VI-1-Méthodes D'analyse
1- Épistémologie scientifique et limites
Selon GASTON BACHELARD, la science est un
produit de l`esprit humain, produit conforme aux lois de notre pensée et
adapté au monde extérieur. Elle offre donc deux aspects, l`un
subjectif, l`autre objectif, tous deux également nécessaires, car
il nous est aussi impossible de changer quoi que ce soit aux lois de notre
esprit qu`à celle du monde. Nous disons que ce sont ces mêmes
démarches que les sciences criminologiques utilisent pour aborder la
compréhension de tout phénomène social. Elle a à
réfléchir sur l`utilité et l`efficacité des lois
qu`elle découvre.
Il ne serait pas difficile de montrer, d`une part, que, dans
ses jugements scientifiques, le rationaliste criminologiste le plus
déterminé accepte journellement l`instruction d`une
réalité qu`il ne connaît pas à fond et que, d`autre
part, le réaliste le plus intransigeant procède à des
simplifications immédiates, exactement comme s`il admettait les
principes informateurs du rationalisme. Autant dire que pour la philosophie
scientifique, il n`y a ni réalisme ni rationalisme absolus et qu`il ne
faut pas partir d`une attitude philosophique générale pour juger
la pensée scientifique. Tôt ou tard, c`est la pensée
scientifique qui deviendra le thème fondamental de la polémique
philosophique ; cette pensée conduira à substituer aux
métaphysiques intuitives et immédiates les métaphysiques
discursives objectivement rectifiées. A suivre ces rectifications, on se
convainc par exemple qu`un réalisme qui a rencontré le doute
scientifique ne peut plus
Otre de mOme espèce que le réalisme
immédiat. Il semble d`ailleurs qu`on puisse donner rapidement une raison
de cette base dualistique de toute philosophie scientifique : par le fait
même que la science est une philosophie qui s`applique, elle ne peut
garder la pureté et l`unité d`une philosophie spéculative.
Quel que soit le point de départ de l`activité scientifique,
cette activité ne peut pleinement convaincre qu`en quittant le domaine
de base : si elle expérimente, il faut raisonner ; si elle raisonne, il
faut expérimenter.
Toute application est transcendance. Dans la plus simple des
démarches scientifiques, nous montrerons qu`on peut saisir une
dualité, une sorte de polarisation épistémologique qui
tend à classer la phénoménologie sous double rubrique du
pittoresque et du compréhensible, autrement dit, sous la double
étiquette du réalisme et du rationalisme. Si nous savions,
à propos de la psychologie de l`esprit scientifique, nous placer juste
à la frontière de la connaissance scientifique, nous verrions que
c`est à une véritable synthèse des contradictions
métaphysiques qu`est occupée la science contemporaine. Toutefois,
le sens du vecteur épistémologique nous paraît bien net. Il
va sûrement du rationnel au réel et non point, à l`inverse,
de la réalité au général comme le professaient tous
les philosophes depuis Aristote jusqu`à Bacon.
Si le réel immédiat est un simple
prétexte de pensée scientifique et non plus un objet de
connaissance, il faudra passer du comment de la description au commentaire
théorique. Cette explication prolixe étonne le philosophe qui
voudrait toujours qu`une explication se borne à déplier le
complexe, à montrer le simple dans le composé. Or la
véritable pensée scientifique est métaphysiquement
inductive ; comme nous le montrerons à plusieurs reprises, elle lit le
complexe dans le simple, elle
dit la loi à propos du fait, la règle à
propos de l`exemple. Nous verrons avec quelle ampleur les
généralisations de la pensée moderne achèvent les
connaissances particulières. Nous mettrons en évidence une sorte
de généralisation polémique qui fait passer la raison du
pourquoi au pourquoi pas. Nous ferons place à la paralogie à
côté de l`analogie et nous montrerons qu`à l`ancienne
philosophie du comme si succède, en philosophie scientifique, la
philosophie du pourquoi pas. Comme le dit Nietzsche : tout ce qui est
décisif ne naît que malgré. C`est aussi vrai dans le monde
de la pensée que le monde de l`action. Toute vérité
nouvelle naît malgré l`évidence, toute expérience
nouvelle naît malgré l`expérience immédiate.
Devant cette floraison épistémologique, faut-il
continuer de placer d`une réalité lointaine, opaque, massive,
irrationnelle ? C`est oublier que le réel scientifique de la
criminologie est déjà en rapport dialectique avec la raison
scientifique. Après un dialogue qui dure depuis tant de siècles
entre le monde et l`Esprit, on ne peut plus parler d`expériences
muettes. Pour interdire radicalement les conclusions d`une théorie, il
faut que l`expérience nous expose les raisons de son opposition. Le
physicien n`est pas aisément découragé par une
expérience négative. Michelson est mort sans trouver les
conditions qui auraient, d`après lui, redressé son
expérience relative à la détection de l`éther. Sur
la base mOme de cette expérience négative, d`autres physiciens
ont subtilement décidé que cette expérience
négative dans le système de Newton était positive dans le
système d`Einstein. Ils ont précisément
réalisé sur le plan de l`expérience, la philosophie du
pourquoi pas. Ainsi une expérience bien faite est toujours positive.
Mais cette conclusion ne réhabilite pas la positivité absolue de
l`expérience tout court, car une expérience ne peut être
une expérience bien faite que si elle est complète, ce qui
n`arrive
que pour l`expérience précédée
d`un projet bien étudié à partir d`une théorie
achevée. Finalement les conditions expérimentales sont des
conditions d`expérimentation. Cette simple nuance donne un aspect tout
nouveau à la science puisqu`elle met l`accent sur les difficultés
techniques qu`il y a à réaliser un projet théorique
préconçu. Les enseignements de la réalité ne valent
qu`autant qu`ils suggèrent des réalisations rationnelles.
C`est donc bien à la croisée des chemins que
doit se placer l`épistémologie, entre le réalisme et le
rationalisme. C`est là qu`il peut saisir le nouveau dynamisme de ces
philosophies contraires, le double mouvement par lequel la science simplifie le
réel et complique la raison. Le trajet est alors écourté
qui va de la réalité expliquée à la pensée
appliquée. C`est dans ce court trajet qu`on doit développer toute
la pédagogie de la preuve.
D`une manière générale encore, n`y a-t-il
pas un certain intérêt à porter le problème
métaphysique essentiel de la réalité du monde
extérieur sur le domaine même de la réalisation
scientifique ? Pourquoi partir toujours de l`opposition entre la Nature vague
et l`Esprit fruste et confondre sans discussion la pédagogie de
l`initiation avec la psychologie de la culture ? Par quelle audace, sortant de
moi, va-t-on recréer le Monde en une heure ? Comment aussi
prétendre saisir un moi simple et dépouillé, en dehors
même de son action essentielle dans la connaissance objective ? Pour nous
désintéresser de ces questions élémentaires, il
nous suffira de doubler les problèmes de la science par les
problèmes de la psychologie de l`esprit scientifique, de prendre
l`objectivité comme une tâche pédagogique difficile et non
plus comme une donnée primitive.
D`ailleurs c`est peut-Otre dans l`activité scientifique
qu`on voit le plus clairement le double sens de l`idéal
d`objectivité, la valeur à la fois réelle
et sociale de l`objectivation. Comme le dit M. Lalande, la
science ne vise pas seulement à « l`assimilation des choses entre
elles, mais aussi et avant tout à l`assimilation des esprits entre eux
». Sans cette dernière assimilation, il n`y aurait pour ainsi dire
pas de problème. Devant le réel le plus complexe, si nous
étions livrés à nous-mOmes, c`est du côté du
pittoresque, du pouvoir évocateur que nous chercherions la connaissance
: le monde serait notre représentation. Par contre, si nous
étions livrés tout entier à la société,
c`est du côté du général, de l`utile, du contenu,
que nous chercherions la connaissance : le monde serait notre convention. En
fait, la vérité scientifique est une prédiction, mieux,
une prédication. Nous appelons les esprits à la convergence en
annonçant la nouvelle scientifique, en transmettant du même coup
une pensée et expérience, liant la pensée à
l`expérience dans une vérification : le monde scientifique est
donc notre vérification. Au dessus du sujet, au-delà de l`objet
immédiat, la science moderne se fonde sur le projet. Dans la
pensée scientifique, la méditation de l`objet par le sujet prend
toujours la forme du projet.
Les données ci-dessus recueillies, font ressortir de
l`enquOte que l`âge, est un facteur à risque et non un facteur
définitif dans l`explication du phénomène. En ce sens que
l`on a pu croiser différentes tranches d`âge au centre du
phénomène lors des investigations. Cependant, la tranche
d`âge de (18, 25) a connu le plus grand nombre d`acteurs contrebandiers
et cela s`explique tout simplement parce qu`elle représente la plus
grande franche de la population ivoirienne en activité économique
soit plus de 50% (INS 98) de la population active. Le genre (sexe) est comme
l`âge un facteur à risque, il ne justifie pas absolument la
présence d`un individu dans la contrebande. On rencontre à la
fois des femmes et des hommes au centre du problème. Cependant, les
hommes
ont prouvé par leur accessibilité et
disponibilité, qu`ils étaient près à participer
à notre recherche différemment aux femmes qui elles, se sont
montrées un peu plus discrètes. On a aussi rencontré d`une
part, des acteurs actifs (fournisseurs, des vendeurs ou des revendeurs) et
d`autre part des acteurs passifs (acheteurs, distributeurs consommateurs).
Aucun rôle ici n`est plus déterminent que l`autre dans la
structuration du phénomène par exemple le fournisseur n`est pas
plus important que le distributeur, chaque maillon du réseau à
une utilité. On retrouve aussi tous les niveaux d`instruction au centre
du problème depuis les acteurs analphabètes jusqu`aux grands
intellectuels (criminels à col blanc) tous à leur niveau se
retrouvent au centre de la contrebande, même si le regard est très
souvent dirigé vers les acteurs analphabètes qui se font le plus
souvent prendre pendant les contrôles.
En définitive, toutes les couches sociales participent
au phénomène, allant, du travailleur dans l`administration
publique à celui du privé, de celui du formel à
l`informel, jusqu`aux débrouillards ou aux sans emplois. Cependant, le
regard reste pointé sur les acteurs qui n`ont pas un emploi fixe
(chômeurs, débrouillards, sans emploi) contrairement aux
travailleurs ayant un emploi fixe et officiel. Cette situation s`explique par
le fait que l`opinion publique pense que les individus qui ont un emploi fixe
et officiel, sont moins tentés à passer à l`acte de
contrebande que ceux qui se trouvent dans un état d`oisiveté et
d`emploi précaire. Un adage populaire le signifiant si bien =`l`
oisiveté est la mère de tous les vices«. MOme s`il
s`avère que c`est le point de vu de l`opinion commune, dans la
réalité et dans les faits, un travailleur officiel n`est pas
moins contrebandier qu`un autre employé dans un emploi officieux.
Pour mieux comprendre le phénomène de la
contrebande, Il s`agit de comprendre les motivations personnelles de chaque
acteur en face
d`une situation incitatrice ou de toute opportunité
avant le passage à l`acte. Il faut tenir compte très souvent de
la condition sociale des acteurs. Et cette analyse est la même en ce qui
concerne les facteurs explicatifs liés à la nationalité,
au milieu de vie, à la situation matrimoniale, à la religion etc.
Tous ces facteurs explicatifs doivent toujours être associés au
libre arbitre de l`acteur. Parce qu`il existe dans des cas où, des
individus malgré leur condition de vie favorable, aisée ne
s`empêchent pas à prospérer dans la contrebande pour un
besoin de rentabilité économique et pour un enrichissement
illicite permanant.
Par contre il se trouve des personnes vivant dans une
situation de vie défavorisée, qui volontairement refuse
d`être contrebandier. Alors les questions de fond qui nous viennent
à l`esprit sont les suivantes :
Quelles sont les raisons personnelles et fondamentales qui
incitent tout individu à embrasser une carrière de contrebandier
?
Est-ce parce que cette activité lui apporte une
sécurité économique ? Est-ce qu`on devient contrebandier
par imitation ou par envie?
Est-ce qu`on est contrebandier parce que les contrôles de
douane et de police ne sont pas efficaces?
Est-ce qu`on est contrebandier parce que les autorités
créent ou surestiment les droits et taxes de douane aux
frontières ?
La préférence de la transaction au
détriment de l`application strictes de sanctions pénales en
matière de punition contrebandière n`est elle pas une des raisons
explicatives du problème?
En tentant de répondre à ces interrogations nous
cherchons à explorer d`autres voies explicatives du
phénomène.
Les motivations ou raisons de l`acteur lui-même soumis
à de fortes tentations peuvent le conduire au passage à
l`acte.
Sans oublier que les défaillances liées aux
mesures de contrôle et à la taxation démesurée aux
différentes entrées routières du district d`Abidjan
explique aussi le phénomène.
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