c) Dieu ou le stupéfiant
Le Sida dans la société gabonaise est une
maladie que Dieu décide de donner à qui il veut. Le Sida est une
maladie qui fait suite à une volonté divine. Le troisième
pilier des métaphores du Sida au Gabon est un rejet ou encore une forme
de déni biomédical de la maladie du Sida. Dans les
sociétés postcoloniales indigènes, les acteurs ont
tendance à déférer leurs droits mais aussi leurs erreurs,
sur un ordonnancement qui dicte leur destin. La maladie du Sida est d'abord une
maladie individuelle, bien que dans le milieu religieux elle soit
reléguée au second plan car étant une maladie de Dieu ou
du Diable. En ce sens que, dès que le statut de séropositif est
connu, il est directement attribué, délégué
à une cause extérieur qui est généralement une
puissance supérieure à son entendement. Entre autre, une
puissance qui dirige la volonté est dicte le destin. C'est-à-dire
que ce qui doit arriver, arrive car l' « Être Suprême »
aurait décidé de ce qui arrive. Et c'est sous des variables
linguistiques telles que punition divine et de karma, qu'elle s'exprime au
Gabon. Nous nous retrouvons dans une vision que nous décrit Michel
FOUCAULT, plus précisément quand il énonce la
théorie du pouvoir Souverain. Le Souverain est dans un royaume sur
lequel il a droit de vie et de mort. La terre, selon les pentecôtistes,
est d'une certaine manière le royaume de Dieu sur lequel il a
autorité de vie et de mort. Dieu décide de qui doit vivre et de
qui doit mourir sur terre. Et il choisit, bien entendue, la façon dont
ses sujets doivent mourir. Dieu, nous avons compris, est le Souverain. Celui
qui puni à coup de Sida ou de karma.
Nous remarquons alors que ce Dieu auquel ils ont excessivement
recourt, est toujours un être invisible, inconnu, que personne ne
connaît, un construit idéologique que Karl MARX a décrit
comme l'opium du peuple : un «stupéfiant ». C'est donc une
omniprésence de l'imaginaire qui s'installe et s'impose dans chaque
rapport social et chaque rapport social face à la maladie. Le Sida dans
la tradition religieuse (et selon notre enquête) est un mal, une main
divine invisible qui vient réguler l'ordre dans les rapports sociaux,
les rapports sexuels dépravés. Ainsi dans une forme de
régulation, le « Sida divin » est une correction afin que les
hommes s'améliorent. Le rapport à la maladie du Sida dans la
religion est un rapport entre sujet et Souverain qui décide de vie ou de
mort.
Alors, le Sida méme s'il est, en dernier recours, une
maladie biomédicale envoyé par le Dieu Souverain, il est d'abord
dans cette expérience, une explication théologique, un refus
biomédical de la maladie. Cette métaphore de punition divine ou
de karma est un déni expressif de la maladie du Sida biomédical.
Dieu, le stupéfiant, est un outil pour voyager (tout comme le fait la
foi) dans un monde imaginaire, le monde de la grande nuit de la postcolonie. Si
au Gabon l'opium n'est pas donné, le cannabis est alors
métaphoriquement plus proche de
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nous. Ainsi, dès qu'on a consommé sa dose de
« cannabis " injectée par la bible, la société prend
une autre forme où tout est idyllique, où tout est clair,
c'est-à-dire obscur. Dans les nuages de fumée de
stupéfiant, dans ce monde des ombres et de la nuit postcoloniale, le
Sida devient une volonté du stupéfiant, du Souverain, de Dieu. Le
propre de cette pensée est que cette consommation de stupéfiant
se fait dans l'espace hétérotopique des églises qui,
encore ici, est symboliquement un lieu de la transgression comme le dit Michel
FOUCAULT. Alors, nous comparons le pentecôtisme ou la religion qui
prône le karma comme des associations de drogués qui suite
à une overdose de stupéfiant, de foi en Dieu, meurt d'une maladie
du monde réel qui est le Sida. Ce qui revient à dire que
désintoxiquer ces lieux hétérotopiques religieux revient
à les faire « sortir de la grande nuit ", des nuages de
fumée de l'ombre du cannabis, de la foi de Dieu, c'est-à-dire
tout simplement les extirper de l'imaginaire.
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