2) Les métaphores du Sida à Libreville
1d1-1l'1-x11411-K4 I1-4s le Soi : discussion autour de la
postcolonialité et de la modernité
Entreprendre une discussion sur l'extérieur et le Soi
dans les métaphores du Sida, c'est ouvrir une discussion autour de deux
notions qui sont le postcolonialisme et le modernisme dans la
société gabonaise. En effet, nous pensons que les
métaphores du Sida s'articulent , du point de vue historique de la
notion de prévention, sur deux axes historique que nous résumons
sous les termes de postcolonialité et de modernité.
Nous disions qu'il y a deux moments qui structurent la
réflexion des métaphores du Sida. Le premier moment est cette
période de la postcolonie. Dans cette période, les
métaphores du Sida sont la manifestation de cette incurie de
l'État sur la maladie du Sida. En effet, à travers les discours
de membres du gouvernement, à l'instar du Docteur OKIASS, qui
énonce que le gabonais est naturellement immunisé contre le Sida,
nous avons une lecture de la puissance de l'imaginaire. Le gabonais pense que
vivant sur la « terre bénie de Dieu » aucun malheur ne peut,
même pas le Sida, les affecter car étant protéger par une
puissance invisible, les esprits des ancetres, les génies de l'eau et de
la forest. C'est la croyance en ces esprits qui ouvre la
spécificité de la pensée postcoloniale dans ce propos.
Dans cette période, le Gabon, « pays des dieux », est
cloîtré dans un repli identitaire qui cherche à exprimer la
maladie du Sida. C'est ainsi que, le Mbumba ou l'arc-en-ciel
représentation symbolique d'un serpent mystique sorcier propre aux
ethnies de l'Estuaire, du Moyen-Ogooué, de l'Ogooué-Maritime et
la Nyanga est une explication du Sida. Ou encore, le Nzatsi (répandue
dans toutes les provinces du pays et dans chaque ethnie), le Kôhng
(propre à la région du Woleu-Ntem et de l'ethnie fang), le Mbolou
(ethnie kota) qui sont aussi cette représentation de la maladie du Sida.
Cela dit, la maladie du Sida est dans un repli identitaire. Ce repli s'explique
par le fait que chaque ethnie du Gabon cherche à donner une explication
au Sida. Mais ces représentations de la maladie du Sida sont
profondément, comme nous l'avons montré dans les chapitres
précédents, des pensées où le malheur, la maladie
du Sida font suite a une attaque en sorcellerie. C'est dire que la maladie du
Sida dans cette période de la pensée postcoloniale au Gabon est
tournée vers l'extérieur. C'est toujours l'autre qui est à
l'origine de la maladie. La maladie du Sida est alors une maladie de
l'extérieur, de l'extériorité, du repli identitaire. Ces
métaphores sont exprimées dans des espaces
hétérotopiques qui prônent la puissance de l'imaginaire.
C'est pour ainsi dire des lieux de l'obscurité, de l'ombre, de la grande
nuit imaginaire où règnent l'imaginaire et le non-être, la
mort. La maladie est en rapport avec ces choses, ce mauvais corps ou ce mauvais
sang qui a été inoculé par un agent extérieur, un
membre propre ou extérieur au lignage consanguin.
Le second moment est une période où la notion de
prévention prend une autorité scientifique au Gabon.
C'est-à-dire que le discours sur le Sida, même dans les espaces
hétérotopiques propre au sens du populaire, a « radicalement
» muté. Les métaphores du Sida n'ont plus rien avoir avec ce
discours du sens trivial qui avait pour ossature un besoin d'identification aux
puissances imaginaire régnant dans les forêts indigènes de
chaque ethnie du Gabon. Nous nous retrouvons dans des métaphores
où le Sida est une maladie du sang, une maladie d'amour, une maladie du
sexe. C'est dire, au premier abord, que nous avons tourné la
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page d'une extériorité de la maladie vers une
individualisation de la maladie. Car le sang, l'amour ou le sexe sont plus
proche de la notion de l'engagement de chaque individu face à cette
maladie. C'est soit par le sang ou le sexe que nous l'obtenons. Non plus par
une quelconque présence extérieure
mortifère284. C'est parce que nous ne nous protégeons
pas que nous contractons le Sida, l'individu est mis devant sa propre
dérive. Il y a une exclusion du bouc émissaire pour
accéder à la notion d'individualisme que, d'une certaine
manière, la notion de Karma cherche à « révolutionner
» dans la religion. Nous entrons dans une société qui sort
de l'obscurité du repli identitaire de la maladie du Sida. Une
société gabonaise qui démystifie et démythifie les
puissances de la nuit comme agent privilégier de la contamination du
Sida. Nous accédons à cette société où le
Sujet reprend toute sa place dans la société afin de prendre sa
responsabilité face à la maladie du Sida longtemps
attribué au mauvais regard du chasseur de la nuit imaginaire. Nous
accédons, petit à petit, à une société
moderne oü l'être reprend le pouvoir et le contrôle de la
réalité. Une modernité qui est selon Fidèle-Pierre
NZE NGUEMA « l'expression d'un ensemble de circonstance gratuites (...)
qui aboutissent au XXème siècle au développement
exponentiel des sciences et des techniques.285»
Toutefois, cette réflexion sur ces « tares »
à métaphoriser les objets, les choses et les mots en figures de
spectres de la nuit de la prestidigitation postcoloniale peuvent, in fine, se
comprendre. Il peuvent se comprendre du fait que ces figures font partie
intrinsèque de nousmémes. C'est probablement nos fantasmes qui
sont imagés au grand jour du réel par les métaphores et
les représentations sociales. Et, en ce sens, nous nous accordons avec
FOUCAULT quand il dit que « nous ne vivons pas dans un espace
homogène et vide, mais au contraire, dans un espace qui est tout
chargé de qualités, un espace qui est peut-être aussi
hanté de fantasmes ; l'espace de notre perception première, celui
de nos rêveries, celui de nos passions détiennent en
eux-mêmes des qualités qui sont comme
intrinsèques.286»
284 Confère les annexes.
285 Fidèle -Pierre NZE-NGUEMA, Modernité,
tiers-mythe et bouc-hémisphère, Paris, Publisud, 1990, p
31.
286 Michel FOUCAULT, Dits et écrits IV, Paris,
Gallimard, 1994, p 754.
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