2) Les trois piliers des métaphores du Sida dans la
postcolonie
Les mots ou les choses, les discours ou les récits sont
producteurs de sens. C'est quelque fois dans les espaces
hétérotopiques, dans les lieux populaires où
siègent la viscosité du kongossa, dans les chemins de traverse de
l'inédit et de l'insolite qui se représentent symboliquement par
la grande nuit idéologique de la postcolonie, que la
société gabonaise trouve son sens et son expression. C'est dans
les contradictions, les apories, les kongossa, les imaginaires du Sida que nous
sommes arrivé vers un constat. Les métaphores du Sida reposent
son ossature sur trois piliers. Nous les avons identifiés comme la
sorcellerie, dieu (ou la religion) et le sexe. Ce n'est pas une
métaphore du Sida que nous proposons ici du moins ce n'est pas notre
intention. Ceci est une construction théorique des piliers qui
soutiennent les métaphores du Sida au Gabon. Le corpus de notre
enquête nous permet de constater un fait social qui est les
métaphores du Sida. À la lumière de la théorie de
la postcolonie, de la sociologie imaginative des COMAROFF, de la sociologie de
la guérison divine, nous arrivons vers l'identification des piliers qui
sont les raisons des métaphores du Sida.
a) La sorcellerie
Le premier pilier des métaphores du Sida est la
sorcellerie. Lorsque nous établissons notre corpus nous remarquons que
les premières considérations et représentations du Sida
dans le
264 Joseph TONDA, Le souverain moderne, Op cit, p
208.
milieu indigène gravitent autour de la notion de
sorcellerie. Être malade est une affaire dans les sociétés
postcoloniales indigène de malchance, d'infortune, d'anthropophagie.
C'est des sociétés où « la colonisation s'est
imposée à des sociétés que certains ethnologues ont
dit, disent encore, soumises à la souveraineté du mythe
265 ." Mais encore après cette décolonisation, les
sociétés de la postcolonie ou de la grande nuit
idéologique sont toujours sous le joug du mythe. En ce sens que le mythe
dans la société orale indigène est synonyme de savoir, de
culture, d'histoire. C'est dans ce sens que « le mythe devient la source
de tout savoir, le modèle auquel les générations
successives se réfèrent pour maintenir l'ordre des choses : un
certain état des rapports sociaux, un certain agencement des
thèmes culturels266." À partir de cette
réflexion sur le mythe dans les sociétés postcoloniales
nous pensons, aussi, que le mythe est la raison de cette contextualisation de
la maladie comme une infortune, une malchance, une forme d'anthropophagie.
Cette malchance ou ces infortunes conceptualisées par TONDA comme des
« affaires du corps " ou encore « chose du corps " ont pour leitmotiv
la sorcellerie. Cette sorcellerie qui d'une certaine manière est une
attaque mystique perfectionné par une imagination néfaste et
mortifère d'un ou des individus du lignage. La maladie du Sida, tout
comme la maladie de façon générale, devient le champ et le
lieu d'une chasse, d'une guerre nocturne et invisible mais aussi une agape ou
banquet de vampire. Le sorcier, le vampire, devient un chasseur de la nuit, un
prédateur nocturne à l'image de la chauve-souris ou plus
précisément de la chouette. D'ailleurs dans la
société gabonaise de la postcolonie, la chouette est un oiseau du
malheur qui n'est qu'une métamorphose d'un homme sorcier267.
Donc, pour tuer sa proie le prédateur indigène mystique de la
postcolonie va se parer de toutes sortes de techniques et d'artifices qui
passent par l'inoculation du Sida mystiquement et le cannibalisme imaginaire ou
fictif. Nous disons imaginaire car les récits de personnes qui
déclarent avoir mangé « la chair humaine peut avoir l'aspect
du poisson ou de la viande de boeuf, le sang celui de l'eau ou du
vin.268 " A cet effet, toutes les marmites nocturnes, arc-en-ciel,
Nzatsi, Kôhng vont servir à capturer, empoisonner et consommer la
proie du prédateur indigène de la postcolonie. Ce qui est
intéressant c'est le rapport entre la sorcellerie et la nuit. Le sorcier
est tout puissant dans la nuit, dans l'obscurité, l'ombre qui est le
lieu du trouble, de l'aveuglement, de l'indistinction. La sorcellerie est ce
lieu oü le discernement manque. C'est alors le siège de
l'imaginaire, le monde de l'irréel qui gouverne les activités et
les comportements sociaux des gabonais face à la maladie. C'est une
société de la nuit, une société oü
l'idéologie est commandée par la violence symbolique, la violence
de l'abstraction comme le nomme Jean et John COMAROFF, et que Gilles DELEUZE
entend sous le nom de violence de l'imaginaire, et que nous entendons sous le
terme de la violence du sens. C'est en ce sens que cette société
est une société de la postcolonie, une société
sorcellopathe qui considère une maladie de la réalité
biomédicale comme une maladie de la
265 Georges BALANDIER, Sens et puissance, Paris, PUF,
coll « Quadrige », 1986, p 202.
266 Georges BALANDIER, Ibid, p 202.
267 Dans les années 1992 à Port-Gentil, il y
avait un homme qui se transformait en panthère dans la nuit dans le
quartier « derrière le centre social » et s'attaquait aux
poulaillers, aux moutons et chèvres des concessions voisines.
268 Marc AUGE, « Les métamorphoses du vampire. D'une
société de consommation a l'autre », La construction du
monde, Paris, Maspero, 1974, p 115.
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nuit, une maladie de la sorcellerie. Une société
qui transfigure et réifie tous rapports sociaux à une chose vers
un imaginaire, vers un cauchemar qui, pourtant irréel, est
réel.
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