CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
Dans le milieu religieux, nous ne sommes pas loin de cette
conception populaire qui indique que la maladie du sida peut être
donnée par le moyen de la sorcellerie. Sauf que dans le cas du Sida, au
fil du temps de la déconstruction biomédicale des
révélations illusoires des pasteurs, de moins en moins
déclarent guérir le Sida. Mais ils n'ont pas,
nécessairement, abdiqué pour autant. Le rapport à changer
car ce n'est plus une maladie du Diable mais une punition divine que les
séropositifs ne peuvent extraire de leur corps que par la puissance
charismatique du pasteur et de ses prières de délivrances. Quant
au mouvement ésotérique des confréries initiatiques, le
rapport à la maladie oscille entre l'homme et les esprits
supérieurs. Être malade du Sida c'est être tributaire d'un
karma individuel ou collectif. Apprendre à vivre avec sa maladie,
l'assumer c'est alléger son karma et peut être guérir
divinement du Sida. L'autre dans cette conception cesse d'être
diabolisé mais est plutôt vu comme moyen de repentance. A tout le
moins, il existe ce principe que Michel FOUCAULT énonce comme pouvoir de
vie et de mort sur les sujets287. Dans cet univers religieux, il y a
toujours un être qui à droit de vie et de mort sur les hommes,
Dieu ou le Souverain moderne, et la maladie est une de ses armes.
Mais quelque chose d'essentielle semble utile à retenir
de cette deuxième partie. L'essentiel est de retenir que dans les villes
postcoloniales, la forte prégnance à tout se représenter
suit un mode de raisonnement qui se conceptualise sous trois piliers qui sont :
la sorcellerie, le sexe et Dieu ou la religion. Ce n'est jamais loin des
frontières de la sorcellerie, du sexe ou de Dieu que la maladie de
manière générale, et la maladie du sida en particulier, se
représente. C'est toujours soit en rapport avec l'autre ou en rapport
avec une puissance imaginaire telle que Dieu, qui est à l'origine du
sida. C'est donc toujours les idées qui gravitent autour des choses du
corps, des affaires du corps qui soutiennent les piliers des métaphores
du sida à Libreville. Nous ne quittons pratiquement pas le domaine de
l'imaginatif.
Cependant, il faut éviter d'omettre de parler du
phénomène de la décolonisation. En effet, comme nous
l'avons présenté la décolonisation a participé pour
beaucoup dans l'édification des métaphores et, de manière
générale, des représentations sociales
déformées de la maladie du sida. Car elles étaient le lieu
de la revendication identitaire d'une race, d'une langue, d'une culture noire.
Ainsi, la médecine s'est heurtée aux représentations
sociales qui s'étaient établies en l'absence ou lors du
déficit biomédical pour lutter contre la maladie du sida.
À cet effet, les métaphores sont un front ou un lieu de conflit
entre un discours biomédical colonial européen et un discours
traditionnel indigène qui dénie le sida. C'est le lieu de la
revendication identitaire d'un langage. Un marché économique et
politique se dégage de cette lutte du sens.
Mais encore, deux grands moments se distinguent dans la
description de notre objet d'étude. Le premier c'est cette forte
inclinaison à renvoyer tout vers une attaque extérieur.
287 Michel FOUCAULT, Il faut défendre la
société. Cours au collège de France 1976, Paris,
Hautes Etudes, Gallimard, Le Seuil, 1997
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Une recherche du bouc-émissaire est propre au sida dans
la société postcoloniale. C'est toujours l'autre que l'on peut
métaphoriser en autre invisible, un autre qui est sans être.
« Dans ces espaces, le pouvoir crée un Autre absolument
nommé, dit par des mots ultimes qui le totalisent en tant
qu'Autre.288» Le second moment, c'est cette
réappropriation du sida par la biomédecine. Le sujet, le citoyen
cesse de prendre pour référence cet Autre imaginaire pour
réintégrer la notion de responsabilité. La
modernité fait flamber les imaginaires afin de faire repousser la notion
du Soi. Le soi, devient le centre des conceptions du sida. L'Autre fautif,
envoyeur de fusil nocturne, qui inocule mystiquement le sida, ou qui
décide de comment je vais mourir tend à disparaît afin de
laisser place à la notion moderne de responsabilité.
A travers cette partie nous comprenons qu'en fait, « les
métaphores ou les mots qui servent à parler du Sida, sous
prétextes d'imposer le réel du Sida contre l'irréel des
métaphores ou des mots, institut ces derniers au même niveau de
réalités que le réel du Sida. Cela signifie que
l'irréel devient aussi réel que le réel et c'est cela la
violence de l'imaginaire. C'est une violence qui transforme les figures de
l'imaginaire en figures aussi réelles, sinon, plus réelles que
les réalités289. » Mais ces métaphores ont
plus une utilité politique. En ce sens qu'elles sont assimilables
à des dispositifs, des manières de penser. Car le dispositif
c'est «tout ce qui a, d'une manière ou d'une autre, la
capacité de capturer, d'orienter, de déterminer, d'intercepter,
de modeler, de contrôler et d'assurer les gestes, les conduites, les
opinions et les discours des êtres vivants.290» Les
métaphores sont des dispositifs qui visent à endoctriner mais
aussi à modeler les esprits des acteurs des espaces
hétérotopiques des villes postcoloniales.
288 Eugénia VILELA, op cit, p 12.
289 Joseph TONDA, Entretien a l'UOB, le 27 septembre 2011.
290 Giorgio AGAMBEN, Qu'est-ce qu'un dispositif ?,
Paris, Editions Payot et rivages, 2007, p 31.
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