3) Le Mbumba
Le Mbumba n'est pas une initiation. Nous la classons dans les
différentes formes de pratiques ésotérique sorcellaires
indigène. Le Mbumba est une forme de réceptacle mystique qui a
des vertus de nuire à des individus. « L'attaque de sorcellerie,
elle, met en forme le malheur qui se répète et qui atteint par
hasard les personnes et les biens d'un ménage
ensorcelé166». Mais qu'est-ce qu'il y a de plus
précis que la description d'un enquêté sur la question ?
Pour ce faire, nous restituons les propos de Papa Aspro167 au sujet
du Mbumba.
Enoncé n°6 :
« Le Mbumba c'est beaucoup de chose mais qui se
résument en une seul, la marmite nocturne. La marmite nocturne c'est ce
qu'on appelle Mbumba. Dès qu'on parle de marmite nocturne on voit
déjà le serpent. Dans la marmite il y a des choses qui rendent la
marmite dangereuse. La marmite là est d'abord en terre cuite et elle
reste généralement au plafond ou sous le lit. C'est pas comme les
gens qui déterrent168 qui disent que c'est dans le sol qu'on
enterre ça, c'est faux ! Il y a la tête de serpent169
et sa peau, le miroir, le crane d'un homme avec les dents170, le
tibia ou l'avant bras humain, la main d'Ikanda (Potto de Bosman171),
la main du gorille, une chaîne, un cadenas, une plume de perroquet.
D'autres ethnies mettent à l'intérieur un petit cercueil ( les
fangs). Bon tu cherches à savoir comment sa fonctionne ? Bon la marmite
nocturne c'est la où on prépare les personnes que l'on a choisi
pour être mangé dans la nuit. Le tibia ou l'avant bras c'est le
fantôme qui frappe ou qui espionne
165 Jeanne FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les sorts,
Paris, Gallimard, coll « Folio/ Essais », 1977, P 29.
166 Jeanne FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les sorts,
Paris, Gallimard, coll « Folio/ Essais », 1977, P 20.
167 Papa Aspro, niveau d'étude primaire, Bwitiste, ancien
militaire, Pounou / massango.
168 Il y a un débat entre les nganga qui
déterrent les fétiches et ce qui ne le font pas. Certains disent
que c'est de la mystification, que ce qu'il déterre c'est des choses
plantées auparavant ou tout simplement un tour de passe-passe : de la
prestidigitation. Car dans la sorcellerie, il y a des lieux consacrés
pour mettre certains reliques surtout la marmite nocturne. Ces endroits sont :
Le plafond de maison, les cuisines indigènes, sous les lits. Une marmite
nocturne se met dans un lieu oü l'on peut se réunir aussi bien
physiquement et invisiblement. Car il faut avoir les capacités de se
dédoubler spirituellement pour se retrouver dans ces lieux pour
décider des victimes à proposer.
169 Le python est généralement le plus
utilisé car c'est le roi des serpents donc, il est, pour eux, le chef
des serpents mystiques.
170 Dans les pratiques sorcellaires le crâne qui a des
dents est un crâne funeste qui n'a qu'un seul appétit
mangé, tué.
171 Potto de Bosman du nom scientifique Perodictitus potto.
l'individu choisi172. Le serpent c'est celui
qui enlasse la proie, qui la capture et fait en sorte que où qu'il soit
l'individu est tracé. Généralement mystiquement la marmite
nocturne est entourée par le python. Le miroir c'est pour observer et
voir tout les mouvements des personnes qui sont choisis pour être
préparer mystiquement173 . Le crâne est celui qui
possède174 et qui doit manger pour donner ensuite le bonheur
à ceux qui font partie de la tontine mystique175. La main
d'Ikanda176, est mise pour tenir la personne que l'on a choisi afin
qu'elle ne s'échappe pas. La main du gorille à la même
fonction que celle de l'Ikanda. En fait si on n'a pas une on prend l'autre, ou
bien les deux. La chaîne représente le corps du serpent et ce qui
va attacher l'individu mystiquement. Le cadenas sert pour bloquer, attacher
toute sorte de projet pour se faire délivrer ou toute sorte de chose qui
va à l'encontre des paroles ou des idées de la
confrérie177. La plume de perroquet représente la
langue du serpent, le venin. C'est lui qui fait vivre la marmite. Sans lui rien
ne peut se faire. C'est le coeur de la marmite.»
Nous avons complété ces données par
l'entretien d'un autre Bwitiste nommé Papa Maboule178. Et
voici le contenu de son exposé.
Enoncé n°7 :
« Tu connais le Pitsia
Ngondet ?! C'est le monde de la nuit, le monde du vampire, le pitsia ngondet.
Dans ce monde là, petit, tout est possible Mangongo179! Tu
vois pour tuer un homme les sorciers ont mis en place de nombreuse techniques.
Mais il faut que tu saches que toutes ses techniques ont une seul base : la
marmite nocturne. Bon les spécialistes de cette technique se sont les
mwiénès et les akèlès. (...) Chaque ethnie à
sa spécialité. Les pounou c'est le ditingou (fantôme), les
massangos, les simba, les tsogos, les pouvis c'est les makouangous du mwiri.
Les Mvoungou c'est le fusil nocturne et les fang c'est les makagha et le
kôhng Les mwiénès utilisent le boa tandis que les
akèlès utilisent le caïman (ngando). Dans la marmite celui
qui avale et envoute la personne c'est le serpent ou le boa. Le boa
172 Généralement les maladies tels que
l'hypertension ou l'AVC sont les nouvelles maladies mystiques que les sorciers
ont trouvé pour atteindre un individu selon les propos de Papa Aspro. Le
sorcier envoi par l'entremise du tibia le fantôme (donc la personne a qui
appartenait le tibia ou l'avant bras) pour frapper la personne choisi. Il le
frappe généralement derrière la nuque. Voilà
pourquoi certaines personnes qui meurent de l'AVC déclarent
généralement qu'il ressente comme un coup reçu et une
douleur vive a cet endroit précis de la tête.
173 Voilà pourquoi selon Papa Aspro, le sorcier voit
tout ce que nous faisons. Il a un espèce d'écran qui est comme
une télévision mystique. Et cette télévision dans
la réamlité est un miroir. Bon dans une autre dimension, c'est
l'eau du cadavre mélangée avec certains organes humains et
certaines plantes qu'ils utilisent pour voir chaque mouvement des individus.
Ils gardent cette décoction dans une cuvette blanche.
174 C'est généralement le crâne d'un ancien
membre de la confrérie sorcellaire qui est sollicité pour
être introduit dans la marmite.
175 La tontine mystique est un terme importé par les
camerounais pour décrire le fiat que les sacrifices sont rotatifs.
176 L'Ikanda est une bête qui a la faculté d'avoir
une saisie ferme sur les objets.
177 Le cadenas en question est représenté selon
Aspro par la présence du noeud que l'on fait sur le malade lors de la
coupure de corde.
178 Papa Maboule, masculin, niveau d'étude primaire,
Bwitiste, sans, Massango
179 Expression des initiés du mwiri. Pour assermenter les
propos. Il frappe avec vigueur sur ses scarifications aux bras gauche.
58
paralyse la personne alors que le caïman le fait
pourrir ou gonfler. Pour atteindre la personne on utilise son corps. Ces
cheveux, ses ongles, sa photo, ses bijoux, ses habits, ses slips, ses
empruntes, son ombre, le placenta, les ombrils, les serviettes
hygiéniques, le prépuce, les cahiers, les bics. A partir de
ça mon petit, il tamise et tripote180 les
articles181et la personne et dedans (rire) !Mais tout cela c'est le
mbumba. Car nous quand on consulte on voit le serpent. Le serpent n'est jamais
seul il est toujours accompagné du fantôme ( tibia, avant-bras et
le crane). L'autre nom du Mbumba c'est la marmite nocturne. C'est le serpent
qui chasse et qui tue ! Tu as compris (rire) ! (...) Bon quand la personne est
atteinte par le serpent de la marmite nocturne, elle maigri, jusqu'à
avoir la peau sur les os. Le serpent lui suce le sang. Elle s'étouffe
très souvent, des vertiges, des diarhées, des boutons qui sortent
sur le corps. Elle n'arrive plus à marcher. Elle voit les
fantômes, les revenants (la personne dont le crâne est dans la
marmite). C'est comme le Sida. C'est un Sida du Pitsia ngondet. Le monde de la
nuit, tout est possible, Le noir est fort Mangongo !!! »
C'est long propos nous renseigne sur de nombreux points. Le
premier nous renseigne sur la composition du Mbumba. Tandis que le second nous
donne plus ou moins une idée sur le rapport entre le Mbumba, le serpent
mystique est le Sida. Au préalable, il est utile de présenter
déjà différents symptômes que décrit Julie
BONHOMME dans le cas du Mbumba. « Fatigue, perte d'appétit, maux de
reins, sensation d'étouffement, palpitations, tension, grossesses
difficiles ou faiblesse sexuelle, sont les symptômes manifestes du nungu
(chez les mitsogo) ou Mbumba (dans le groupe mèryè)182
». Mais ce qui suit est tout aussi une description utile car il nous donne
une autre signification du Mbumba. « Serpent invisible associé
à l'arc-en-ciel qui étouffe et avale progressivement sa victime
tout en lui suçant le sang jusqu'à la mort. Ce serpent
constricteur, souvent désigné par le terme figure de « corde
», est l'allié invisible d'un sorcier qui s'empare par son
intermédiaire de la force vitale de sa victime (...). Cette
thématique sorcellaire du ligotage et de l'étouffement constitue
une métaphore pertinente pour ces nombreux patients qui se sentent
perpétuellement entravés et enfermés dans une vie
malheureuse183». Donc le Mbumba est aussi un arc-en-ciel, un
serpent, une marmite nocturne. Ce qui veut dire comme il le précise que
c'est ici différentes expressions sont considérées comme
différentes formes d'infortune. Nous ne sommes pas loin de ce que Luc de
HEUSCH a décrit. « Mbumba est donc en cause dans tout les cas
d'infortune oü la prospérité est
menacée184».
Nous retenons essentiellement que le Sida est une infortune.
En cela, « ce que nous appelons « maladie » n'a d'existence que
par rapport au patient et à sa culture185». Le Sida se
conçoit comme une attaque en sorcellerie. Et la proximité des
symptômes du Sida et ce du
180 Il passe a l'expérience
181 C'est tout ce qui est en rapport avec la marmite nocturne,
c'est-à-dire crâne, tibia, serpent, etc.
182 Julien BONHOMME, Le miroir et le crâne. Parcours
initiatique au Bwete missoko (Gabon), Paris , CNRS, 2006, p 98.
183 Julien BONHOMME, Op cit, p 99.
184 Luc de HEUSCH, «Considérations sur le symbolisme
des religions bantoues », L'homme, Paris, EHESS, n°184,
2007, P 180.
185 Jacques RUFFIE et Jean-Charles SOURNIA, Les
épidémies dans l'histoire de l'homme. De la peste au Sida,
Paris, Flammarion, 1995, P 15.
Mbumba met la comparaison entre une maladie étiologique
biomédicale (Sida) et des maladies coptées par les
représentations indigènes imaginaires. Le Mbumba est une forme de
« virus traditionnel » qui donne plusieurs maladies dont le Sida est
l'une des dernières formes la plus récente. Il y a une
appropriation du Sida biomédical par la médecine
ésotérique indigène. Nous retenons également que le
Sida Mbumba se transmet mystiquement par la puissance des objets
mortifères qui se retrouvent dans la marmite nocturne ou l'arc-en-ciel.
Le Pitsia ngondet est ce lieu hétérotopique où tout est
possible même contracter le virus du Sida. Le Mbumba est un serpent du
Pitsia ngondet qui est là pour tuer par des maladies
biomédicales. La transmission du Sida est coptée et travestie
dans l'imaginaire par la morsure du serpent, du Mbumba ou de l'arc-en-ciel. Et
en cela le venin du Mbumba peut être assimilé au virus du Sida du
point de vue symbolique.
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