Section 2 : GENESE DE LA MICROFINANCE EN REPUBLIQUE
DEMOCRATIQUE DU CONGO
Du point de vue de la structure
Tout le monde s'accorde à ce que les
coopératives d'épargne et de crédit sont les plus
anciennes des institutions de microfinance formelles et semi formelles en
RDC.
D'où, l'on ne saurait comprendre le contexte
d'émergence de la microfinance en dehors de celle des
coopératives d'épargnes et de crédit dont les origines
sont lointaines et dépassent le cadre continental africain5
:
En 1831, un philosophe et homme politique français
Philippe BUCHEZ, un des inspirateurs du socialisme chrétien
établit les règles de la coopération ouvrière de
production.
En 1844, un petit groupe de tisserands anglais de la ville de
Rochdale lança la première coopérative de consommation.
Cette société coopérative qui s'occupait
au départ d'une boutique des produits alimentaires et autres articles
des ménages fut créée sur certaines règles dont le
succès fut tel qu'elle se transforma en un mouvement national.
Profitant ainsi de cette réussite des anglais, les
français, dont le pays était le premier à créer la
coopérative de production ont approfondi les recherches qui ont abouti
en 1934 à la réalisation du système, des
coopératives de production qui est devenu mondial.
C'est en Allemagne que les premières formes de
coopérative d'épargne et de crédit ont vu le jour au XIXe
siècle. Mal payés, les ouvriers et les petits fonctionnaires
avaient beaucoup de difficultés et de mal à nouer les deux bouts
aux fins de mois. La sécurité sociale n'existait pas et pour
octroyer les crédits, les banques exigeaient des garanties fortes
coûteuses.
Alors cette catégorie de personnes ne pouvait obtenir
de crédits qu'en recourant aux services des usuriers qui pratiquaient
des taux d'intérêts très élevés.
5MPEGERE, C., « Rapport d'étude sur la
règlementation des institutions de microfinance et des fonsdev en RDC
», 2007, p.13
Ainsi, pour venir en aide à cette masse des personnes,
HERMANN CHULZE- DELITZSCH (1853) et FRIEDRICH WILHEM RAIFFENSEN (1866), ont-ils
créé des coopératives permettant aux pauvres de mettre
ensemble leurs économies pour avoir un crédit plus facile et
moins cher.
Il s'agissait d'apprendre aux économiquement faibles
d'économiser non pas pour devenir riches, mais pour subvenir aux besoins
primaires, ils devraient pour cela, mettre en commun des avoirs de chacun au
profit de l'ensemble. Les actions de RAIFFEISEN se répandirent vite en
Allemagne et poussèrent d'autres pays d'Europe à les adopter: en
Italie sous l'impulsion de Léon WOLLEMBOURG, en Belgique sous la
conduite de l'abbé MELLAERTS. En 1900, l'Europe comptait
déjà quelque 8.000 sociétés coopératives
d'épargne et de crédit.
De l'Europe, le mouvement gagna le continent américain
et surtout le Canada où en 1900 Alphonse Desjardins fonda la
première caisse populaire à Lévis au Québec.
Desjardins est considéré comme fondateur des coopératives
d'épargne et de crédit telles que nous les connaissons
aujourd'hui. Le mouvement Desjardins est conçu comme une synthèse
originale des différents modèles d'institutions d'épargne
et de Crédit européennes.
Du Canada, les COOPEC gagnèrent l'Australie, les
Etats-Unis d'Amérique et l'Afrique.
Les associations d'épargne et de crédit prennent
différents dénominations en Afrique :
-Caisse populaire d'épargne et de crédit;
- Caisse rurale d'épargne et de crédit;
- Coopérative d'épargne et de crédit;
- Coopérative de crédits mutuels ou mutuels de
crédit ; - Banques populaires~
Malgré ces différentes dénominations,
elles poursuivent toutes les mêmes objectifs à savoir : regrouper
les gens d'une même communauté qui veulent mettre ensemble leurs
économies et les gérer ensemble. Les adjectifs populaires,
ruraux, ou mutuels qui qualifient ces coopératives ou caisses ont un
sens propre dans ce contexte.
Ces coopératives ou caisses sont populaires parce
qu'elles sont organisées par des simples gens qui en sont
propriétaires, les seules gérants et les seuls
bénéficiaires ; « populaires parce qu'accessibles à
tout le monde. Elles deviennent « rurales » quand elles sont
créées en milieux ruraux par des paysans. Elles sont
gérées par les paysans eux-mêmes, avec des personnes
choisies parmi eux et par eux. L'adjectif « mutuel met l'accent sur
l'idée d'entraide sans but lucratif.
1. Epoque coloniale
Si pendant l'époque coloniale les coopératives
d'épargne et de crédit avaient été favorablement
accueillies dans les colonies anglaises au Congo par contre, leur
reconnaissance par l'autorité coloniale fut tardive et une place modeste
leur fut réservée.6
a. Oubli délibéré de Coopérative
d'épargne et de crédit
Exposant le problème de COOPEC en RDC, Moeller constata
dans les années 40 l'inexistence d'endettement et de l'usure
auprès des populations congolaises de la colonie belge. Aussi ne
croit-il guerre pouvoir justifier la nécessité de la
création de ce type d'organisation coopérative car selon lui la
COOPEC n'est envisagée et conçue qu'en fonction d'un état
d'endettement et d'usure, au lieu de servir à fournir aux organisations
indigènes les premières mises de fonds nécessaires
à la formation de leur capital à l'installation, et à
l'achat de matériel.
L'appréhension d'un échec l'écarta de
cette voie afin qu'un désastre éventuel estime-t-il ne
détruise dans l'esprit de l'indigène tous les avantages de
l'épargne. Cette position fut en fait celle du Conseil colonial
lorsqu'il fut question des associations coopératives indigènes
écartant ainsi le problème de la création des
coopératives de crédit. Quand l'opportunité d'une
politique de crédit fut reconnue, il fut préconisé que
celle-ci serait réalisée par deux voies :
- Un fonds spécial de crédit indigène qui
permettrait de distribuer de crédit aux agriculteurs ;
- Des caisses administratives qui pourraient aussi dans
certains cas leur fournir des avantages. Malgré les limites connues et
imposées à ces deux institutions qui ne sont pas parvenues
à être « populaires » et la conviction que les
créations de coopératives de crédit telles que
préconisées et réalisées en faveur des colonies
anglaises constitueraient
6MPEGERE, C., op.cit., p.15
une excellente mesure, Mr Willaert écartait cette
dernière solution, pour la très simple mais significative raison
qu' : « on pourrait arriver plus facilement au même résultat
en créant au Congo une caisse d'épargne sur le modèle de
la caisse d'épargne et de retraite de Belgique .
Manifestement, le problème des coopératives
d'épargne et de crédit était en rapport à la fois
avec la politique de crédit et le financement des coopératives
indigènes. Les véritables caisses d'épargne et de
crédit auraient sans doute produit un double effet:
- doter les coopératives à la base de moyens
financiers ;
- leur conférer un pouvoir économique et politique
jusque-là craint par le colonisateur.
b. Interventions coopératives de la caisse
d'épargne
Certains objectifs visés par la caisse d'épargne
du Congo belge étaient :
- Aider les autochtones à se constituer des
réserves afin d'améliorer leur situation socio-économique
;
- Faire entrer dans le circuit économique et utiliser
à des fins productives des sommes qui, sans cela resteraient inactives.
Cette caisse d'épargne serait alimentée par :
- des fonds provenant de l'épargne ou des
dépôts des autochtones; - des apports de caisse de chefferies ;
- des coopératives cotonnières et autres ;
- des apports de l'épargne non indigène.
Il s'est avéré lors des discussions sur la
création de cette caisse que l'utilisation de son actif et la
préoccupation de faire servir l'épargne des autochtones au
développement de l'économie étaient absent du projet de
décret. L'autorité coloniale fut si réticente à
l'idée des COOPEC que fut rejetée l'initiative de leur
création au Kasaï en 1957 par l'association de classes moyennes
africaines (A.C.M.A.E) : elle était en effet perçue comme un
moyen et une force économique forte dangereuse pour l'administration et
le secteur européen.
Alors, par la caisse d'épargne, le pouvoir colonial
s'était fixé pour objectif non seulement de recueillir les
économies individuelles mais aussi et surtout, de mettre fin à
l'existence de ces nombreuses caisses d'épargnes privées du fait
que, se situant en dehors du circuit économique formel, celles-ci ne
faisaient pas l'objet d'aucun contrôle.
A l'instar de la caisse générale
d'épargne et de retraite de Belgique, la caisse d'épargne du
Congo devrait donc rationner la collecte de l'épargne populaire et
assumer un monopole de fait visant une meilleure utilisation des moyens
financiers et un contrôle effectif de l'Etat.
Malheureusement par son biais il eut des transferts frauduleux
des fonds vers la caisse coloniale et métropolitaine.
Enfin en 1958, un projet de décret tendant à
modifier celui de 10 Juin 1950 conférant enfin à la caisse la
possibilité d'accorder des prêts et avances aux
coopératives indigènes régies par le décret du 24
Mars 1956. Ainsi la caisse d'épargne était autorisée
à s'impliquer dans le financement des coopératives. Avant la
caisse d'épargne, des caisses régionales et de nombreuses caisses
d'épargnes d'initiatives privées avaient été
créées.
Parmi ces dernières celle du Centre agronomique de
l'université Lovanium au Congo (CADULAC), une des plus importantes par
ses volumes d'épargne et le montant de ses prêts.
Suite à la création de la caisse
d'épargne du Congo belge le 10 Juin 1950, les épargnants de
CADULAC ont été engagés à transférer leurs
dépôts à cette institution officielle. En
définitive, la caisse d'épargne n'a été d'aucun
concours pour les coopératives. En effet, quatre ans après sa
création, ses fonds étaient toujours placés dans les
circuits économiques européens et asiatiques, les
coopérateurs et leurs coopératives n'y avaient aucun
accès.
Il apparaît ainsi qu'entre la coopérative
d'épargne et de crédit et la caisse d'épargne, le pouvoir
colonial avait opté pour cette dernière, se dotant ainsi d'un
outil de rationalisation et de contrôle et « gelant une solution
qui, si elle avait été effective aurait renforcé et promu
les coopératives indigènes.
Cette option, sans doute politique, exprime les
difficultés de la coopérative d'épargne et de
crédit promue par le pouvoir colonial et est symptomatique du non
engagement du pouvoir colonial à faire des coopératives un
instrument réel d'autopromotion.
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