Chapitre I : Les représentations de la
médecine traditionnelle indigène du sida à
Libreville
Les lieux de productions des représentations de la
médecine ésotérique indigène du Sida sont les
espaces des Mband]as. Le Mband]a est un lieu oü l'on pratique des danses
rituelles de réjouissances, des danses funèbres à
l'occasion de l'exposition du corps d'un grand chef, d'un initié ou d'un
notable. C'est aussi le lieu oü l'on initie un profane au
bwity146. C'est un lieu sacré oü est diffusé le
savoir initiatique du Bwity. C'est donc un lieu d'utopie. On en veut pour
preuve les « délires » de l'initié pendant la
consommation de l'iboga147 lors de l'initiation au bwity. C'est un
hors-lieux, un autre monde, une autre société, un contre espaces,
un espace hétérotopique.
Si tant est que les hétérotopies sont des contre
espaces, c'est en ce sens qu'ils sont les lieux des déviances.
L'initié ou mbandzi, est généralement malade ou
affecté par toutes sortes d'infortune et Joseph TONDA les appelle «
les affaires du corps148». D'ailleurs le message qu'il verra
dans le miroir est des images de gens déformés, des ob]ets
inanimés qui parlent... Bref, c'est un lieu oü l'imaginaire
règne en maître absolu. Or, l'imaginaire c'est le produit
d'idées préconçues déformées et donc
déviant de la réalité. Ceci nous conduit alors, à
présenter des productions imaginaires qui ne sont que des
représentations sociales : les métaphores de la maladie du Sida
dans la médecine ésotérique indigène gabonaise.
La maladie est un fait social. Et c'est parce qu'elle est
considérée comme fait social qu'elle intéresse chaque
strate et champ sociale. Elle devient par la suite fait social total car la
société cherche en s'en approprier chaque explication et chaque
mutation. De fait, tout un agrégat de significations, de sens, mais
surtout de représentations populaires vont la rendre complexe à
comprendre. À tel point qu'elle devient un objet que, dans le cas
présent, la médecine ésotérique indigène
cherche à exproprier et extirper du champ de la biomédecine. Dans
le cas de l'hétérotopie populaire, c'est une
indiscernabilité entre rumeur et ragot. Nous arrivons dans une situation
où les représentations indigènes et populaire de la
maladie possèdent les conceptions profanes de la maladie à
l'instar du Mwiri, du Mbumba, du Mbolou, du Mbumba Iyanô, du Nzatsi et du
Kôhng, etc.
SECTION 1 : Le Mwiri, le Mbumba Iyanô , le Mbumba
et le Sida
Les cercles initiatiques indigènes sont des cercles dans
lesquels la maladie est appréhendée et traduite dans des formes
de représentations sociales. Ces représentations
146 André RAPONDA-WALKER et Roger SILLANS, Rites et
croyances des peuples du Gabon, Libreville, Editions Raponda Walker, coll
« hommes et société », 2005, p 200.
147 Plantes hallucinogènes utilisées dans le rituel
d'initiation au bwity
148 « Nous entendons par « affaires du corps »,
toutes les situations de santé et de maladies, de fortunes et
d'infortune a la chasse, dans les champs, dans les affaires, a l'école,
au jeu, a l'église, au bureau de l'administration, au marché, au
foyer, en politique, en amour, en famille, ect. » Joseph TONDA, La
guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris,
Karthala, 2002, p 41
50
sociales ne sont que des métaphores qui renvoient aux
croyances d'un surnaturel. La caractéristique de ce surnaturel que nous
venons d'énoncer est d'être un appel à la puissance d'un
génie ou d'une égrégore initiatique qui puni les impies
d'un acte socialement prohibé. Et, le Sida, du point de vue
métaphorique et sociologique, est une forme de manifestation de la
possession par un génie ou l'égrégore d'un cercle
initiatique.
1) Le Mwiri
Emile DURKHEIM énoncé que « la
première démarche du sociologue doit donc être de
définir les choses dont il traite, afin que l'on sache et qu'il sache
bien de quoi il est question149". Alors, qu'est-ce que c'est que le
Mwiri ? « Le Mwiri, ou Mangogo, est essentiellement une secte d'hommes,
très répandue dans la Ngounié et le Bas-Ogowè, dans
laquelle peuvent être admis tous les garçons dès la
puberté. D'ailleurs les jeunes garçons ont hate d'y être
initié afin de pouvoir faire figure d'hommes, et aussi, pour ne pas
être considérés comme des ignares et des
couards150". Cette initiation « se fait par cohorte [...] Dans
les nombreux villages oü le Mwiri reste un rite de passage obligatoire,
c'est l'oncle maternel qui décide que le temps de l'initiation est venu
pour ses neveux [...]. L'initiation, qui laisse clairement apparaître la
structure canonique des rites de passages, commence par une phase de
réclusion en brousse avant de se poursuivre au village, en privé
au corps de garde puis en public dans la cour centrale 151 ". Mais
cette définition du Mwiri n'est pas tellement intéressante pour
notre étude. En ce sens que vous trouverez de nombreux texte qui en ont
fait large description152.
Ce qui nous intéresse c'est que « le Mwiri est
également la société initiatique masculine chargée
d'assurer le contrôle de l'ordre social et de punir les transgressions.
Un vol, un adultère ou même un mensonge peut en effet
entraîner une sanction magique, punition infligée par le
génie Mwiri sous le forme d'une maladie subite (dont le symptôme
majeur est un gonflement du ventre)153». C'est donc les
symptômes donnés par le Mwiri qui vont nous intéresser. En
effet, les symptômes du Mwiri sont multiples et ne se limitent pas
à la description simpliste que nous propose Julien BONHOMME.
En effet, la maladie dans la médecine
ésotérique indigène est assimilée à la
possession par une entité, d'un génie. Le Mwiri comme
précédemment a effectivement des symptômes pour faire
savoir que l'individu ( initié ou profane) est posséder par le
Mwiri. Nous avons interrogé un acteur de la médecine
ésotérique indigène M. Etienne154, et voici ce
qu'il nous révéler au sujet du Mwiri.
149 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode
sociologique, Paris, PUF, coll « Quadrige, 11ème
édition, 2002, P34.
150 André RAPONDA-WALKER et Roger SILLANS, Rites et
croyances des peuples du Gabon, Libreville, Editions Raponda Walker, coll
« hommes et société », 2005, p 229.
151 Julien BONHOMME, Le miroir et le crâne. Parcours
initiatique au Bwete missoko (Gabon), Paris , CNRS, 2006, p 162.
152 Lire les deux précédents auteurs ci-dessus dans
les ouvrages cités.
153 Julien BONHOMME, Op cit, P 167.
154 M Etienne, Masculin, Niveau d'étude secondaire,
retraité, Bwitiste, Ipounou/ Massango
Enoncé n°1 :
« Te parler du Mwiri c'est difficile. Les blancs sont
trop curieux. Aujourd'hui je vais te parler de ça, demain tu vas mettre
ça dans des livres que les femmes vont lire ?(.. ;)Si c'est pour parler
des choses qui arrivent sur le corps de quelqu'un y a pas de problème.
Mais tu dois déposer le Bwity155(Rire) ! Le Mwiri quand il
attrape quelqu'un il a plusieurs manières. La manière que les
gens connaissent beaucoup c'est lorsque le ventre se gonfle. Mais il y a aussi
les diarrhées violentes qui commencent généralement au
couché du soleil. Il y a aussi les fièvres comme celle que l'on a
souvent quand on a le palu. Elles viennent que vers les 18H au début.
Après lorsque ca duré elles restent toute la journée. Il y
a aussi le corps qui maigri a un tel point que tu as la peau sur les os et tu
n'arrive pas à marcher. Il y aussi des personnes qui passent leur temps
à tousser jusqu'à cracher du sang. C'est le mwiri qui met de
l'eau dans les poumons ou qui déchire les poumons avec ses griffes. Tu
vois que ce que je viens de te dire là ressemble beaucoup à la
tuberculose. (...) Ce que les gens appel le Sida c'est souvent le Mwiri. Moi
quand je traite ce genre de personne j'enlève toujours le diable. Car
peut être que la personne est sorti en vampire et puis elle est
coincé dans une protection de terrain. Ou bien elle a violé des
interdits ou tout simplement quelqu'un lui a tapé le
diable156. Parfois aussi le sorcier l'a attaqué dans la nuit
et puis il l'a tapé le diable pour l'atteindre (...). Bon selon les cas,
comme je suis modounga157, c'est du retour de la brousse que je sais
véritablement de quoi la personne souffre. Si c'est les autres ou
lui-même qui connaît l'origine de sa maladie. En fonction des cas,
,je choisi le traitement. On utilise le sacrifice du mouton quand la personne
est au dernier stade du Mwiri. C'est-à dire quand il est paralysé
et qu'il fait tout sur place. Après il y a les médicaments pour
soigner intérieurement les blessures que les griffes du Mwiri a
causé».
Au regard de cet entretient il y a un fait qui amène a
ce que nous énoncions que « considéré ainsi, la
maladie entraine donc toujours une interrogation qui dépasse le corps
individuel et le diagnostic [biomédical]158». Selon le
discours que nous venons de transcrire, nous remarquons que le diagnostic se
fait en forét. C'est des arbres, des plantes qui vont définir
l'origine de la maladie et, surtout de son traitement. Ce qui revient à
dire que le Sida selon notre enquêté est une maladie donnée
par le Mwiri et que seul les bois de forêt sont susceptible de pouvoir
octroyer la guérison du malade.
Nous disons aussi que la maladie du Sida comme Mwiri, n'est
plus simplement une métaphore. Mais elle est bien plus car elle
interactionne d'autres schèmes, d'autres variables qui font en sorte
qu'elle devienne une chose réelle. C'est peut être en ce sens que
HERZLICH énonce que « plus encore que métaphore, la maladie
est donc un signifiant dont
155 Une somme d'argent symbolique pour avoir la
bénédiction du Bwity.
156 Une autre expression pour décrire et appeler le
Mwiri.
157 Grade qui correspond à celui qui parle avec le
Mwiri
158 Claudine HERZLICH, « La perception quotidienne de la
santé et de la maladie et leur dynamique dans le champ social »,
L'étude des représentations sociales, Paris, Delachaux
et Niestlé, 1986, p 158
52
le signifié est le rapport de l'individu à
l'ordre social159». C'est aussi peut-être pour cela que
cette allusion et comparaison du Mwiri au Sida ne semble plus se limiter
à la métaphore. Nous pensons que le Mwiri est une
métonymie du Sida. En ce sens que la métaphore reste dans le
domaine de l'imaginaire. Tandis que les métonymies sont une forme de
capacité qu'ont les métaphores pour franchir symboliquement cette
frontière entre l'imaginaire et le réel.
Donc, le Mwiri c'est le Sida. Ou plutôt, le Sida
biomédical a une représentation sociale dans une croyance
indigène appelée Mwiri. Car les symptômes de la maladie du
Sida sont identiques à ceux du Mwiri. Ce qui justifie, dans cette
société initiatique160, que la biomédecine
n'ait pas encore trouvé le remède du Sida car le Sida c'est le
Mwiri. Il faut connaître ce que c'est que le Mwiri pour découvrir
le remède du Sida.
Nous pouvons déduire que le Mwiri, selon la conception
de M Etienne, est une maladie de l'immunodéficience acquise. Ou encore
que le sort jeté ou la sortie en vampire peuvent faire contracter
à une tierce personne, la maladie du Sida donc ce que la
biomédecine à identifié sous le terme de Syndrome
d'Immunodéficience Acquise. Car, lorsque l'on dit Sida dans la
pensée de la médecine ésotérique indigène,
il y a comme une forme de contingence, de mépris, de sous-estimation
face à ce que décrit cet acronyme. Or, ce qui est vrai, c'est que
le Sida est le Mwiri ont certainement les mémes symptômes mais de
là à en faire une comparaison, une allusion comme l'une
étant l'autre est quelque peu triviale.
Dans la foulée du débat nous lui avons
demandé ce qu'il pensait de ce qui ont trouvé le Sida est ce que
lui qui a été scolarisé en pense. Voici sa réponse
:
Enoncé n°2 :
« Tu sais petit les blancs ont trouvé beaucoup
de chose. Mais ce qu'il trouve existait d'une certaine manière dans nos
traditions. C'est le cas du Mwiri et du Sida. Ils ont vu au microscope ce que
nous nous disions lorsque nous allons demander aux arbres l'origine de la
maladie. Nos arbres sont nos microscopes (rire). Je ne dis pas que
l'hôpital n'est pas intéressant mais la maladie du Sida se soigne
aussi chez les noirs. Seulement, il veule que se soit eux seulement qui ait la
paternité du remède pour se faire de l'argent. Nous aussi nous
soignons ce que eux ils appellent le Sida ».
Cet énoncé revient à dire que pour lui,
il y a bien entendu un « Sida biomédical ».
C'est-à-dire une maladie prouvée rationnellement par le biais
d'une étiologie scientifique. Mais ce que lui il appelle Mwiri, est une
forme de la maladie du Sida et que lui aussi peut à travers les soins de
cette initiation soigner les symptômes du Sida. Nous disons bien les
symptômes. Car faire cesser les diarrhées, les toux, les
fièvres ne veut absolument pas dire que le Sida soit traité.
C'est le même cas des ARV. Ils permettent de stopper ou réduire et
ralentir la progression du virus du Sida, mais il ne le guérit pas.
159 Claudine HERZLICH, Op cit, p 159.
160 Plus précisément dans le lieu que nous avons
enquêté c'est-à-dire dans la banlieue de Ntoum vers
Ndonguila.
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