2) Sidonie et les débuts du PNLS dans les
années 1990
Les métaphores du Sida viennent au jour dès
qu'on officialise l'arrivée d'une nouvelle maladie dite incurable : le
Sida. Comme on peut s'en douter, le propos qui suivra va caricaturer une
métaphore, une personnification, c'est-à-dire une analogie d'un
mal au nom d'une personne Sidonie. Dans les débuts des années
1990, le Programme National de Lutte contre le Sida va mettre en place des
campagnes de sensibilisation contre la maladie du Sida. Ces campagnes ont pour
propre de présenter les modes de contamination de la maladie mais aussi,
et surtout, par des témoignages de personnes vivants avec le virus du
Sida. C'est ainsi que dans le début des années 1990, le PNLS
procéda à cette campagne, notamment, par le témoignage
d'une dénommée Sidonie SIAKA. Le récit de vie de Sidonie
passait en boucle sur les ondes aussi bien de radio que de
télévision. Voici ce que nous révéla
Hugues203 à ce sujet.
Enoncé n°14 :
« Cette affaire de Sidonie a été une
expérience difficile pour le PNLS. Tu sais on ne pensait pas que les
gens ferait une telle récupération. D'abord, la pauvre Sidonie,
à été stigmatisée. Elle a été
reniée par ses parents et certains de ses amis. Elle a perdu son
travail. Mais bien plus encore, les gens la regardaient avec une telle horreur
qu'elle pensait que rien que son regard pouvait donner le Sida. Là
où les agents de l'ancien service du marketing pensaient créer
une conscientisation ils ont créé une stigmatisation des
personnes vivants avec le Sida et Sidonie était la première
à en payer les frais. Il y a eu une récupération de cette
campagne pour dénigrer les porteurs du VIH Sida. Même les enfants
à la route avaient pris la fameuse expression : il souffre de Sidonie.
Vous avez lu sûrement MBAZOO KASSA Chantal dans Sidonie. Et bien ce n'est
pas seulement un roman ou une description de comment ce jeune cadre a
attrapé le Sida, c'est une stigmatisation. C'est d'une certaine
201 Susan SONTAG, La maladie et ses métaphores, le
sida et ses métaphores, Paris, Christian Bourgeois éditeur,
coll « titre 101 », 1993.
202 Susan SONTAG, Op cit, P80.
203 M. Hugues, masculin, niveau d'étude supérieur,
chrétien, infirmier, massango
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manière nos premières erreurs ou
plutôt les premiers pas difficiles de la prévention que nous
cherchons très rapidement à oublier. Aujourd'hui, quelques vingt
années plus tard, je souris quand tu me rappelle cette histoire de
Sidonie. Mais je t'assure il n'y avait rein de risible quand je repense
à ces moments où les porteurs du virus venaient en larmes
raconter au psychologue ce qu'on leur faisait vivre dans les familles ; les
injures publics, les humiliations, les lynchages... Petit il n'y avait rien de
marrant. On pensait qu'en montrant des témoignages les gens
comprendraient, mais le noir est terrible ! Bien au contraire les taux
augmentaient chaque trimestre et on ne pouvait rien faire. Les gens au lieu de
se marrer devaient être plus responsables. C'est pas que nous avons
résolu tout à fait ce problème de représentations.
Mais, Sidonie, c'est quelque chose à oublier. C'est des moments noirs de
la prévention au Gabon. Je t'assure, tu n'imagines pas combien de
personnes ont souffert à cause de cette expression de Sidonie. J'ai
tellement de souvenirs, d'anecdotes (soupir)... N'en parlons plus !
»
La métaphore de Sidonie prêtée au Sida est
une des nombreuses métaphores que l'on assigne à la maladie. Les
années fin des années 1980 et début des années
1990, sont au regard du propos précédent, des moments difficiles
de la prévention contre le Sida au Gabon. En fait, les messages de
prévention ne sont pas accueillis comme cela se doit. « C'est
exactement ce à quoi travaillent les concepteurs des messages de
prévention diffusés par les acteurs de santé publique
occidentaux. A partir de ce qu'ils identifient comme les causes sociales du
phénomène jugé indésirable, ils vont rechercher des
prises symboliques dans les représentations qui sous-tendent les
pratiques à risque, pour tenter d'en renverser la valence et, ce
faisant, promouvoir un style de vie plus sain204.» Les messages
de prévention, plus particulièrement celui de Sidonie, n'ont pas
reçu les échos favorables que les concepteurs de ce programme ont
souhaité. La récupération de Sidonie peut être
considérée comme des effets pervers des campagnes de
prévention. La situation émotionnelle décrite par Hugues
au sujet de Sidonie est probablement ce que pense Susan SONTAG quand elle dit
que « de même que la maladie est le plus grand malheur, de
même le plus grand malheur de la maladie est la solitude ; lorsque
l'infection de la maladie dissuade de venir ceux qui devraient être au
chevet du malade ; jusqu'au médecin se fait rare (...) le patient
devient un hors-la-loi, un excommunié.205 » En
réalité, lorsque l'on est étiqueté par le terme
« péjoratif » (car en réalité le terme Sidonie
n'est aucunement pris dans un sens positif, car lorsqu'on voit Sidonie on fait
référence au mal qui tue, à une maladie dénigrante
qu'elle porte) de Sidonie, l'effet à pour impact d'être
qualifié d'hors- la loi. Et, de fait, nous sommes plus ou moins
réfractaire à ce que dit LAPLANTINE quand il énonce que la
maladie « n'engage pas vraiment le sujet dans son
intégralité, et encore moins le sujet dans son rapport au groupe,
mais seulement son corps, ou le plus souvent même une partie de son
corps. 206» Dans les sociétés de
l'obscurité imaginaire, la maladie, et plus particulièrement la
maladie du Sida, est un engagement total du
204 Luc BERLIVET, « Une biopolitique de l'éducation
pour la santé. La fabrique des campagnes de prévention »,
Le gouvernement des corps, Paris, EHESS, 2004, p 45.
205 Susan SONTAG, la maladie comme métaphore, le sida
et ses métaphores, Paris, Christian Bourgois éditeur, 1993,
p 157.
206 François LAPLANTINE, Anthropologie de la
maladie, Paris, Editions Payot, 1992, p 280.
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corps et même un engagement d'un « sur-corps »
qui n'est autre que les représentations sociales donc la
société.
Dans le début des années 1990, le terme de
Sidonie pour décrire la maladie est un terme qui, vraisemblablement, est
récupéré par la population pour décrire la maladie.
En fait, lorsque le PNLS pense se servir d'une personne vivant avec le Sida (en
l'occurrence Sidonie SIAKA) pour que les acteurs sexuels prennent conscience
des dangers de la maladie du Sida, il ne s'est pas rendu compte de la puissance
de récupération et de la force ironiquement néfaste des
productions imaginaires de la société gabonaise. En ce sens que,
premièrement, la prévention est une donnée propre aux pays
développés, c'est-à-dire des pays oü
l'évolution de la biomédecine a déjà achevée
la« rupture " entre les préjugées et les faits
biomédicaux. Deuxièmement, le PNLS n'a pas effectué cet
effort de contextualisation qui consiste à se demander si les
méthodes occidentales en matière de prévention sont aussi
applicables aux terrains de l'Afrique centrale. Car s'il avait fait cet effort,
il se serait rendu compte que le gabonais, croyant à la puissance des
génies de la terre bénie des dieux, ne croyait pas que le Sida
existait et que ceux que cette maladie affectaient, étaient tout
simplement des impies, des fornicateurs, des sorciers qui n'avaient que ceux
qu'ils méritaient.
Sidonie est donc un prénom féminin qui a
été attribué au Sida pour la proximité syllabique
des trois premières lettres. Ensuite, l'on constate une
allitération en «Sid " qui renvoie dans le vocabulaire à
l'acide qui est un produit corrosif toxique dangereux. Mais aussi, en
l'allusion au sexe féminin introduit la notion que le Sida est une
`'maladie des femmes» transmises par les femmes aux hommes car la femme
c'est le diable. Elle est le symbole de la déchéance et de la
trahison du monde depuis le jardin d'Eden. Le Sida, à ce titre, serait
une fois encore comparable au poison de la pomme de l'arbre de la connaissance
du bien et du mal. Le PNLS aurait fait ce rapprochement, certes pas
évident, entre la violence du symbole en la personne de Sidonie SIAKA et
la violence de l'imaginaire entre autre la métaphore du Sida Sidonie.
Certes l'évènement ne pouvait être prévu, mais les
coûts émotionnels seraient amoindris.
Si cette métaphore de Sidonie semble
désuète et obsolète aujourd'hui, c'est pour la raison
selon laquelle le Sida a éprouvé les dieux de la terre
bénite. La maladie du Sida a fait ses preuves biomédicales au
détriment de nombreux morts. Certes, il est prétentieux de dire
que la rupture biomédicale est accomplie au sujet du Sida au Gabon. Car
le propre des sociétés postcoloniales est d'être
récluses et concaténées dans des pratiques sociales qui ne
sont, ni plus ni moins, qu'une forme traditionnelle d'une revendication
identitaire, une nuit idéologique. C'est cette identité, cette
obscurité imaginaire qui est en lutte avec la biomédecine. Car la
prévention symboliquement est une notion étrangère tout
comme la médecine en est une. Sidonie qui est une personnification du
Sida n'est rien d'autre qu'un archétype de la puissance de la violence
de l'imaginaire dans les sociétés postcoloniales. C'est aussi un
stéréotype de la pensée des sociétés de
l'Afrique centrale au sujet de la maladie. Dans la société
postcoloniale du Gabon, la maladie devient le lieu de rencontre où se
confronte toutes les structures de causalités du Souverain moderne. La
maladie est cet « espace hétérotopique » oü
s'enchevêtre et se concatène les différentes pratiques
sociales, qui sous
autres formes sont des schèmes aigües des
représentations identitaires. L'espace dans lequel sévit le Sida
est un lieu de crise identitaire, une grande nuit, un espace de mort, de mort
symbolique et imaginaire. Lorsque nous parlons de représentation
identitaire, nous mettons en scène cette particularité des
familles de rechercher dans une maladie biomédicale, une autre cause que
celle de l'étiologie. Le regard inquisiteur, dans le cas de la maladie
du Sida, se tournent vers un bouc-émissaire. C'est la quête d'une
identité de la maladie qui est toujours référé
à l'autre. Sidonie SIAKA est cet autre qui s'est livré à
la grande inquisition du sens commun.
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