SECTION 2 : , le Nzatsi, le Kôhng
A l'instar du Mwiri, du Mbumba Iyanô et du Mbumba, la
section que nous introduisons est au fait des questions de la relation entre
une maladie biomédicale (le Sida) et les représentations sociales
de la médecine ésotérique indigène. Ces
représentations ne sont que des métaphores qui décrivent,
en même temps, des pratiques initiatiques et/ou sorcellaires et la
maladie du Sida. Nous ouvrons cette section afin de présenter comment
les pratiques de la médecine ésotérique indigène se
représentent une maladie biomédicale. La maladie est un fait
social et culturel.
1) Le Nzatsi ou le fusil nocturne
Le Nzatsi est une expression vernaculaire de l'ethnie
Pouvé. Lors de notre enquête nous avons discuté avec un
bwitiste qui se nomme M Nicolas186. Il nous a dit que le Nzatsi peut
donner le Sida ou pour être plus précis, que le Sida est une forme
de Nzatsi. Voici l'extrait d'une partie de ces propos :
Enoncé n°9 :
« Est-ce que tu sais que par le nzatsi une personne
peut avoir le Sida ? Le fusil nocturne peut donner le Sida. Quand la personne
qui tape le nzatsi tamise les articles, les supports qu'il utilise peuvent
donner le Sida. Parmi les articles du fusil nocturne il y a des
éléments du corps de l'homme qu'il faut mettre. Bon
généralement on prend le tibia,ou l'avant bras pour que sa touche
l'avant bras, le tibia ou le pied de la personne à qui on veut damer
ça. Bon maintenant si l'os qu'on utilise appartenait à quelqu'un
qui avait la maladie, il peut attraper çà. L'autre chose c'est
que lorsque on tape le nzatsi, il y a plusieurs sortes de nzatsi : y a le
nzatsi simple qu'on nomme le 25, il y a celui qu'on appelle le 220 volts et y a
celui qu'on appelle le 10 000 volts ou la foudre. Bon y a celui qu'on appelle
« debout, assis,
186 M. Nicolas, masculin, niveau d'étude secondaire,
bwitiste, élève, Pounou.
60
couché » c'est-à-dire que tu passe 5
à 10 minutes debout, 5 à 10 minutes assis et 5 à 10
minutes couché. Y en a beaucoup, je ne peux pas tout te citer. Mais les
spécialistes de ce domaine se sont les Mvoungou. Eux ils ne jouent pas
avec ça. Quand quelqu'un te dit qu'il est Mvoungou faut te méfier
ils sont dangereux. Bon, quand je dis que le Sida c'est le nzatsi c'est parce
que il y a des fusils nocturnes simples. C'est-à dire ce qui sont
frappés simplement sans des tournures pour compliquer celui qui va
traiter le malade. Il y a le fusil nocturne qu'on te frappe avec le
fantôme et celui qu'on frappe avec le fantôme et le serpent
(mbumba). C'est celui là qui donne le Sida. Car non seulement le pied ou
le bras va pourrir, mais il aura le corps qui va maigrir ou s'enfler, la peau
qui va pourrir, l'apparition de boutons, la paralysie les vomissements, les
diarrhées, les fièvres. Quand le poison du nzatsi arrive au
niveau du coeur c'est la mort. Les gens disent que c'est le diabète qui
fait en sorte qu'on coupe le pied à quelqu'un alors que c'est Nzatsi.
C'est comme quand quelqu'un est malade du Sida et qu'il a une blessure au pied,
il faut vérifier : c'est le fusil nocturne. »
Une description plus adapté pour décrire le
nzatsi nous a été proposé par Julien BONHOMME. « Le
fusil nocturne (bota-a-pitsi, littéralement « fusil nocturne
») est un mal physique bien localisé : il se manifeste par une
intense douleur qui commence dans le pied, remonte dans la jambe et peut aller
jusqu'à la nécrose et la paralysie. Cette affliction est la
conséquence d'un coup de fusil invisible tiré par un sorcier, ou
bien d'un piège de chasse invisible que la victime a
déclenché à son insu. Les ngangas disent d'ailleurs
souvent trouver dans les plaies cheveux, ongles ou tessons, preuve du
caractère sorcellaire du mal187». Une autre
définition peut-être retenu. « On appelle fusil nocturne une
arme mystique, donc « invisible », dont les effets se manifestent par
une affection soudaine et une mort brutale de la victime dans des circonstances
inexpliquées. Au Gabon, le fusil nocturne est fait d'un os de tibia
humain peint d'un côté en rouge et de l'autre en blanc. Selon
l'usage que l'on veut en faire, il sert comme arme offensive ou
défensive188.» Mais une contextualisation du fusil
nocturne a été proposé par joseph TONDA. Pour lui, «
le fusil nocturne, qui se dit tel quel en français au Gabon, est la
réponse à l'énigme humaine de la violence de la traite et
par la suite, de la colonisation et de l'ère postcoloniale. Le fusil
nocturne dit l'inhumanité de la civilisation, sa part trop nocturne,
justement, celle-là qui a fait que des hommes jeunes, forts, vigoureux
aient été nuitamment enlevés par des inconnus, ou
pistés, rattrapés, fusillés pour l'exemple, parce qu'ils
étaient fondamentalement rétifs à la nuit qui tombait sur
leur vie et que le bruit de tonnerre du fusil de traite accomplissait. Plus
tard, les vaincus de ces fusils, leur fils ou arrières petit-fils ont
actualisé le vocabulaire de la violence nocturne des fusils : les
missiles, les avions, les camions nocturnes sont venus enrichir ce monde des
ténèbres né de la rencontre et qui appartient à
l'univers des sorciers189».
La présente métaphore du nzatsi est une
introduction au registre de la chasse. « Dans ce sens, le champ des
médecines hors secteur biomédical apparaît comme un champ
dominé
187 Julien BONHOMME, Le miroir et le crâne. Parcours
initiatique au Bwete missoko (Gabon), Paris , CNRS, 2006, p 100.
188 Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique
centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2002, p 36.
189 Joseph TONDA, « mots-objets, mots-sujets, mots-esprits
», Les mots passants, Paris, Riveneuve éditions, 2009, p
139.
par la violence de l'imaginaire, qui est toujours une violence
matérielle, physique. Un champ où des histoires de vie racontent
des expériences de corps ravagés, en permanence, par le conflit,
par la guerre contre laquelle on se blinde pour renvoyer le missile à
qui vous l'a envoyé à votre insu, pour renvoyer le cpt à
qui vous l'a envoyé190». A des fins purement mystiques
et sorcellaires, le fusil nocturne devient le fusil pour donner le Sida. Le
sida devient le piège, le filet, le guet-apens lancé par un fusil
nocturne afin de tuer à des fins cannibales mystiques. A chaque fois, le
rapport à la maladie du Sida et aux métaphores, dans la
médecine ésotérique indigène, est
conditionné par la présence de la sorcellerie.
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