6) Le Kongossa et les métaphores de la maladie du
Sida : ragot ou rumeur ?
Le Kongossa est un terme populaire au Gabon qui renvoi
à la rumeur. La rumeur ou le Kongossa, puisque c'est de cela dont il
s'agit, est l'expression du discours du trottoir. C'est aussi ce qu'on appel
radio trottoir. C'est un baromètre symbolique qui identifie et montre
l'ossature de la puissance de la matrice imaginaire, et féconde, des
espaces hétérotopiques. Le Kongossa, ou la rumeur a pour objet ou
champ préféré le discours et les évènements
sociaux inédits. De la mort d'un politicien vers la possession d'une
cuvette de sang et d'un crane gardé dans une chambre « noire ", en
passant par les meurtres, les viols, les avortements de la voisine,
l'arc-en-ciel de Untel, des fraudes, de l'adultère de sa soeur, de
l'inceste du père avec sa fille, de la mauvaise cuisine de la voisine,
de l'impuissance de x et de la stérilité de y, du diabète
avancé d'Ali Ben et de sa blessure inguérissable, des quatre
lettres de BONGO ou de NDEMEZO...Tout est objet à débat, de
rumeur, de Kongossa. Et le Kongossa a cette forte inclinaison de ramener
toujours le discours autour des « affaires du corps ", les « choses
du corps " dont la maladie du Sida est un de ces archétypes.
Mais, le propre du Kongossa est d'être le discours
« officiel " des espaces hétérotopiques populaire en
l'occurrence : les bars (dépôt de vin de palme et de
mussungu223), les bus en commun, les marchés. C'est des
espaces éloignés des lieux du pouvoir de la richesse tel que la
Sablière ou le « Bord de mer ». C'est des espaces
hétérotopiques qui se superposent ou se juxtaposent aux «
désordres ou [aux] difformités d'une urbanisation de camps, avec
ses baraquements, ses rues et pistes encombrées d'ordures, sans
égouts, dans une proximité banalisée avec les rats, les
cafards, les chiens errants, les mouches, les moustiques, voire les
serpents.224» C'est donc dans ces espaces
hétérotopiques et leurs bidonvilles, c'est lieux
d'obscurité - de grande nuit où les « choses du corps " sont
relatives à la possession sorcellaire ou messianique - dans lesquels la
maladie du Sida va être métamorphosée symboliquement en une
maladie de la sorcellerie, une maladie dont le Kongossa c'est fait le
chroniqueur.
Au regard de cette section de l'espace
hétérotopique populaire, à savoir les bars, les transport
en commun ou encore les marchés, nous devons dire que dans cet espace,
le
223 Lieu hétérotopique aussi appelé de
manière populaire à Libreville « réunion des parents
d'élève ».
224 Joseph TONDA, Ibid, p 161.
Kongossa est celui qui véhicule la maladie du Sida
comme une maladie qui est syndrome inventé pour décourager les
amoureux, Sidonie, une maladie du siècle ou cette grande maladie dont
ces quatre lettres sont des lettres de la mort. C'est par la puissance de la
rumeur que les préjugées circulent ci et là dans la
société gabonaise. C'est dans ce sens qu' « il faut prendre
les choses pour en extraire les visibilités. Et la visibilité
à une époque, c'est le régime de lumière, et les
scintillements, les miroitements, les éclairs qui se produisent au
contact de la lumière et des choses225.» En fait, c'est
dans le Kongossa que l'imaginaire scintille et se miroite. Le Kongossa est le
corps -symboliquement- qui transporte l'imaginaire qui en est l'âme.
L'imaginaire à Libreville est toujours soit une rumeur qui est une
fiction, une légende, un mythe ou soit un ragot, une médisance.
Le CRIMADOR226 est une déformation, une métamorphose,
une perversion du réel. C'est, en quelque sorte, un autre nom de
l'imaginaire au Gabon. Dans un certains sens, le ragot est un cran au-dessus de
la rumeur. La rumeur est une nouvelle vague et incertaine de quelque chose. Le
ragot est plus de la médisance sur quelqu'un que l'on va chercher
à diaboliser. En fait, la rumeur du Kongossa rend le réel
irréel, tandis que le ragot rend l'irréel réel. C'est lui
qui transpose une maladie du Sida qui est réelle, en une maladie de
l'autre (Sidonie) ou une invention c'est-à-dire une fiction,
l'irréelle. Les métaphores du sida sont des passagers imaginaires
du Kongossa. Mais bien plus encore, le Kongossa, siège des
métaphores du Sida, est un dans sens la violence de l'imaginaire.
À travers le kongossa et le ragot nous avons une icône de ce que
nous entendons par la violence de l'imaginaire dans la capitale d'une
postcolonie d'Afrique centrale, Libreville. Entre autre, une puissance qui
réifie, travestit la réalité et son sens, et qui conduit
à la rendre indiscernable de son être et finit par la faire
disparaître en tant que réalité. Car, le Kongossa tout
comme le ragot n'est jamais que quelque chose d'irréel que l'on veut
intégrer avec force et subtilité dans la réalité.
Et, de fait, les commérages en rapport avec la fiction cherchent
à légitimer le pouvoir d'une chose par la puissance du symbole et
la force des images et imaginaires. Le Kongossa, c'est la violence de
l'imaginaire dans son stade le plus brut.
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