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Les mots du sida à  Libreville: métaphores postcoloniales et hétérotopies

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par Yannick ALEKA ILOUGOU
Université Omar Bongo - Master 2012
  

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2) Sidonie et les débuts du PNLS dans les années 1990

Les métaphores du Sida viennent au jour dès qu'on officialise l'arrivée d'une nouvelle maladie dite incurable : le Sida. Comme on peut s'en douter, le propos qui suivra va caricaturer une métaphore, une personnification, c'est-à-dire une analogie d'un mal au nom d'une personne Sidonie. Dans les débuts des années 1990, le Programme National de Lutte contre le Sida va mettre en place des campagnes de sensibilisation contre la maladie du Sida. Ces campagnes ont pour propre de présenter les modes de contamination de la maladie mais aussi, et surtout, par des témoignages de personnes vivants avec le virus du Sida. C'est ainsi que dans le début des années 1990, le PNLS procéda à cette campagne, notamment, par le témoignage d'une dénommée Sidonie SIAKA. Le récit de vie de Sidonie passait en boucle sur les ondes aussi bien de radio que de télévision. Voici ce que nous révéla Hugues203 à ce sujet.

Enoncé n°14 :

« Cette affaire de Sidonie a été une expérience difficile pour le PNLS. Tu sais on ne pensait pas que les gens ferait une telle récupération. D'abord, la pauvre Sidonie, à été stigmatisée. Elle a été reniée par ses parents et certains de ses amis. Elle a perdu son travail. Mais bien plus encore, les gens la regardaient avec une telle horreur qu'elle pensait que rien que son regard pouvait donner le Sida. Là où les agents de l'ancien service du marketing pensaient créer une conscientisation ils ont créé une stigmatisation des personnes vivants avec le Sida et Sidonie était la première à en payer les frais. Il y a eu une récupération de cette campagne pour dénigrer les porteurs du VIH Sida. Même les enfants à la route avaient pris la fameuse expression : il souffre de Sidonie. Vous avez lu sûrement MBAZOO KASSA Chantal dans Sidonie. Et bien ce n'est pas seulement un roman ou une description de comment ce jeune cadre a attrapé le Sida, c'est une stigmatisation. C'est d'une certaine

201 Susan SONTAG, La maladie et ses métaphores, le sida et ses métaphores, Paris, Christian Bourgeois éditeur, coll « titre 101 », 1993.

202 Susan SONTAG, Op cit, P80.

203 M. Hugues, masculin, niveau d'étude supérieur, chrétien, infirmier, massango

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manière nos premières erreurs ou plutôt les premiers pas difficiles de la prévention que nous cherchons très rapidement à oublier. Aujourd'hui, quelques vingt années plus tard, je souris quand tu me rappelle cette histoire de Sidonie. Mais je t'assure il n'y avait rein de risible quand je repense à ces moments où les porteurs du virus venaient en larmes raconter au psychologue ce qu'on leur faisait vivre dans les familles ; les injures publics, les humiliations, les lynchages... Petit il n'y avait rien de marrant. On pensait qu'en montrant des témoignages les gens comprendraient, mais le noir est terrible ! Bien au contraire les taux augmentaient chaque trimestre et on ne pouvait rien faire. Les gens au lieu de se marrer devaient être plus responsables. C'est pas que nous avons résolu tout à fait ce problème de représentations. Mais, Sidonie, c'est quelque chose à oublier. C'est des moments noirs de la prévention au Gabon. Je t'assure, tu n'imagines pas combien de personnes ont souffert à cause de cette expression de Sidonie. J'ai tellement de souvenirs, d'anecdotes (soupir)... N'en parlons plus ! »

La métaphore de Sidonie prêtée au Sida est une des nombreuses métaphores que l'on assigne à la maladie. Les années fin des années 1980 et début des années 1990, sont au regard du propos précédent, des moments difficiles de la prévention contre le Sida au Gabon. En fait, les messages de prévention ne sont pas accueillis comme cela se doit. « C'est exactement ce à quoi travaillent les concepteurs des messages de prévention diffusés par les acteurs de santé publique occidentaux. A partir de ce qu'ils identifient comme les causes sociales du phénomène jugé indésirable, ils vont rechercher des prises symboliques dans les représentations qui sous-tendent les pratiques à risque, pour tenter d'en renverser la valence et, ce faisant, promouvoir un style de vie plus sain204.» Les messages de prévention, plus particulièrement celui de Sidonie, n'ont pas reçu les échos favorables que les concepteurs de ce programme ont souhaité. La récupération de Sidonie peut être considérée comme des effets pervers des campagnes de prévention. La situation émotionnelle décrite par Hugues au sujet de Sidonie est probablement ce que pense Susan SONTAG quand elle dit que « de même que la maladie est le plus grand malheur, de même le plus grand malheur de la maladie est la solitude ; lorsque l'infection de la maladie dissuade de venir ceux qui devraient être au chevet du malade ; jusqu'au médecin se fait rare (...) le patient devient un hors-la-loi, un excommunié.205 » En réalité, lorsque l'on est étiqueté par le terme « péjoratif » (car en réalité le terme Sidonie n'est aucunement pris dans un sens positif, car lorsqu'on voit Sidonie on fait référence au mal qui tue, à une maladie dénigrante qu'elle porte) de Sidonie, l'effet à pour impact d'être qualifié d'hors- la loi. Et, de fait, nous sommes plus ou moins réfractaire à ce que dit LAPLANTINE quand il énonce que la maladie « n'engage pas vraiment le sujet dans son intégralité, et encore moins le sujet dans son rapport au groupe, mais seulement son corps, ou le plus souvent même une partie de son corps. 206» Dans les sociétés de l'obscurité imaginaire, la maladie, et plus particulièrement la maladie du Sida, est un engagement total du

204 Luc BERLIVET, « Une biopolitique de l'éducation pour la santé. La fabrique des campagnes de prévention », Le gouvernement des corps, Paris, EHESS, 2004, p 45.

205 Susan SONTAG, la maladie comme métaphore, le sida et ses métaphores, Paris, Christian Bourgois éditeur, 1993, p 157.

206 François LAPLANTINE, Anthropologie de la maladie, Paris, Editions Payot, 1992, p 280.

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corps et même un engagement d'un « sur-corps » qui n'est autre que les représentations sociales donc la société.

Dans le début des années 1990, le terme de Sidonie pour décrire la maladie est un terme qui, vraisemblablement, est récupéré par la population pour décrire la maladie. En fait, lorsque le PNLS pense se servir d'une personne vivant avec le Sida (en l'occurrence Sidonie SIAKA) pour que les acteurs sexuels prennent conscience des dangers de la maladie du Sida, il ne s'est pas rendu compte de la puissance de récupération et de la force ironiquement néfaste des productions imaginaires de la société gabonaise. En ce sens que, premièrement, la prévention est une donnée propre aux pays développés, c'est-à-dire des pays oü l'évolution de la biomédecine a déjà achevée la« rupture " entre les préjugées et les faits biomédicaux. Deuxièmement, le PNLS n'a pas effectué cet effort de contextualisation qui consiste à se demander si les méthodes occidentales en matière de prévention sont aussi applicables aux terrains de l'Afrique centrale. Car s'il avait fait cet effort, il se serait rendu compte que le gabonais, croyant à la puissance des génies de la terre bénie des dieux, ne croyait pas que le Sida existait et que ceux que cette maladie affectaient, étaient tout simplement des impies, des fornicateurs, des sorciers qui n'avaient que ceux qu'ils méritaient.

Sidonie est donc un prénom féminin qui a été attribué au Sida pour la proximité syllabique des trois premières lettres. Ensuite, l'on constate une allitération en «Sid " qui renvoie dans le vocabulaire à l'acide qui est un produit corrosif toxique dangereux. Mais aussi, en l'allusion au sexe féminin introduit la notion que le Sida est une `'maladie des femmes» transmises par les femmes aux hommes car la femme c'est le diable. Elle est le symbole de la déchéance et de la trahison du monde depuis le jardin d'Eden. Le Sida, à ce titre, serait une fois encore comparable au poison de la pomme de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Le PNLS aurait fait ce rapprochement, certes pas évident, entre la violence du symbole en la personne de Sidonie SIAKA et la violence de l'imaginaire entre autre la métaphore du Sida Sidonie. Certes l'évènement ne pouvait être prévu, mais les coûts émotionnels seraient amoindris.

Si cette métaphore de Sidonie semble désuète et obsolète aujourd'hui, c'est pour la raison selon laquelle le Sida a éprouvé les dieux de la terre bénite. La maladie du Sida a fait ses preuves biomédicales au détriment de nombreux morts. Certes, il est prétentieux de dire que la rupture biomédicale est accomplie au sujet du Sida au Gabon. Car le propre des sociétés postcoloniales est d'être récluses et concaténées dans des pratiques sociales qui ne sont, ni plus ni moins, qu'une forme traditionnelle d'une revendication identitaire, une nuit idéologique. C'est cette identité, cette obscurité imaginaire qui est en lutte avec la biomédecine. Car la prévention symboliquement est une notion étrangère tout comme la médecine en est une. Sidonie qui est une personnification du Sida n'est rien d'autre qu'un archétype de la puissance de la violence de l'imaginaire dans les sociétés postcoloniales. C'est aussi un stéréotype de la pensée des sociétés de l'Afrique centrale au sujet de la maladie. Dans la société postcoloniale du Gabon, la maladie devient le lieu de rencontre où se confronte toutes les structures de causalités du Souverain moderne. La maladie est cet « espace hétérotopique » oü s'enchevêtre et se concatène les différentes pratiques sociales, qui sous

autres formes sont des schèmes aigües des représentations identitaires. L'espace dans lequel sévit le Sida est un lieu de crise identitaire, une grande nuit, un espace de mort, de mort symbolique et imaginaire. Lorsque nous parlons de représentation identitaire, nous mettons en scène cette particularité des familles de rechercher dans une maladie biomédicale, une autre cause que celle de l'étiologie. Le regard inquisiteur, dans le cas de la maladie du Sida, se tournent vers un bouc-émissaire. C'est la quête d'une identité de la maladie qui est toujours référé à l'autre. Sidonie SIAKA est cet autre qui s'est livré à la grande inquisition du sens commun.

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"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"