SECTION 2: Les représentations musicales du Sida
dans les espaces
hétérotopiques à Libreville
Il est bien connu que la musique adoucit les moeurs. Mais il
est n'est as commun de dire que la musique est un soporifique pour faire dormir
les moeurs. En les adoucissants, en les subjuguants, les moeurs se transforment
et se métamorphosent, ou plutôt, se métaphorisent en un
discours généralement proche du discours du trottoir, le
Kongossa. Lorsque le Sida prend « possession » du Gabon, le PNLS va
se servir de la musique comme ustensile et méthode pour faire passer le
message de prévention. Toutes sortes de message vont alors transiter par
le canal de la musique et pas seulement pour un type de population
précis. Les styles de musique, du Makossa au Soukouss en passant par le
Zouk, la Biguine et le rap se disputent se nouvel « Eldorado » pour
un tube qui sera la clé d'un succès. Dans le cas du
225 Gilles DELEUZE, Pourparlers, Paris, Les
éditions de minuit, coll « Reprise », 2003, p 132.
226 Lire à ce sujet Joseph TONDA, Le Souverain
moderne, Op cit, p 161.
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Gabon, Maman Dédé227 est la
première à ouvrir les hostilités. Malheureusement, le taux
d'audience est infime et se morceau intitulé « Sida " passe dans
les coulisses. Cela est peut être dû au fait que la maladie n'est
pas encore connu ou très peu alors. Dans les années 1991 et 1992,
les tubes se succèdent sur ce nouveau thème, mais, cette fois,
gagne une popularité. Cela est peut être le fait de la
notoriété des artistes qui chantent à son sujet, notamment
Mack'joss et Hilarion NGUEMA. En 1998, le mouvement prend la possession des
jeunes avec le rap. Il y a alors un premier album « Bantu Mix " produit
par Georges KANGUA du studio Cage intitulé « Le VIH est là !
". Dans cette chanson nous retrouvons tous les artistes du hit parade gabonais.
En 2001, le groupe de rap Raboon sous la direction de Franck BAPOUNGA, sort un
titre intitulé « Ne me dis pas ça ". Arnold DJOUD en 2006
chante aussi sur le Sida.
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, les textes de
ces chansons sont des propos conscientisant. Ces textes pour la plupart
gravitent autour du thème le Sida maladie du sexe, du sang d'amour et
d'infidélité. C'est à ce titre que nous renvoyons ces
thèmes vers les métaphores musicales de la maladie du Sida au
Gabon. En ce sens qu'ils sont une forme de représentations sociales de
la maladie à un moment donnée de l'histoire. C'est donc, les
métaphores de la scène musicale. Les métaphores de la
société de spectacle au sujet de la maladie du Sida sont le
centre de préoccupation de ce chapitre. Doit-on penser que ces
métaphores sont des représentations en dichotomie ouverte avec
celle des espaces hétérotopiques religieux et populaires ? Est-ce
que ces métaphores sont implicitement le discours de l'Etat contre les
maux des mots populaires qui se représentent faussement le Sida ?
Sommes-nous en face d'une forme de biopolitique ?
1) Le Sida, maladie du sexe dans la postcolonie : la
violence de l'imaginaire
Le sida est une maladie sexuellement transmissible. Il n'en
fait aucun doute. Tout comme il ne fait aucun doute qu'elle est
également une maladie qui se transmet par les voies sanguines. Cela
revient à dire que l'évidence qu'elle soit une maladie du sexe et
du sang ne souffre, à notre sens, biomédicalement d'aucune
contestation. Les métaphores que nous décrivons semblent plus de
métaphores biomédicales que musicales. Et lorsque l'on observe
l'évolution de la prévention au Gabon on peut comprendre la
présence de ces métaphores dans le milieu musicales. La
scène devient le lieu ou l'espace hétérotopique sur lequel
l'Etat s'exprime par le moyen de la musique et des artistes. C'est dans cet
espace que nous retrouvons le discours plus ou moins équivalent à
celui du PLIST.
L'introduction de ce propos ci-dessus met en évidence
le fait ou la raison de la métaphorisation du Sida comme maladie du
sexe. L'évidence biomédicale et étiologique des modes de
contamination de la maladie du Sida présente cette maladie comme, nous
l'avons mentionné plus haut, une maladie sexuellement transmissible. Le
discours musical au sujet
227 Première artiste Gabonaise a avoir chanté sur
le Sida 1990. In formation obtenue par le biais d'un artiste nommé Mack'
Joss
du Sida n'est pas étranger à cette idée.
Nous dirons qu'il restitue textuellement le sens de cette évidence
biomédicale. Nous l'avons retrouvé dans un texte d'Hilarion
NGUEMA. Le corpus de ce chant révèle que le sida, selon l'artiste
est « une maladie du siècle, maladie du sexe, maladie du sang,
maladie d'amour ». En fait, pour comprendre ce texte il faut le situer
d'abord dans son contexte historique. En effet, les années 1990 sont les
années les plus difficiles sur le plan de la prévention. C'est
l'année que nous qualifions d' « année de l'ombre ».
Une année de l'ombre en ce sens que le Sida, dans cette période,
n'est pas cette maladie biomédicale qui suit en effet une logique
étiologique. Bien au contraire. C'est une maladie des autres, des
blancs, qui ne peut atteindre que les individus qui vivent en dehors des
prescriptions théologiques ou traditionnelles. Cela dit, le propos
implique le fait selon lequel la maladie du Sida est une maladie d'impies et de
personnes qui oublient qu'ils sont d'abord et avant tout africains.
C'est-à-dire, des personnes liées à leur culture, à
leur tradition, à une idéologie identitaire oü la maladie
est la résultante d'une attaque, une chasse. Être africain c'est
croire au fétiche, à la sorcellerie, au vampire, à
l'obscurité. C'est donc croire que la maladie du Sida est
contracté parce qu'on ne possède pas les «
vaccins228» qui blindent contre les Nzatsi, les fusils
nocturnes, les attaques sorcellaires d'un parent ou d'un groupe de parents. Le
constat est donc que, dans cette époque, la maladie du Sida n'est pas
connue ou est déniée pour être une maladie sexuellement
transmissible.
Chanter que le Sida est une maladie du sexe dans une
société de la « grande nuit », c'est démystifier
les ombres, les Mbumba, les Nzasti, les Kôhng, le Dieu
pentecôtiste. Nous sommes donc dans une forme de lutte contre
l'obscurité de la grande nuit africaine. Cette nuit imaginaire qui
plonge la maladie dans le monde des méandres des préjugés
où les sorciers ont le pouvoir de « vamper » pour aller
chasser et tuer à coup de Sida mystique. C'est, « sans doute notre
temps (...) [qui] réfère l'image à la chose, la copie
à l'original, la représentation à la
réalité, l'apparence à l'être.229»
Mais encore, dès que dans cette période l'évidence de la
transmission sexuelle du Sida s'impose au grand jour dans la « grande nuit
», il devient un Sida politique. La pensée de la « grande nuit
» ouvre une autre brèche. Dans cette brèche, l'imaginaire
s'y insère afin de pervertir et corrompre le sens de cette
évidence de la réalité. En effet, sous les auspices de la
violence de l'imaginaire, la maladie est un Sida que les grands hommes
politiques ou hommes d'affaires donnent en déflorant des jeunes
fillettes ingénues pour être guéris. Le phallus « hors
norme » du Souverain moderne déflore et abîme230
dans la « grande nuit » le sexe féminin dans un délire
pervers et obsessionnel, symbolique et imaginaire d'une repentance. « La
sexualité de l'autocrate fonctionne à partir du principe de
dévoration et d'avalement des femmes, à commencer par les vierges
qu'il déflore allègrement231.» Car comme Achille
MBEMBE le dit « la verge du potentat est un furieux
228 Scarifications qui ont pour vertus de blinder contre les
attaques de serpents, de sorciers, et de fusil nocturne ou de poison
229 Feuerbach préface a la deuxième édition
de l'Essence du christianisme cité par Guy DEBORD, La
société du spectacle, Paris, Gallimard, coll « Folio
», 1992, p 13.
230 Lire à ce sujet Placide ONDO, « Le Kongossa
politique ou la passion de la rumeur à Libreville », Fin de
règne au Gabon, Paris Karthala, coll « Politique africaine
», n° 115, octobre 2009, p 79.
231 Achille MBEMBE, Sortir de la grande nuit. Essais sur
l'Afrique décolonisée, Paris, la découverte, 2010, p
217.
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organe, nerveux, facilement excitable et porté vers la
boulimie232.» C'est-à-dire que la maladie du sexe, qui
est le Sida, dans les sociétés de l'obscurité ne peut
être guérit quand captant et capturant, comme le fait un chasseur
de la « grande nuit », par le sexe la guérison.
Symboliquement, le pouvoir postcolonial est la jouissance sous toutes ses
formes : voitures de grand luxe, château de marbre, compte en banque
à douze zéro, une collection fétichiste de « bombe
sexuelle », etc. Pour MBEMBE « le pouvoir postcolonial, en
particulier, s'imagine littéralement comme une machine à jouir.
Ici, être souverain, c'est pouvoir jouir absolument, sans retenue ni
entrave. La gamme des plaisirs est étendue233.» C'est
par le sexe que la maladie est insérée, et c'est par le sexe
vierge, détruit par un puissant phallus Souverain, qui manque toujours
de les étrangler lorsqu'il le leur enfonce au fond de la
gorge234, que la maladie sera éradiquée. Le Sida
maladie du sexe ressemble fort, à la suite de ce propos, a une forme
d'asphyxie qui est infligée à la population par un potentat, un
souverain. Une violence de l'imaginaire s'impose car le rapport à la
maladie est corrompu par l'imaginaire, cette irréalité qui
gouverne les esprits et les corps des populations des sociétés
postcoloniales.
L'ambivalence entre un projet biomédical, et
dirons-nous biopolitique, et une récupération imaginaire de ce
projet fait suite à une déficience accrue, de la
société indigène de la grande nuit, à une
reconnaissance de la biomédecine à saisir son objet. Dès
lors, l'évidence biomédicale de la transmission sexuelle du Sida
va être contextualisée et se heurter sur des rapports culturels,
pourtant imaginaire, dans lesquels le phallus est symbole de
prospérité, de puissance et de pouvoir. Accepter et
tolérer le Sida comme maladie biomédicale et comme maladie du
sexe, c'est pratiquement interdire le sexe dans la pensée
indigène. « Le Sida sert d'argument à un nouvel interdit
sexuel, non plus moral, mais fonctionnel. C'est la circulation libre du sexe
qui est visée. On interrompt le contact, on stoppe les flux. Or, (...)
le sexe, l'argent, l'information doivent circuler librement.235
» Le Sida, maladie du sexe de la chanson d'Hilarion NGUEMA a alors plus
à dire que nous le pensions. Il est un rapport de force, un rapport
hégémonique entre le Souverain qui déflore ou sodomise,
à tout va, les jeunes gens parce qu'il est détenteur du pouvoir
et de l'argent. Et, du méme coup, le Sida postcolonial se mélange
à toutes sortes de représentations imaginaires qui font de lui un
agent mortifère. C'est donc, une forme de violence du pouvoir qui allie
dans la maladie du Sida sexe et mort236. Nous sommes dans un
cocktail Molotov qui se compose des termes Sida, Sexe, argent et mort. En
d'autres termes, nous sommes face un terme qui met en relation un virus, un
phallus richissime, un utérus ou rectum assoiffés d'argent, et
des imaginaires qui en définitif conduisent à la mort. C'est
encore ce que nous pouvons appeler la violence de l'imaginaire.
232 Achille MBEMBE, Op cit, p 218.
233 Achille MBEMBE, Op cit, p 217.
234 Achille MBEMBE, Ibid, p 218
235 Jean BEAUDRILLARD, La transparence du mal. Essais sur les
phénomènes extrêmes, Paris, Galilée, 1990, p
72
236 Achille MBEMBE, Op cit, p 221.
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