
montrer extrêmement prudent, pour au moins deux raisons. En premier lieu,
le choix de la zone étudiée n'est pas neutre car il dépend
d'une connaissance a priori de l'observateur sur ce qu'il souhaite
découvrir en s'immisçant dans un espace géographique
donné. Par exemple, l'étude des ateliers clandestins de
confection dans le quartier du Sentier à Paris ou dans la via TIBURTINA
à Rome ne permet pas d'inférer une quantification de la
filière textile souterraine en France ou en Italie. Une simple
extrapolation surestimerait manifestement les résultats. En second lieu,
prendre des statistiques tirées des redressements fiscaux ou sociaux
comme indicateurs de la fraude fiscale ou sociale conduit aussi à en
surestimer l'ampleur.
En effet, les services compétents ne tirent pas au hasard
une personne ou une entreprise à contrôler, ils procèdent
selon des méthodes propres à leur profession qui leur permet
d'opérer des vérifications à partir d'échantillons
plus biaisés que représentatifs.
L'économie souterraine étant tout sauf
homogène, il convient également d'évoquer les
méthodes retenues pour mesurer tel ou tel de ses aspects. Sans
être exhaustifs, les enquêtes sur les dépenses des
ménages, sur la main-d'~uvre, sur les revenus, sur l'emploi du temps des
ménages et même les sondages d'opinion peuvent contenir des
questions destinées à déceler ou à quantifier les
activités souterraines.
S'agissant de la production, de la distribution ou de la
consommation de stupéfiants ou de marchandises de contrebande, il n'y a
pas de données provenant d'observations directes. Les estimations se
basent sur les données fournies par la police, la gendarmerie nationale
ou la douane à partir des saisies effectuées et sur une
estimation du nombre de personnes appréhendées, émanant
des services de ces institutions. On parvient ainsi à estimer une
consommation nationale de produits de
contrebande en volume, qu'il faut ensuite transformer en
valeur à partir d'une estimation du prix, lequel fluctue au rythme de
l'offre, de la demande et surtout en fonction des taux de saisies. Le calcul du
chiffre d'affaires de la drogue et des marchandises de contrebande doit ensuite
être comparé avec le calcul du prix d'achat des matières
premières pour en déduire une valeur ajoutée. Cette valeur
varie d'un pays à un autre, avec une grande diversité de cas: il
existe des pays producteurs qui exportent de la drogue ou les marchandises de
contrebande; des pays importateurs qui doivent puiser dans d'autres ressources
pour se procurer des stupéfiants ou des marchandises illicites; des pays
à la fois exportateurs et importateurs du même produit et des
articles qui pratiquent du négoce international; et même des cas,
dans un pays donné, de commerce intra branche de stupéfiants et
de marchandises de contrebande (importations et exportations de produits de
qualités différentes).
Les calculs sont compliqués par le fait que les revenus
générés par les opérations illégales en
général, et par le trafic de marchandises de contrebande en
particulier, font souvent l'objet d'un blanchiment pour ensuite être
réinjectés dans le circuit légal à des fins de
consommation ou d'épargne. Notons en outre que la somme des parties
n'est pas égale au tout. Si l'on additionne la fraude fiscale, le
travail au noir, la corruption, les vols et le trafic de stupéfiants, on
n'obtient pas l'économie souterraine, car en procédant à
cette addition, on comptabilise plusieurs fois la même grandeur. Cette
observation justifie, si besoin est, l'intérêt d'avoir
désormais des définitions homogènes pour toutes les
composantes de l'économie cachée.
En ce qui concerne les causes de l'économie souterraine,
elles sont fonction des modes d'organisation des sociétés.
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