2) Le Sida maladie du sang
Lorsque Hilarion NGUEMA dit dans sa chanson que le Docteur lui
a dit que le Sida est une maladie du sexe, du siècle et du sang, il met
à jour la pensée biomédicale qui est en lutte pour
démystifier les rumeurs sur les modes de contamination. Cette chanson
dévoile les intentions avérées des ONG pour lutter contre
les représentations sociales du Sida. Cette chanson met à jour
tous les préjugés qui gravitent autour de la maladie du Sida.
C'est donc, la lutte contre le discours trivial populaire à laquelle
cette chanson s'attaque. Car, en effet, le Sida est ici dans un
dédoublement. Il y a exactement deux Sida maladie du sang. Il y a le
Sida biomédical qui présente l'idée que le Sida est un
virus qui s'attaque aux défenses immunitaires du corps humain par le
moyen du sang, puis il y a le Sida populaire qui est aussi un Sida du sang.
Mais ce Sida populaire est un Sida qui utilise le sang de façon
mystique. Il y a prélèvement mystique du sang d'une personne
affectée par le Sida pour l'inoculer à un autre individu dans
l'objectif de nuire. Le virus dans cette conception symbolique est introduite
par la morsure et le venin du vampire qui, au préalable, comme un
moustique, à ingéré le sang d'un sidéen pour
ensuite l'insérer dans le corps de sa proie.
C'est un dédoublement du Sida. Il y a un Sida qui est
un virus du sang biomédical et il y a un Sida qui est une morsure
mystique du vampire. C'est donc une opposition ouverte dans la chanson de
Hilarion NGUEMA entre la biomédecine et le milieu populaire. Une lutte
idéologique de la revendication d'une maladie qui est, malheureusement
une maladie biomédicale et rien d'autre. Le Sida est une maladie du sang
parce que c'est un virus qui détruit les défenses immunitaire du
corps de l'homme. Ce n'est pas une maladie du sorcier, du « vampireux
», qui vient sucer ou inoculer du sang à une tierce personne. Cette
chanson est une représentation de la santé biomédicalement
parlant. C'est une représentation sociale et biomédicale du Sida
qui, entre autre, exclu les ombres de la nuit et la puissance des «
vampires ». Tout se passe comme si à travers les chansons nous
inaugurons symboliquement une « guerre froide » des mots du Sida. La
chanson devient le lieu de conscientisation, de prévention, de lutte
contre les apories et préjugés populaires qui affectent le Sida.
La scène du spectacle musicale du Sida est un lieu d'éducation,
mais aussi un lieu de lutte contre les non-sens et l'irréel. Pour
corroborer ce propos nous allons transcrire quelques phrases que nous a
proposées Franck BAPOUNGA237 au sujet de la chanson du
Sida.
Énoncé n°16 :
« La scène est un lieu d'éducation. Bon
d'accord dans certains de nos textes c'est foutre (mettre) l'ambiance qui
compte. Mais quand il s'agit de sujet sérieux, comme le Sida, le rappeur
doit montrer l'exemple. Il doit être conscient car il doit faire passer
un message sérieux et toute sa technique à faire passer ce
message fera de lui un rappeur respecté. Le ring et la scène
c'est la même chose quand on monte on doit être sérieux.
Alors quand le sujet est sérieux, le message doit être
sérieux. Le Sida il faut le faire connaître dans sa
réalité aux petits frères. Et c'est ce que j'ai fait quand
j'ai écrit « ne me dit pas ça ! » J'éduque du
mieux que je peux.»
237 Franck BAPOUNGA, masculin, niveau d'étude secondaire,
catholique , Massango
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Ce propos présente que dans le cadre de la
prévention les rappeurs ou musiciens deviennent des éducateurs et
se doivent de faire passer un message authentique et le plus proche de la
réalité possible. La réalité c'est la
vérité biomédicale de la maladie du Sida. C'est les mots
de prévention, les mots scientifiques que les populations on travestit.
C'est redire dans un rythme populaire ce qui à été dit
dans les émissions de télévision ou de radio. L'objectif
est d'intégrer et infiltrer la conscience populaire afin de la
démystifier, la sortir du spectacle des ombres de l'imaginaires qui
réifient la chose en objet spectrale. C'est encore intégrer les
espaces hétérotopiques qui sont, dans les sociétés
postcoloniales, envoûter et sous l'emprise de la puissance de la grande
nuit, la violence de l'imaginaire.
Dans la grande nuit idéologique dans laquelle la
société postcoloniale gabonaise se meut, le sexe et le sang sont
des objets de puissance, de pouvoir. C'est toujours des « affaires du
corps », les « choses du corps ». C'est toujours celui qui a
« le bon sang » qui réussit ; réussir ici, c'est
occuper un poste ministériel, réussir dans le sport, à
l'école, dans le milieu professionnel etc. Du coup avoir le Sida ce
n'est plus seulement avoir la maladie du sang, c'est-à-dire un virus,
c'est avoir le sang souillé, avoir un « mauvais sang », avoir
la malchance. Alors quand on entend maladie du sang dans la nuit noire de la
postcolonie, c'est avoir la malchance, la poisse, le « Nzobu
238 ». La population a fait de cette expression de maladie du
sang une expression pour décrire un évènement des plus
dramatiques de la société. La maladie du sang équivaut
à avoir un mauvais sang aussi biomédicalement que
mystiquement.
238 Expression Ipounou qui est le nom de l'animal appelé
la civette qui a la caractéristique d'être une bête portant
malheur à cause de ses excréments dont l'odeur est violement
putride et insupportable.
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