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Les mots du sida à  Libreville: métaphores postcoloniales et hétérotopies

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par Yannick ALEKA ILOUGOU
Université Omar Bongo - Master 2012
  

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Chapitre I : Les représentations de la médecine traditionnelle indigène du
sida à Libreville

Les lieux de productions des représentations de la médecine ésotérique indigène du Sida sont les espaces des Mband]as. Le Mband]a est un lieu oü l'on pratique des danses rituelles de réjouissances, des danses funèbres à l'occasion de l'exposition du corps d'un grand chef, d'un initié ou d'un notable. C'est aussi le lieu oü l'on initie un profane au bwity146. C'est un lieu sacré oü est diffusé le savoir initiatique du Bwity. C'est donc un lieu d'utopie. On en veut pour preuve les « délires » de l'initié pendant la consommation de l'iboga147 lors de l'initiation au bwity. C'est un hors-lieux, un autre monde, une autre société, un contre espaces, un espace hétérotopique.

Si tant est que les hétérotopies sont des contre espaces, c'est en ce sens qu'ils sont les lieux des déviances. L'initié ou mbandzi, est généralement malade ou affecté par toutes sortes d'infortune et Joseph TONDA les appelle « les affaires du corps148». D'ailleurs le message qu'il verra dans le miroir est des images de gens déformés, des ob]ets inanimés qui parlent... Bref, c'est un lieu oü l'imaginaire règne en maître absolu. Or, l'imaginaire c'est le produit d'idées préconçues déformées et donc déviant de la réalité. Ceci nous conduit alors, à présenter des productions imaginaires qui ne sont que des représentations sociales : les métaphores de la maladie du Sida dans la médecine ésotérique indigène gabonaise.

La maladie est un fait social. Et c'est parce qu'elle est considérée comme fait social qu'elle intéresse chaque strate et champ sociale. Elle devient par la suite fait social total car la société cherche en s'en approprier chaque explication et chaque mutation. De fait, tout un agrégat de significations, de sens, mais surtout de représentations populaires vont la rendre complexe à comprendre. À tel point qu'elle devient un objet que, dans le cas présent, la médecine ésotérique indigène cherche à exproprier et extirper du champ de la biomédecine. Dans le cas de l'hétérotopie populaire, c'est une indiscernabilité entre rumeur et ragot. Nous arrivons dans une situation où les représentations indigènes et populaire de la maladie possèdent les conceptions profanes de la maladie à l'instar du Mwiri, du Mbumba, du Mbolou, du Mbumba Iyanô, du Nzatsi et du Kôhng, etc.

SECTION 1 : Le Mwiri, le Mbumba Iyanô , le Mbumba et le Sida

Les cercles initiatiques indigènes sont des cercles dans lesquels la maladie est appréhendée et traduite dans des formes de représentations sociales. Ces représentations

146 André RAPONDA-WALKER et Roger SILLANS, Rites et croyances des peuples du Gabon, Libreville, Editions Raponda Walker, coll « hommes et société », 2005, p 200.

147 Plantes hallucinogènes utilisées dans le rituel d'initiation au bwity

148 « Nous entendons par « affaires du corps », toutes les situations de santé et de maladies, de fortunes et d'infortune a la chasse, dans les champs, dans les affaires, a l'école, au jeu, a l'église, au bureau de l'administration, au marché, au foyer, en politique, en amour, en famille, ect. » Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2002, p 41

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sociales ne sont que des métaphores qui renvoient aux croyances d'un surnaturel. La caractéristique de ce surnaturel que nous venons d'énoncer est d'être un appel à la puissance d'un génie ou d'une égrégore initiatique qui puni les impies d'un acte socialement prohibé. Et, le Sida, du point de vue métaphorique et sociologique, est une forme de manifestation de la possession par un génie ou l'égrégore d'un cercle initiatique.

1) Le Mwiri

Emile DURKHEIM énoncé que « la première démarche du sociologue doit donc être de définir les choses dont il traite, afin que l'on sache et qu'il sache bien de quoi il est question149". Alors, qu'est-ce que c'est que le Mwiri ? « Le Mwiri, ou Mangogo, est essentiellement une secte d'hommes, très répandue dans la Ngounié et le Bas-Ogowè, dans laquelle peuvent être admis tous les garçons dès la puberté. D'ailleurs les jeunes garçons ont hate d'y être initié afin de pouvoir faire figure d'hommes, et aussi, pour ne pas être considérés comme des ignares et des couards150". Cette initiation « se fait par cohorte [...] Dans les nombreux villages oü le Mwiri reste un rite de passage obligatoire, c'est l'oncle maternel qui décide que le temps de l'initiation est venu pour ses neveux [...]. L'initiation, qui laisse clairement apparaître la structure canonique des rites de passages, commence par une phase de réclusion en brousse avant de se poursuivre au village, en privé au corps de garde puis en public dans la cour centrale 151 ". Mais cette définition du Mwiri n'est pas tellement intéressante pour notre étude. En ce sens que vous trouverez de nombreux texte qui en ont fait large description152.

Ce qui nous intéresse c'est que « le Mwiri est également la société initiatique masculine chargée d'assurer le contrôle de l'ordre social et de punir les transgressions. Un vol, un adultère ou même un mensonge peut en effet entraîner une sanction magique, punition infligée par le génie Mwiri sous le forme d'une maladie subite (dont le symptôme majeur est un gonflement du ventre)153». C'est donc les symptômes donnés par le Mwiri qui vont nous intéresser. En effet, les symptômes du Mwiri sont multiples et ne se limitent pas à la description simpliste que nous propose Julien BONHOMME.

En effet, la maladie dans la médecine ésotérique indigène est assimilée à la possession par une entité, d'un génie. Le Mwiri comme précédemment a effectivement des symptômes pour faire savoir que l'individu ( initié ou profane) est posséder par le Mwiri. Nous avons interrogé un acteur de la médecine ésotérique indigène M. Etienne154, et voici ce qu'il nous révéler au sujet du Mwiri.

149 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, coll « Quadrige, 11ème édition, 2002, P34.

150 André RAPONDA-WALKER et Roger SILLANS, Rites et croyances des peuples du Gabon, Libreville, Editions Raponda Walker, coll « hommes et société », 2005, p 229.

151 Julien BONHOMME, Le miroir et le crâne. Parcours initiatique au Bwete missoko (Gabon), Paris , CNRS, 2006, p 162.

152 Lire les deux précédents auteurs ci-dessus dans les ouvrages cités.

153 Julien BONHOMME, Op cit, P 167.

154 M Etienne, Masculin, Niveau d'étude secondaire, retraité, Bwitiste, Ipounou/ Massango

Enoncé n°1 :

« Te parler du Mwiri c'est difficile. Les blancs sont trop curieux. Aujourd'hui je vais te parler de ça, demain tu vas mettre ça dans des livres que les femmes vont lire ?(.. ;)Si c'est pour parler des choses qui arrivent sur le corps de quelqu'un y a pas de problème. Mais tu dois déposer le Bwity155(Rire) ! Le Mwiri quand il attrape quelqu'un il a plusieurs manières. La manière que les gens connaissent beaucoup c'est lorsque le ventre se gonfle. Mais il y a aussi les diarrhées violentes qui commencent généralement au couché du soleil. Il y a aussi les fièvres comme celle que l'on a souvent quand on a le palu. Elles viennent que vers les 18H au début. Après lorsque ca duré elles restent toute la journée. Il y a aussi le corps qui maigri a un tel point que tu as la peau sur les os et tu n'arrive pas à marcher. Il y aussi des personnes qui passent leur temps à tousser jusqu'à cracher du sang. C'est le mwiri qui met de l'eau dans les poumons ou qui déchire les poumons avec ses griffes. Tu vois que ce que je viens de te dire là ressemble beaucoup à la tuberculose. (...) Ce que les gens appel le Sida c'est souvent le Mwiri. Moi quand je traite ce genre de personne j'enlève toujours le diable. Car peut être que la personne est sorti en vampire et puis elle est coincé dans une protection de terrain. Ou bien elle a violé des interdits ou tout simplement quelqu'un lui a tapé le diable156. Parfois aussi le sorcier l'a attaqué dans la nuit et puis il l'a tapé le diable pour l'atteindre (...). Bon selon les cas, comme je suis modounga157, c'est du retour de la brousse que je sais véritablement de quoi la personne souffre. Si c'est les autres ou lui-même qui connaît l'origine de sa maladie. En fonction des cas, ,je choisi le traitement. On utilise le sacrifice du mouton quand la personne est au dernier stade du Mwiri. C'est-à dire quand il est paralysé et qu'il fait tout sur place. Après il y a les médicaments pour soigner intérieurement les blessures que les griffes du Mwiri a causé».

Au regard de cet entretient il y a un fait qui amène a ce que nous énoncions que « considéré ainsi, la maladie entraine donc toujours une interrogation qui dépasse le corps individuel et le diagnostic [biomédical]158». Selon le discours que nous venons de transcrire, nous remarquons que le diagnostic se fait en forét. C'est des arbres, des plantes qui vont définir l'origine de la maladie et, surtout de son traitement. Ce qui revient à dire que le Sida selon notre enquêté est une maladie donnée par le Mwiri et que seul les bois de forêt sont susceptible de pouvoir octroyer la guérison du malade.

Nous disons aussi que la maladie du Sida comme Mwiri, n'est plus simplement une métaphore. Mais elle est bien plus car elle interactionne d'autres schèmes, d'autres variables qui font en sorte qu'elle devienne une chose réelle. C'est peut être en ce sens que HERZLICH énonce que « plus encore que métaphore, la maladie est donc un signifiant dont

155 Une somme d'argent symbolique pour avoir la bénédiction du Bwity.

156 Une autre expression pour décrire et appeler le Mwiri.

157 Grade qui correspond à celui qui parle avec le Mwiri

158 Claudine HERZLICH, « La perception quotidienne de la santé et de la maladie et leur dynamique dans le champ social », L'étude des représentations sociales, Paris, Delachaux et Niestlé, 1986, p 158

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le signifié est le rapport de l'individu à l'ordre social159». C'est aussi peut-être pour cela que cette allusion et comparaison du Mwiri au Sida ne semble plus se limiter à la métaphore. Nous pensons que le Mwiri est une métonymie du Sida. En ce sens que la métaphore reste dans le domaine de l'imaginaire. Tandis que les métonymies sont une forme de capacité qu'ont les métaphores pour franchir symboliquement cette frontière entre l'imaginaire et le réel.

Donc, le Mwiri c'est le Sida. Ou plutôt, le Sida biomédical a une représentation sociale dans une croyance indigène appelée Mwiri. Car les symptômes de la maladie du Sida sont identiques à ceux du Mwiri. Ce qui justifie, dans cette société initiatique160, que la biomédecine n'ait pas encore trouvé le remède du Sida car le Sida c'est le Mwiri. Il faut connaître ce que c'est que le Mwiri pour découvrir le remède du Sida.

Nous pouvons déduire que le Mwiri, selon la conception de M Etienne, est une maladie de l'immunodéficience acquise. Ou encore que le sort jeté ou la sortie en vampire peuvent faire contracter à une tierce personne, la maladie du Sida donc ce que la biomédecine à identifié sous le terme de Syndrome d'Immunodéficience Acquise. Car, lorsque l'on dit Sida dans la pensée de la médecine ésotérique indigène, il y a comme une forme de contingence, de mépris, de sous-estimation face à ce que décrit cet acronyme. Or, ce qui est vrai, c'est que le Sida est le Mwiri ont certainement les mémes symptômes mais de là à en faire une comparaison, une allusion comme l'une étant l'autre est quelque peu triviale.

Dans la foulée du débat nous lui avons demandé ce qu'il pensait de ce qui ont trouvé le Sida est ce que lui qui a été scolarisé en pense. Voici sa réponse :

Enoncé n°2 :

« Tu sais petit les blancs ont trouvé beaucoup de chose. Mais ce qu'il trouve existait d'une certaine manière dans nos traditions. C'est le cas du Mwiri et du Sida. Ils ont vu au microscope ce que nous nous disions lorsque nous allons demander aux arbres l'origine de la maladie. Nos arbres sont nos microscopes (rire). Je ne dis pas que l'hôpital n'est pas intéressant mais la maladie du Sida se soigne aussi chez les noirs. Seulement, il veule que se soit eux seulement qui ait la paternité du remède pour se faire de l'argent. Nous aussi nous soignons ce que eux ils appellent le Sida ».

Cet énoncé revient à dire que pour lui, il y a bien entendu un « Sida biomédical ». C'est-à-dire une maladie prouvée rationnellement par le biais d'une étiologie scientifique. Mais ce que lui il appelle Mwiri, est une forme de la maladie du Sida et que lui aussi peut à travers les soins de cette initiation soigner les symptômes du Sida. Nous disons bien les symptômes. Car faire cesser les diarrhées, les toux, les fièvres ne veut absolument pas dire que le Sida soit traité. C'est le même cas des ARV. Ils permettent de stopper ou réduire et ralentir la progression du virus du Sida, mais il ne le guérit pas.

159 Claudine HERZLICH, Op cit, p 159.

160 Plus précisément dans le lieu que nous avons enquêté c'est-à-dire dans la banlieue de Ntoum vers Ndonguila.

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