CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
Conclure cette première partie, c'est retenir
l'essentielle de deux chapitres qui l'ont structuré. Ainsi, ce que nous
pouvons retenir des représentations de la médecine
ésotérique indigène c'est tout d'abord cette
diversité de variété d'expressions pour décrie de
façon analogique la maladie du Sida. Cette diversité peut se
comprendre par le fait qu'« au Gabon, comme ailleurs, il y a une
appréciation polysémique de la maladie. Ainsi, le nombre
élevé de groupe ethno-linguistiques ou d'environnements
socio-culturels ne permet pas d'avoir une représentations univoque des
pathologies239». Car, chaque ethnie et chaque rite initiatique
ou pratique sociale donne une définition de la maladie du Sida. Bien
plus encore, ce qui émerge brutalement c'est cette convocation
compulsive et quelque fois frénétique à la sorcellerie.
Tout a une origine sorcellaire en Afrique centrale. Chaque individu voit en
l'autre un éventuel jeteur de sort, de nzatsi, de Mbumba, de Kôhng
; un agent sorcier qu'il faut éradiquer à coup de protection, ou
à travers le terme de «taper le diable 240». Cette
société indigène est finalement une société
qui souffre de la sorcellopathie. Nous entendons par sorcellopathie cette
tendance dépressive et compulsive à voir en chaque infortune, et
par extension à chaque maladie, une attaque mystique diligentée
par un ou des individus qui sont jaloux d'une quelconque forme de
réussite propre à un individu.
Les considérations des métaphores du Sida dans
le milieu musical au Gabon relèvent, au terme de notre
itinéraire, des considérations biomédicales. Ce sont des
considérations qui prennent en compte les notions de prévention.
La scène musicale est une forme de plate forme du discours
biomédical qui veut se réapproprier, devant l'esprit pervers de
l'imaginaire gabonais, cette maladie du Sida. Car, les
précédentes métaphores du Sida nous ont montré la
dimension puissante des imaginaires qui réifient le Sida en maladie de
la sorcellerie. Les artistes sont conscient du message qu'ils doivent faire
circuler dans l'espace hétérotopique des bars, des scènes,
des boîtes nuit. La musique qui adoucit les moeurs va aussi remodeler le
message perverti par les églises, les temples de bwity, les initiations
indigènes, les marchés, les transports en commun, de la maladie
du Sida. Les métaphores du Sida dans le milieu musicale sont une forme
du discours de l'État contre les incohérences et les fausses
représentations que les populations, aussi bien religieuses que
traditionnelles ou encore populaires, ont sur la maladie du Sida. C'est donc un
discours, comme nous l'avons dit avant, qui est scrupuleusement fidèle
au propos de la biomédecine par le moyen de la prévention. Nous
sommes ici dans un discours que nous qualifions de biopolitique.
C'est-à-dire un discours qui prône la vie et laisse mourir quand
la science et la biomédecine ne peuvent plus rien241. C'est
donc un effort de l'État, qui s'est muté en État
biopolitique, de démystifier et démythifier le Sida
indigèno-religieux en sida biomédical. Cet État qui a mis
au centre de la société le Sujet. Le discours de l'État
à travers la biopolitique, les métaphores musicales de
239 MOUKALA NDOUMOU, « Pathologies, superstitions et
santé publique au Gabon », L'homme et la maladie,
Libreville, Editions Raponda Walker, coll « palabres actuelles
», n°2-Vol A, 2008, p 130.
240 Action qui consiste à aller voir les initiés du
mwiri afin de jeter un sort à une ou un groupe de personnes qui ont
attaqués un individu mystiquement
241 Michel FOUCAULT, Il faut défendre la
société. Cours au collège de France 1976, Paris,
Hautes Etudes, Gallimard, Le Seuil, 1997
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prévention contre la maladie du Sida, est une forme
d'exhortation à une conscientisation du Sida comme maladie de la
biomédecine, une maladie de la responsabilité individuelle du
Sujet. C'est un refus de l'imaginaire comme explication de la maladie. Nous
sommes là dans une forme encore de démagification du monde
gabonais au sujet de la maladie. Le discours de la prévention est une
exhortation à sortir de la grande nuit idéologique qui embrigade
et concatène la société gabonaise. Cette nuit imaginaire
de l'imaginaire, une nuit oü les esprits ont colonisé le
réel ou de tout ce qui est réel.
Les métaphores populaires du Sida sont enclin à
une forte manie obsessionnelle de tout dédramatiser, minimiser qu'il
devient un danger pour la population elle-même. Le discours populaire sur
le Sida reste toujours fidèle à son esprit de «
trivialité » qui ramène tout au bas ventre, au sexe.
Pourtant, le Sida n'est pas qu'une affaire de sexe. Il est bien aussi une
maladie qui peut se contaminer de manière sanguine. Ce pan de la
contamination semble être absorbé par le regard et le
caractère sexuel de la maladie du Sida. Probablement du fait que la
maladie du Sida circule dans les espaces hétérotopiques,
au-delà des frontières, par le sexe, et en ce sens, est le
stéréotype et l'archétype méme d'une maladie
émergente, une maladie postcoloniale. C'est-à-dire une maladie
qui ne connaît pas les contraintes des passeports et de manière
générale de l'identité. Une maladie qui est au-delà
des considérations des replis identitaires qui l'ont inaugurée
dans les années 1980 et début 1990242.
Les espaces hétérotopiques des Médecines
Hors Secteurs Biomédical, sont des lieux de production de la violence de
l'imaginaire et de la violence du Sens. Les Mbandja, les temples, les bars
produisent des métaphores de la maladie du Sida qui ne sont que des
formes stéréotypées de la violence de l'imaginaire. De la
sorcellopathie au charisme du souverain, de la chanson à un balbutiement
d'une biopolitique, le marché linguistique, symbolique et imaginaire de
la maladie du Sida trouve son ossature sur la notion du kongossa, des ragots,
de la sorcellerie : la violence de l'imaginaire.
242 C'est dans cette période que l'on a attribué
au Sida comme lieu d'origine l'Afrique. Lire a cet effet, Jean-Pierre DOZON et
Didier FASSIN« Raison épidémiologique et raisons d'Etat. Les
enjeux socio-politiques du Sida en Afrique », Sciences sociales et
santé, Paris, Vol. VII, n°1, février
1989.
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