2) Le Mbumba Iyanô
Le Mbumba Iyanô est une initiation qui est propre
à la région de la côte du Gabon. Avec les échanges
interethniques, cette initiation s'est diffusée dans de nombreuses
régions du Gabon. C'est donc une initiation qui à la
particularité d'être pratiquée, à son origine, par
l'ethnie Mwiénè plus précisément les Orungus, les
Mpongwés. Mais il y a aussi une ethnie vivant vers la côte des
villes de Gamba et de Mayumba les Ivilis qui pratique ce rite initiatique. La
particularité de cette initiation est d'être en rapport avec un
génie de race blanche. En effet, ce génie est
généralement blanc ou blanche. Si nous faisons un appel à
l'histoire on comprend pourquoi cette initiation est proche de l'ethnie
Mpongwé. Nous ne devons pas oublier que c'est l'une des premières
ethnies à avoir eu un contact avec les blancs quand il s'agit des
grandes conquêtes des voyages maritimes du 18ème
siècle.
Nous nous sommes rapprochés de deux femmes qui initient
au Mbumba Iyanô. La première est Mpongwé et réside
à Agondjé, tandis que la seconde est d'ethnie Ipounou et
réside en face de la cité de la démocratie à
Libreville. La première s'appelle Mme Jeannette161 et voici
ce qu'elle pense du Sida :
Enoncé n°3 :
« Le Mbumba Iyanô c'est le géni qui est
une sirène. Si c'est une femme qui est malade alors le Mbumba
Iyanô est un homme. Si c'est l'homme qui est malade, c'est que le
géni est une femme. En fait, le génie du Mbumba Iyanô c'est
notre contraire. C'est notre autre sexe qui est dans nous (sic). Dieu a fait
l'homme moitié moitié [c'est-à-dire un côté
femme et un côté homme]. Donc l'homme doit savoir que le
génie lui donne le bonheur s'il se comporte bien avec lui. C'est comme
le génie, le Mbumba Iyanô choisi l'homme ou la femme qui doit
être avec toi. Si il n'aime pas la personne, il fait tout pour casser le
mariage. Il peut venir se mettre dans le même lit que toi et chasser la
personne du lit. Parfois tu rêves que tu as des rapports avec une femme
ou un homme. C'est le Mbumba Iyanô. Parfois tu rêve que tu es dans
l'eau avec des blancs, c'est le Mbumba Iyanô. Les gens parlent que c'est
Onyambé (fantômes) ou Onômé Yoguéra (homme de
nuit). Non c'est le Mbumba Iyanô, mon fils ! Quand c'est comme ça
il faut arranger le génie. Il arrive même que lorsque le
géni est beaucoup fâché, il peut faire sortir les
abcès, les gros boutons, ou les taches comme la dartre sur le corps. Il
peut même te faire maigrir. Il faut pas que les gens te regarder.
Personne ne doit te vouloir [personne ne doit te désirer]. (...) Ca
ressemble au Sida mais ce n'est pas le Sida. Parfois les gens pensent que c'est
le Sida alors que c'est le Mbumba qui embête la personne. Il peut
même faire en sorte que les machines du blanc montrent que tu as le Sida
pour que les gens fuient à côté de toi. Parce que il veut
rester seul. Comme ça là, il faut se faire initié au
Mbumba pour que ton géni soit arrangé. Le Mbumba Iyanô est
trop fort. Il peut même bloquer les enfants [il peut empêcher de
procréer]. ( ...) Le Mbumba Iyanô rend malade les gens qui ne veut
pas les arranger. C'est comme quelqu'un qui est initié ne doit
pas
161 Mme Jeannette, féminin, niveau d'étude
primaire, traditionnaliste, technicienne de surface dans une administration,
Mpongwé.
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casser les interdits sinon le Mbumba Iyanô peut
même le tuer. Il peut faire en sorte que quand on te regarde on te voit
comme un onyambé ; comme quelqu'un qui a la maladie là. Faut pas
jouer ?! Quand tu l'arranges on peut même dire que tu as le Sida, que les
trucs des blancs on vu çà [les machines qui permettent de
détecter la sérologie d'un individu], tout ca là sa
disparaît. Sauf si c'est la maladie de Dieu et que c'est Dieu qui a
envoyé ».
La seconde s'appelle Maman Mado162 et voici ce
qu'elle nous dit au sujet du Sida et de son rapport au Mbumba Iyanô.
Enoncé n°4 :
« On m'a amené une fille il y a deux ans qui
s'appelait Inès M ... Elle avait beaucoup maigri. Elle avait les
abcès, les boutons les petites brulures sur la peau avec des taches
noires sur tout le corps comme la veste. Ses parents m'ont dit qu'elle avait la
maladie qu'on appelle Sidé (Sida c'est comme ça qu'elle le
prononce). Je ne dormais pas. Rien à faire. La fille là pleurait
toute la nuit. C'est comme ça que quand je dormais un jour, j'ai vue une
sirène qui est venue me parler que ho « si je fait souffrir la
fille là c'est parce que elle ne me donne pas à manger, elle fait
( s'accouple) avec des hommes sales. Et puis elle fait ça n'importe
comment. Elle est venue me prendre là où j'étais c'est
pour me mettre dans la saleté ? Il faut qu'elle m'arrange sinon je la
tue». C'est comme ça là qu'elle m'a montré des
feuilles, et des bois pour la laver, et pour manger et boire. Elle m'a
montré un endroit au cap que je n'avais jamais vu et que je ne
connaissais pas. Elle m'a dit qu'elle allé me guider avec des signes
qu'elle avait mis. Le jour là mon petit mari, c'était fort !!! On
est arrivé sur la route y avait un gros cailloux blancs qui était
là. C'était le premier signe. Elle avait dit que dès qu'on
voyait ça il fallait qu'on débrousse et on faisait tout droit. On
a fait ça durant une heure les hommes était fatigué. Ici
là il fallait soulevé la fille, là-bas les choses.. Non
c'était fort ! Moimême je doutais. Les parents parlaient
déjà que ce que je fais là c'est faux. Après on a
écouté un grand cri qui nous a fait mal aux oreilles. J'ai pris
les crises. Je ne sais plus mes j'ai marché dans la foret les gens me
suivaient jusqu'à ce que on est arrivé où il y avait le
sable blanc. Y avait l'eau autour et au milieu y avait le sable blanc comme le
sable de la mer mais en pleine forêt. Mais le sable là
était trop blanc. Y avait aussi un arbre du Mbumba Iyanô qui
était la au milieu du sable. (...) J'ai mis la fille là dans
l'ifulu163. Je n'avais pas vu les mouches comme ça ! Y avait
les mouches AHHH !! On dirait qu'elles suivaient quelques de chose de pourrie.
Dès que j'ai mis la fille là à l'eau pour la laver avec
les feuilles et les écorces qu'on m'a montré, voici la pluie en
pleine saison sèche. Une forte pluie avec les tonnerres. Ca là
c'est le signe du Mbumba Iyanô : la sirène. L'eau était
devenue tout blanc comme si on avait mis du lait dedans. Dès que j'ai
fini de la laver elle était encore dans l'eau voici que elle a vu
quelque chose brillait dans l'eau. Quand elle a mis la main elle a senti comme
une main qui l'a tirée. Elle est rentrée dans l'eau. On a
commencé à la chercher. Une minute après elle est sortit
devant (à 50 mètres du lieu). Elle tremblait, elle ne parlait pas
!
162 Maman Mado, féminin, pas de niveau d'étude mais
femme d'un instituteur a la retraite, traditionnaliste, sans profession,
Ipounou
163 C'est une purification par fumigation et sudation. Lire a ce
sujet Julien BONHOME, Le miroir et le crâne. Parcours initiatique au
Bwete missoko (Gabon), Paris , CNRS, 2006, p 34.
Elle a ouvert la main elle avait des cories et une petite
pierre en or. Je lui demandais que c'est comment elle ne m'a pas répondu
elle n'arrivait pas à parler. Après ça la pluie s'est
calmée. On est rentré ! Arrivé à la maison elle a
dit qu'elle a vu deux sirènes qui lui ont remis des cories et puis l'or.
Mon chéri ! Laisse. La fille en deux semaines elle était
guérit. On a fait les cérémonies elle est partie en
France. J'ai appris qu'elle est morte en début d'année. Elle
avait épousé un blanc. »
Nous avons posé la question de savoir de quoi elle est
morte. Et elle nous a répondu qu'elle est morte de l'hépatite B.
Et elle a ajouté :
Enoncé n°5 :
« Je lui avais dit que faut plus qu'elle fasse les
choses n'importe comment. Il faut qu'elle respecte les interdits. Faut plus
qu'elle mange le [pénis, les fesses du partenaire ou de se faire
sodomiser164]. Mais rien ! Ce que le génie lui a interdit
c'est ce qu'elle est partie faire ». La fille de Maman Mado m'avouera
autour d'un verre que la fille n'est pas morte seulement de l'hépatite B
mais qu'elle avait aussi le Sida.
Ce que nous retenons de ces deux discours, parfois relevant du
fantastique nous l'accordons, c'est que le Mbumba Iyanô est dans
l'idéologie de la société médicale indigène
très relié au Sida. Les symptômes qui sont amaigrissement,
boutons envahissant toutes la surface du corps, détérioration de
la peau par la présence de plaques de muqueuses, sont autant de
similitudes entre la maladie du Sida et l'initiation indigène
dénommé Mbumba Iyanô.
L'idéologie médicinale indigène impute au
Mbumba Iyanô des phénomènes sociaux assez répandus
dans la société gabonaise. Notamment, les hommes ou femmes de
nuit et le problème de procréation. Mais surtout que le Sida
n'est pas une maladie biomédicale, mais bien maladie des esprits, des
génies. Le Sida est la conséquence de la possession par la
présence de génie jaloux, un génie maniaque de la
propreté, de génie frigide ou pudique. Le Sida est alors
détaché de son sens de syndrome pour être rattaché
à un sens purement imaginaire. Quelques correspondances suffisent pour
faire un rapport entre une maladie et une superstition, une
idéologie.
Ce que nous pouvons observer dans le dernier discours c'est
que le malade finit par mourir d'une IST. Les soins que prodiguent les deux
mères initiatrices du Mbumba Iyanô sont, certes, efficaces pour
réduire la progression des symptômes de la maladie du Sida. Mais
ils ne soignent pas la maladie du Sida. Et ce n'est pas les esprits qui
soignent, mais bien évidemment la vertu thérapeutique des
plantes, des écorces de bois. Malheureusement, elles ont refusé
à chaque fois de nous donner le nom des feuilles ou des bois qu'elles
utilisent pour soigner ou réduire les symptômes de la maladie.
Le Mbumba Iyanô nous permet de dresser une, des
nombreuses, explication des hommes ou des femmes de nuit. Se serait donc la
présence du génie qui est jaloux ou qui
164 C'est nous qui avons changé les expressions. Car les
mots qu'elle a utilisé étaient trop vulgaires.
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refuse la présence d'une compagne ou d'un compagnon.
Mais, il faut retenir que dans certaines idéologies initiatiques
indigènes souffrir du Sida, (et surtout avoir les symptômes tels
que des boutons, des muqueuses ou un amaigrissement du corps) c'est être
posséder par le génie jaloux du Mbumba Iyanô. Mais quelque
fois, nous nous retrouvons en plein discours commerciale. Chacun veut montrer
la puissance d'un génie, la puissance d'un esprit qu'eux seul ont la
capacité de voire, d'entendre. Ou tout simplement, « l'effet
recherché par qui raconte son expérience est alors la fascination
ou la peur : On ne parlerait pas si l'on espérait
fasciner165».
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