Chapitre II : Les représentations du Sida dans
l'espace populaire à Libreville
Pour collecter les données de cette enquête il
nous a fallu tendre l'oreille vers les ragots, le « kongossa ». Nous
n'imaginions aucunement être troublé par des métaphores.
Nous avons été heurté par l'ignorance des protagonistes
qui produisent ces métaphores. Mieux encore, nous avons
été perturbé par la violence de l'imaginaire qui gravitent
autour de ces discours. La particularité des espaces
hétérotopiques dans lesquels nous avons collecté nos
donnés c'est qu'ils sont des lieux de passage quelques fois «
obligatoire ». En effet, nous allons tous au marché, dans les bars,
les files d'attentes, ou nous prenons les transports en commun. Les
métaphores que nous allons décrire ont été
rencontrées dans ces lieux populaires. Dans ces lieux nous n'avons pas
rencontré des personnes qui prenaient pour recours, pour expliquer le
Sida, la sorcellerie. Du moins à ce moment précis ils n'ont pas
posé le problème sous le terme de sorcellerie. C'est plutôt
sous des formes ironiques et très souvent euphémisées que
les personnes décrivent la maladie du Sida. Certaines de ces formes
ironiques et tragiques ont été utilisées dans des bandes
dessinées197.
Quand les locuteurs autorisés métaphorisent,
c'est dans le désire de ne pas citer la maladie. Comme si en la
prononçant cela suffit pour être contaminé. On pourrait
penser qu'il s'agit aussi de faire preuve de discrétion car en utilisant
ces métaphores elles restent du domaine des « initiés
». Elles exclues, de fait, toutes les personnes non autorisées, les
profanes. Les personnes qui ne comprennent pas le déchiffrage des
métaphores représentent les personnes non autorisées. Mais
rare sont les individus qui ignore la signification de Sidonie, syndrome
inventé pour décourager les amoureux, maladie du siècle,
la grande maladie ou les quatre lettres. S'il en existe encore, à
travers cette section, ils y trouveront leur initiation.
SECTION 1 : Le Mbolou, Sidonie et le syndrome
inventé pour décourager les amoureux : les heures difficiles
de la prévention à Libreville
La maladie du Sida, comme bien d'autres, est pensée et
représentée par analogie à quelque chose. Le Sida c'est
être porteur de Sidonie ou d'être atteint par le syndrome
inventé pour décourager les amoureux. La production des
métaphores de la maladie par les espaces hétérotopiques
doit, pour être comprise, être située dans un contexte
historique. L'histoire d'une pandémie est un instituant
méthodologique pour révéler et comprendre les rapports de
la maladie à la société. Il ne faut donc pas, balayer d'un
revers toutes les frénésies théoriques de l'aube de la
maladie du Sida en Afrique centrale, et au Gabon, dans la fin des années
1980. Bien plus qu'on ne le pense, ces dispersions à savoir Sidonie ou
le syndrome inventé pour décourager les amoureux, les quatre
lettres, la grande maladie ou maladie du siècle, le
197 Fargas, Yannick NDOMBI, ou le choix de vivre, Libreville,
PNLS, 1991 ou Yannick DOMBI, terreur à
Lambaréné, Libreville, PNLS, 2010.
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mbolou, se révèlent plus précises, et
probablement on peut y trouver de l'actuelité, pour comprendre les
métaphores du Sida au Gabon. Notre intuition est donc de chercher
à comprendre la production populaire des métaphores du Sida. Nous
regardons dans la direction du kongossa pour interroger la raison de ces
métaphores sur la maladie.
1) Le Mbolou
Le Mbolou contrairement à tout ce que nous avons vu est
une maladie des tubercules. Nous avons pris l'habitude d'avoir des entretiens
qui tournent autour de la sorcellerie. Mais cette fois il s'agit de la
description de la maladie des tubercules de manioc. Nous sommes arrivés
à la découverte de cette maladie dans un débat avec un
étudiant Kota dénommé M Serge198.
Enoncé n°8 :
« Mbolou est une expression kota qui
représente la maladie des tubercules de manioc. En fait dans le
tubercule donne l'impression de bonne qualité à première
vue. Seulement, lorsqu'on le touche il s'écrase et s'aplatie. De plus il
y a comme une forme de liquide noir qui en sort. De la pourriture en liquide
noire qui sort de ce tubercule. Et nos parents au village l'identifient au Sida
car comme le malade du Sida, le corps de la personne donne l'impression
d'être en bonne santé alors qu'à l'intérieur il n'y
a que de la pourriture, le virus Sida. »
A la différence des précédentes
représentations de la médecine ésotérique
indigène présentées plus haut, le Mbolou ne fait appel
à aucune représentation qui s'appuie sur le mysticisme ou la
sorcellerie. Si nous fions au donné de terrain, le Mbolou est une simple
description de la maladie des tubercules de manioc. Il n'y a pas utilisation de
métaphores mystiques, dérivant de techniques et méthodes
sorcellaires. Nous nous retrouvons dans une comparaison étiologique.
Nous comparons le Sida à une maladie de tubercule. C'est deux maladies
qui sont comparées.
Le corps du tubercule malade est comparé au corps du
malade du Sida. Il s'agit de faire la liaison entre la pourriture de la maladie
du tubercule et la pourriture du virus du Sida. Le corps est le lieu de la
comparaison, l'espace de la guerre oü siège la pathologie du «
tubercule » et du Sida. Nous ne sommes pas dans un rapport d'esprit contre
le corps que décrit Joseph TONDA199. C'est-à-dire
« une guerre qui, contrairement à ce qu'on pourrait croire, coalise
contre les corps les dispositifs épistémologiques scientifiques
et les forces non scientifiques, figures de l'imaginaire200».
C'est donc des métaphores de « corps à corps » dont
nous parlons dans la description du Mbolou. Le Mbolou est une maladie qui est
ostensible. Elle ne convoque aucun référent de l'esprit non
scientifique. Nous sommes dans le cas
198 M Serge, masculin, niveau d'étude supérieur,
chrétien, étudiant, Kota
199 Joseph TONDA, « La santé en Afrique ou l'esprit
contre le corps », l'Homme et la maladie, Libreville, Editions
Raponda Walker, coll « palabres actuelles », n°2-Vol A, 2008,
P68.
200 Joseph TONDA, Ibid, p 68.
spécifique que nous décrit Susan SONTAG
lorsqu'elle parle de la maladie comme métaphore201. Elle
pense que « dans un premier temps, les terreurs les plus
profondément enfouies (corruption, pourriture, pollution, anomie,
débilité) sont identifiées à la maladie. Celle-ci
devient alors métaphore. Puis au nom de cette maladie (...), l'horreur
est à son tour greffée sur des éléments
étrangers. La maladie devient adjectif. On l'emploiera comme
épithète pour parler de quelque chose de répugnant ou de
laid202». C'est dans ce cas nous prenons le Mbolou comme une
description identique à ceux que vient de nous présenter SONTAG.
La maladie des tubercules de manioc est prise comme métaphore de la
maladie du Sida.
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