2)Le charisme et la punition divine
Il faut au préalable définir ce que nous
entendons par charisme. Pour Max WEBER, le charisme est « la
qualité extraordinaire (à l'origine déterminée de
façon magique, autant chez les prophètes et les sages,
thérapeutes et juristes, que chez les chefs des peuples chasseurs et
héros guerriers) d'un personnage, qui est, pour ainsi dire, doué
de force ou de caractères surnaturels ou surhumain ou tout ou moins en
dehors de la vie quotidienne, inaccessible au commun des mortels ou encore qui
est considéré comme envoyé par Dieu ou comme exemple, en
conséquence considéré comme un chef254.»
La punition divine est un terme pentecôtiste qui est utilisé, dans
le cas de la maladie du Sida, pour décrire que le mal est originairement
de Dieu. Le rapport que nous établissons dans cette partie est que le
charisme, donc ce pouvoir surnaturel conféré à un
individu, est en rapport avec la construction idéologique du terme de
punition divine. Lorsque nous regardons ce que nous propose notre terrain avec
la malade Micheline, nous lisons le rapport entre charisme et punition divine
comme une forme de refus de la maladie biomédical. Lorsque le pasteur se
rend compte que toutes les prières, les jeûnes, les exorcismes,
les choses sur lesquelles se reposent tout la puissance de son charisme, ne
sont d'aucune efficacité, il y a un recours au terme de punition divine.
Ce terme n'est en fait qu'un mode de reconnaissance d'impuissance face à
la maladie du Sida. Ce que nous avons vécu in situ avec Micheline, nous
révèle, que ce que le pasteur entend par punition divine n'est
autre qu'une manière encore plus radicale de culpabiliser un malade
souffrant du Sida. C'est une mode qui permet au malade de se rendre compte que
le pasteur ne peut rien pour le sauver et que sa guérison n'est plus
dans la main des hommes mais bien dans la main de Dieu. La seule chose reste un
espoir famélique et fatal, accroché à une
hypothétique foi fragilisé et amenuisé par le
découragement, les prières interminables, les jeûnes,
etc.
254 Max WEBER,, Economie et société,
Paris, Plon, Tome 1, 1971, p 241
Le Sida comme maladie de la punition divine est en fait un
déni de la puissance biomédicale. Au sujet de Micheline, nous
avons discuté avec son aîné M Georges255qui nous
a dit ce qu'il pensait durant le décès de sa soeur.
Enoncé n°10 :
« Tu sais, Mimi256 a
voulu mourir comme ça. Je lui avais dit que ces jeûnes
étaient inutiles. La seule réponse c'était que
j'étais un démon. Tu te rends compte ? Une personne qui est
malade on l'a met sous un jeline. Au lieu d'aller au PLIST pour se faire
enregistrer, et de fait profiter des ARV, rien ! Dieu ici, Dieu là !
Aujourd'hui voilà ! (...) [ Au même moment le pasteur
prêchait de repentance, de délivrance de Micheline] Tu vois,
on ne parlais pas de repentance ou je sais pas quoi quand il venait crier ici
toutes les nuits. C'était satan sort de ce corps, démon du
ndjembè sort etc. Regarde comment ils sont envoutés on dirait des
moutons ! Nous sommes nous même responsable de nos vies mais on oublie
que nous sommes trop souvent prisonniers de nos représentations.
» Le terme punition divine dans cette optique n'est autre qu'un
transfert d'une improductive puissance compulsive charismatique (qui d'ailleurs
n'est que factice) vers un imaginaire ordonnancement (Dieu). Tout ceci est une
forme d'évidence de l'étiologie de la maladie du Sida, est dans
le cas présent une forme de déni de l'étiologique et de la
biomédecine.
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