PRÉALABLES ÉPISTEMOLOGIQUES
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PREALABLES EPISTEMOLOGIQUES SECTION 1 L 2 %J(7 7
&1- $0 3 1 ETUDE
1) Métaphores du Sida et hétérotopies
à Libreville
Dans la littérature la métaphore renvoie
à une figure de style qui a pour principe de comparer un
évènement, un corps à une chose. C'est un transfert de
sens par substitution29. « La métaphore, écrit
Aristote, consiste à donner à une chose un nom qui appartient
à une autre chose30 ». C'est en fait une analogie.
Lorsque l'on pense par analogie, « c'est pour affirmer une relation
d'équivalence entre objets (matériels et idéaux), des
conduites, des relations, des relations d'objets, des relations de relations,
etc31». Cette métaphore a pour objet de ternir, de
ridiculiser, de minimiser ou de dénier un fait, un
évènement ou un corps. Dans le cas de la métonymie l'image
quitte l'irréel pour intégrer le réel. En fait, la
métaphore décrit ou compare les choses tout en restant dans le
domaine de l'irréel, or la métonymie (qui est aussi une
métaphore) fait transiter l'objet irréel dans le réel.
L'imaginaire devient une chose réelle. C'est donc la
métaphorisation (et, dans une moindre mesure, la métonymisation)
de la maladie du Sida qui va intéresser notre analyse. Cette
métaphorisation du Sida renvoie à l'exploitation des expressions
usuelles du Sida dans la société. Ce sont des mots, des
expressions des discours qui sont le corpus de notre travail. En ce sens que
« le langage ordinaire qui, parce qu'ordinaire, passe inaperçu
enferme, dans son vocabulaire et sa syntaxe, toute une philosophie
pétrifiée du social toujours prête à [faire]
ressurgir des mots communs ou des expressions complexes construites avec des
mots communs que le sociologue utilise
inévitablement32».
Seulement il nous faut montrer les lieux dans lesquels sont
produits ces discours. C'est à cet effet que nous entendons par espace
hétérotopique un lieu dans lequel est produit des discours
sacré. C'est des lieux autres, considérés comme des hors
lieux, des lieux utopiques comme le décrit Michel FOUCAULT33.
Ce sont « des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont
dessinés dans l'institution méme de la société, et
qui sont des sortes de contreemplacements, sortes d'utopies effectivement
réalisées dans lesquelles les emplacements réels [...]
sont à la fois représentés, contestés et
inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que
pourtant ils soient effectivement localisables »34.C'est des
lieux oü il y a des discours sacré comme nous l'avons dit, mais
c'est également des lieux de toutes les transgressions, « des lieux
oü l'ont rencontre des déviants 35 ». Pour lui,
« en général,
29 Madeleine GRAWITZ, Lexiques des sciences
sociales, Paris, Dalloz, 2000, p 275.
30 Susan SONTAG, La maladie et ses
métaphores, le sida et ses métaphores, Paris, Christian
Bourgeois éditeur, coll « titre 101 », 1993, p 121.
31 Maurice GODELIER, Horizons et trajets
marxistes en anthropologie, Paris, Maspéro, 1977,p 276 cité
par Joseph TONDA , « Capital sorcier et travail de Dieu »,
Pouvoirs sorciers, Paris, Karthala, coll « Politique africaine
», n°79 -octobre 2000, p 52.
32 Pierre BOURDIEU, Le métier du
sociologue, Paris, Mouton, 1973, p 87.
33 Michel FOUCAULT, l'art de penser,
Conférence audio MP3, 1966,
34 Michel FOUCAULT, Dits et écrits IV,
Paris, Gallimard, 1994, p 756
35 Michel FOUCAULT, Ibid 1966..
l'hétérotopie a pour règle de juxtaposer
en un lieu réel plusieurs espaces qui, normalement, seraient, devraient
être incompatibles.36» Ces lieux sont à Libreville
les temples de confréries initiatiques modernes, les cimetières,
les bars, les Mbandjas, les églises. La particularité de ces
lieux est qu'ils sont sacrés, interdits ou privilégiés.
Dans ces lieux on trouve un discours sacré mais, en même temps,
ils sont les lieux dans lesquels sont proférés des transgressions
dela morale. Les scandales de pédophilies dans les églises, les
profanations de tombes dans les cimetières37, les sacrifices
humains dans les confréries initiatiques et les Mbandjas n'y sont
nullement étranger. C'est en ce sens que « la
franc-maçonnerie, la Rose-croix, la Prima Curia, la médiation
transcendantale, auxquelles ils donnent une teneur ésotérique
particulière et parfois sanglante38». Les débats
inculpant l'Etat dans toutes sortes de machinations ou encore de son
incapacité à régler certaines situations sont le propre
des bars, des marchés et des transports en commun. Dans les bars, les
marchés ou les transports en commun nous n'avons pas, à
proprement parlé, un discours sacré, mais nous y observons des
propos généralement proférés contre l'Etat. C'est
un lieu qui est un baromètre de l'opinion publique. Un lieu oü
l'opinion trouve une tribune pour exprimer son désarroi. C'est aussi des
lieux de transgressions, lieu de déviance. Pour les marchés c'est
les ventes de produits avariés ; pour les bars des réseaux de
prostitutions et d'incitation à la débauche des mineurs et
à la consommation d'alcool ; pour les transports en commun des lieux de
surcharge et de conduite sans permis et assurance, donc un lieu d'infractions.
La particularité de ces lieux hétérotopiques, comme nous
venons de le décrire, est une forte prégnance de la
transgression, des délits, des infractions alors qu'ils devraient
être un lieu de l'ordre au vue de leur caractère «
sacré ». Mais les hétérotopies ont ceci de
particulier c'est que c'est « un lieu ouvert, mais qui a cette
propriété de vous maintenir au dehors.39»
Ainsi, la construction de ce concept de métaphores de
la maladie du Sida et d'hétérotopies résulte du constat de
la naissance d'une pandémie du Sida. En effet, il y a « un mal qui
émerge brutalement au cours de la même décennie des
années 1980, le Sida. Ce mal, présenté par le discours
scientifique comme sans possibilité de guérison, a pour
caractéristique fortement anxiogène de menacer la reproduction
des parentèles par l'accomplissement d'une sexualité sans
contrôle et sans entrave40 ». Mais bien plus encore, ce
mal à pour caractéristique d'être accompagner par une
métaphorisation et une métonymisation qui la déprave et la
réifie. Ceci par le fait qu' « un mal aussi irréductible
est, par définition, mystérieux41 ». C'est le
sens qui gravite autour de la métaphorisation et la
métonymisation de la maladie du Sida dans les espaces
hétérotopiques qui va nous intéresser. Nous nous
36 Michel FOUCAULT, Le corps utopique, les
hétérotopies, Paris, Nouvelles Editions Lignes, 2009,
p28.
37 Lire à ce sujet Lionel Cédrick
IKOGOU-RENAMY, L'or blanc : le marché occulte et illégal du
corps humain à Libreville, Libreville, UOB, Faculté des
Lettres et des Sciences Humaines, mémoire de DEA, octobre 2010.
38 Jean-François BAYART, « le capital
social de l'Etat malfaiteur, ou les ruses de l'intelligence politique »,
La criminalisation de l'Etat en Afrique, Bruxelles, Complexes, 1997, P
63.
39 Michel FOUCAULT, Op cit, p 32.
40 Joseph TONDA, « Economie religieuse du
pentecôtisme en Afrique centrale », La
pensée, Paris, n° 348,
octobre-décembre 2006, p.82.
41 Susan SONTAG, La maladie et ses
métaphores, le sida et ses métaphores, Paris, Christian
Bourgeois éditeur, coll « titre 101 », 1993, p 13.
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intéressons à la fonction des métaphores
dans l'exercice de la représentation de la maladie du Sida à
Libreville.
Il faut tout d'abord préciser qu' « on
considère ainsi qu'à la différence des
sociétés occidentales, plus préoccupées par la
santé que par la maladie, les sociétés «
traditionnelles » d'Afrique se soucient davantage des maladies, des
interprétations à en donner et des moyens de les
combattre42 ». Ce qui permet d'énoncer que ce qui est
considéré comme maladie, ce n'est pas seulement le
désordre biologique ou/et mental affectant un individu : ce sont aussi
toutes sortes d'infortunes concernant sa position sociale 43 . Comme
le pense Claudine HERZLICH la maladie est aujourd'hui, de fait, entre les mains
de la médecine [biomédicale], mais elle demeure un
phénomène qui la déborde de toutes parts44 . Et
c'est bien parce qu'elle la déborde de toutes parts que l'expression du
social s'en trouve débordée. Elle est débordée par
les expressions et les mots cherchant à l'expliquer ou, parfois à
la dénier. C'est donc la maladie comme signifiant social qui est notre
préoccupation. Mais encore, ce sont les métaphores et les
métonymies du Sida qui motivent notre enquête. « Notre
stratégie d'enquête nous a toujours incités à placer
ce terrain autour d'un ou plusieurs foyers qui avaient éveillé
notre vigilance [sociologique], parce qu'ils étaient les creusets
oü se façonnaient, se déployaient, s'éprouvaient et
s'implantaient socialement des préoccupations et des inquiétudes
vernaculaires contemporaines-quelles qu'elles soient, et quelle qu'en soit
l'échelle phénoménale. Dans la mesure oü nous visons
à produire une [sociologie] qui soit empirique sans être
empiriste, nous avons défini tous nos objets de recherche, sans
exception45».
Lorsque nous regardons la société gabonaise,
nous constatons que les métaphores et/ou les métonymies de la
maladie s'étendent généralement sur quatre axes. Pour
être plus précis, dans le cas de la maladie du Sida quatre axes
nous intéresse. En fait, après avoir récolté des
données de terrain nous constatons que les métaphores et/ou les
métonymies du Sida vont s'étendre sur quatre dimensions qui sont
les métaphores de la médecine ésotérique
indigène, populaires, religieuses et musicales.
42 E. M'BOKOLO, « Histoires des maladies,
histoire et maladie : l'Afrique », Le sens du ma!, Paris,
Editions des archives contemporaines, 4ème édition,
1994, p177.
43 E. M'BOKOLO, Ibid, p 177.
44 Claudine HERZLICH, « Médecine moderne
et quête de sens : la maladie signifiant social », Le sens du
ma!, Paris, Editions des archives contemporaines, 4ème
édition, 1994, p201.
45 Jean et John COMAROFF, Zombies et
frontières a l'ère néolibérale. Le cas de l'Afrique
du Sud post-apartheid, Paris, Les prairies ordinaires, coll «
penser/croiser », 2010, p 53.
Tableau n°1 : Différentes expressions
utilisées pour représenter le Sida
Représentations de la médecine
ésotérique indigène
|
Représentations populaires
|
Représentations religieuses
|
Représentations Musicales
|
Mwiri
|
Maladie du siècle
|
Punition divine
|
Maladie du sang
|
Mbumba46
|
Sidonie
|
karma
|
Maladie d'amour
|
Mbumba Iyanô47
|
Grande maladie
|
|
Maladie de l'infidélité
|
Nzatsi
|
Les quatre lettres
|
|
Maladie du sexe
|
Kôhng
|
Syndromes inventé pour décourager
les amoureux
|
|
|
|
Mbolou48
|
|
|
Source l Mg MAkM$ ( . $ MI 2 8 * 2 8 MIEtISRXiOOIIP
IIItMIEIIsMIERnKOIIsMIE'IIMIXtlII
Les expressions ou les mots ci-dessus sont les
différentes métaphores ou métonymies que l'on donne au
Sida au Gabon. Cette liste n'est pas exhaustive, mais elle a la
particularité de présenter empiriquement notre objet
d'étude. Cet objet d'étude a la particularité d'être
axé sur des mots ou des groupes d'expression qui inscrivent le sujet
dans un champ littéraire. Les protagonistes de ce champ ne sont pas les
littéraires eux-mêmes. Les expressions du milieu populaire, du
milieu religieux, du milieu ésotérique indigène ou des
Médecines hors secteur biomédical (MHSB) et du milieu musical
décrites sont observable dans les hétérotopies
décrites plutôt. Les auteurs des métaphores sont les
bwitistes, les pentecôtistes, les rosicruciens, les gens ordinaires et
les musiciens que nous avons rencontrés. Les lieux dans lesquels ces
acteurs produisent ces métaphores et métonymies sont : les
Mbandjas, les temples de confrérie initiatique moderne, les
églises, les bars, les transports en commun, les marchés. Les
représentations métaphoriques ou métonymiques du Sida dans
le milieu de la médecine ésotérique indigène
s'expriment sous les noms et expressions tels que : Mbumba, le Mwiri, le Mbumba
Iyanô, Nzatsi (le fusil nocturne) ou Kôhng.
Le Mbumba est une entité mystique dont l'icône
représentatif est un serpent. Ce serpent est un python
considéré comme roi des serpents. Selon les traditionalistes
entretenus, il y a deux ethnies spécialistes du Mbumba. Ces ethnies sont
l'ethnie Mwiénè et l'ethnie Akélè. La
particularité de ce deux Mbumba se situe dans le fait que dans l'ethnie
Mwiénè il s'agit d'un serpent qui entoure la marmite, tandis que
pour les Akélè il s'agit d'un caïman de quatre à cinq
mètres de long nommé Ngando. C'est donc soit un serpent ou un
caïman qui est livré en même temps que la marmite nocturne.
Comme son nom l'indique, la marmite nocturne est une marmite dans lequel
réside des reliques notamment le crane de l'homme, le tibia et
l'intestin grêle de l'homme qui ont le pouvoir d'envouter et de tuer
toutes personnes dont le
46
Expression bantu qui renvoi à un serpent mystique
47
Expression Nkomi ethnie bantu du Gabon qui renvoi a un
géni blanc de l'eau
48
Expression Kota ethnie bantu du Gabon qui renvoi à une
maladie des tubercules qui ressemble à la maladie du Sida
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corps (les vêtements, les objets personnels tels que les
photos, les cahiers, les sous vêtements, les serviettes
hygiéniques) s'y retrouve. Le corps dont nous parlons n'est autre que
les ongles, les cheveux, les dents de lait des enfants, les placentas, les
ombrils, les prépuces de circoncision, les empruntes de pas, les restes
d'arêtes ou d'os des repas. Donc, la marmite est le lieu de la mort, une
tombe symbolique, un réceptacle dans lequel le pouvoir ou la puissance
mortifère réside : la marmite du pouvoir. Le serpent ou le
caïman sont les chasseurs. C'est lui qui capture les proies et les tuent.
La particularité de ce serpent ou caïman est que sa morsure est
synonyme de mort. Lorsque son venin se répand dans le corps il peut
donner des symptômes identiques à celui du Sida. Notamment, perte
du poids, sortie des ganglions, perte de cheveux, démangeaisons,
fourmillements. Dans d'autres cas le serpent brise les membres du corps et
physiquement cela se représente par la perte des facultés de
motricité. Les personnes affectées par le Sida dont les
symptômes sont des enflures du corps ou pourrissement du corps sont
mystiquement attaquées par le caïman qui après les avoir
mordus les entrainent au fond de l'eau. Ce qui conduit à une enflure du
corps et une présence d'eau dans l'estomac ou dans les poumons. Mais
à tout le moins lorsque les ngangas assignent au Mbumba les
symptômes du Sida nous comprenons que nous avons traversé le
domaine de la métaphore pour nous retrouver dans celui de la
métonymie. Mais retenons que le Sida dans le milieu traditionnel est un
Sida sorcier ou encore un Mbumba49 .
Le Mwiri est une initiation réservée aux jeunes
hommes du village. En fait, son rôle premier est de faire transiter
l'enfant de l'état d'adolescence à celui d'adulte. Dans la
coutume des peuples Tsogho, c'est une initiation qui arrache à la femme
le jeune garçon pour l'intégrer à la société
masculine. La particularité de cette initiation est qu'elle joue le
rôle de justice au sein du village. Lorsqu'il y a eu vol,
adultère, meurtre ou parjure on utilise l'expression « taper le
diable » pour restaurer la justice et l'équilibre. Ce qui est
intéressant c'est que la ou les personnes qui sont fautives desdites
transgression vont voir, tour à tour, le corps se métamorphoser.
Ils vont avoir le ventre qui se gonfle jusqu'à ressembler à un
tétard; ils vont avoir des ganglions ou des gros boutons qui vont sortir
sur l'ensemble du corps ; ils vont être pris par des diarrhées
épuisantes qui vont les immobiliser dans les latrines et vont avoir leur
corps qui va perdre quasiment le quart de son poids en trois jours ; des fortes
fièvres dès la tombée de la nuit vont les coller au lit ;
ils vont aussi avoir les articulations qui vont extrêmement faire mal ;
ils vont avoir des toux grasse avec des postillons de sang. Toutes ces douleurs
vont aller en s'intensifiant jusqu'à ce que les (ou la) personnes
reconnaissent leur crime, délit ou leur infraction. Quand l'individu
reconnaît sa faute, alors on envoie le messager du Mwiri aller chercher
feuilles et bois pour faire une décoction et un bain pour faire partir
le maléfice. Ensuite dans la fin de l'après midi, il va devoir
confesser sa faute devant l'assistance des hommes initiés aux Mwiri. Si
les symptômes sont avancés il y aura le sacrifice d'un mouton pour
délivrer du mauvais sort. Et le traditionnaliste nous confirme alors que
pour lui le Sida est une forme de Mwiri. Soit une personne
malintentionnée lui à lancé ce sort, soit la personne
à commis une infraction. Le Sida est un Mwiri qui a pour but de punir
49 Luc de HEUSCH, «Considérations sur le
symbolisme des religion bantoues », L'homme, Paris, EHESS,
n°184, 2007, p180.
l'individu pour un agissement répréhensible.
Parfois il s'agit de jalousie et de mauvaise foi de la part d'une personne qui
enveut à une autre personne.
Le Mbumba Iyanô est une initiation propre aux ethnies
des côtes du Gabon. L'icône qui la représente est un animal
de légende qui est la sirène. Cette sirène se
représente, dans le monde du rêve du profane, dans le cas d'une
femme par la présence imaginaire d'un « génie " homme de
race blanche ou la présence d'une femme blanche dans le cas d'un homme.
Cette présence est une présence invisible qui perturbe le bon
déroulement de la vie de la personne et, l'initiation doit
réinstaurer l'harmonie entre le génie et la personne. Cette
perturbation que nous décrivons s'applique plus dans le cadre de trouble
de ménage. Le mari ou la femme ne veut plus s'accoupler avec son ou sa
partenaire. Il arrive que le « génie " durant la nuit vienne
s'interposer entre le couple et expulser physiquement le ou la conjoint(e) hors
du lit. Mais ce qui nous intéresse c'est que le génie peut
satisfaire sexuellement lui-même la personne à qui il est
relié. Ce qui explique les théories des hommes ou femmes de nuit,
mais nous y reviendrons. Ce qui intéresse notre propos c'est que les
manifestations de la colère du Mbumba Iyanô se présentent
sous les formes d'apparition de gros boutons sur toute la surface du corps. Ou
encore, la présence d'une tâche sombre un peu identique à
la dartre qui s'empare de la totalité du corps. Il y a aussi une
présence de forte fièvre, de trouble du sommeil, d'un fort
amaigrissement du corps et d'une perte manifeste de cheveux.
Le Nzatsi ou encore le fusil nocturne est un sort lancé
à individu dans le but de lui paralyser le corps, amputer un membre ou
le tuer. Cette pratique à été perfectionné par
l'ethnie Mvoungou résidant dans la province de la Ngounié. Ils
sont spécialistes dans le fusil nocturne car l'individu qui a
reçu la révélation lors d'un rite initiatique nommé
Dissumba était Mvoungou. Il existe un nombre indéterminé
de fusil nocturne. Ce que le terrain nous a révéler c'est qu'il y
a trois catégories qui vont d'une efficacité et intensité
faible qu'il nomme le « 25 "50, d'une autre intensité
moyenne qu'il nomme le « 220 volt "51et, une dernière
qui est le « 10 000 volt " qui a une intensité et efficacité
maximale qu'il compare volontiers à la foudre. Le propre du fusil
nocturne c'est que selon le désir de l'expéditeur, il peut soit
faire souffrir le destinataire ou l'achever d'un coup. Dans le cas d'une longue
souffrance l'expéditeur peut lui envoyer les symptômes du Sida, du
diabète, etc. Ce qui est à retenir c'est que le Sida, selon cette
médecine ésotérique indigène, peut être
donné mystiquement par le moyen de CPT52. Nous pouvons
constater un champ lexical du voltage. En ce sens que le fusil nocturne est
finalement une électrification sociale qui consiste à mettre hors
d'usage un individu.
Le Kôhng est une pratique mystique propre à la
province du Woleu-Ntem. Cette pratique a été importée des
pays voisins tels que le Cameroun et la Guinée Equatoriale. Elle vise
à tuer mystiquement un individu et à capturer son esprit afin de
travailler dans les plantations. Ce fétiche ou cette pratique se
représente sous la forme d'un petit cercueil dans lequel on trouve
50 Il le nomme ainsi car il le vendait dans les
années 1960 à 25fcfa,
51 En référence au courant du secteur.
Il a donc pour principe d'électrocuter.
52 Joseph TONDA, « La santé en Afrique ou
l'esprit contre le corps », l'Homme et la maladie, Libreville,
Editions Raponda Walker, coll « palabres actuelles »,n°2-Vol A,
2008, p 76.
16
toute sorte de relique, chaire humaine corps des individus
à nuire et une liste des personnes qui doivent mourir. Mais ce qui est
intéressant c'est que le Kôhng peut donner la maladie du Sida.
« Les détenteurs de ce type de sorcellerie peuvent mystiquement
prendre le sang d'un séropositif pour l'inoculer à un homme sain,
dans le dessein de nuire à ce dernier53». Ce qui nous
intéresse c'est que le Sida dans la société est une forme
de Kôhng54, de maladie mystique comme le prouve
l'énoncé ci-dessus.
Les métaphores du Sida dans le milieu populaire se
décrivent sous les mots et expressions tels que : maladie du
siècle, Sidonie, la grande maladie, les quatre lettres, le Mbolou ou
encore Syndromes inventé pour découragé les amoureux.
Quand on la considère comme maladie du siècle ou
grande maladie, c'est en faisant allusion à la peste. En ce sens que
« la peste est la principale métaphore par laquelle on comprend
l'épidémie du sida55 ». Pour mieux comprendre la
métaphore du Sida comme maladie du siècle, revenons sur
l'étymologie du mot peste. « Le mot « peste », du latin
plaga (coup, blessure), a longtemps été employé
métaphoriquement pour désigner le plus haut degré de
calamité, de malédiction, de fléau
collectif56». Si nous retenons le terme malédiction,
nous nous retrouvons dans le cas du Sida, au Gabon, qui est une maladie
associée à la malédiction. La
stigmatisation-marginalisation des personnes infectées est utile
à observer57. Le corps stigmatisé est un corps de
malchance sur la famille. Le malade doit être sevré de tout
contact familial, social. « En effet, le contact avec une personne
atteinte d'une maladie mystérieuse s'apparente obligatoirement à
une transgression ; pire, à la violation d'un tabou. Le nom même
de ces affections semble doté d'un pouvoir magique58».
Il est exclu comme si ce qu'il portait était contaminable par le regard.
Le Sida n'a pas de remède. Et cela fait peur. Il tue et infecte sans
distinction. Il est la maladie qui focalise toute l'attention. C'est la maladie
de la mort. Il est la peste du siècle, la maladie du siècle.
Le prénom « Sidonie » est un prénom
féminin qui a été attribué au Sida pour la
proximité syllabique des trois premières lettres. Mais l'autre
raison, qui justifie l'utilisation de ce prénom comme métaphore
du Sida, est qu'au début du Programme de Lutte National contre le Sida
dans les années 1990 il y avait une dame qui avait accepté de
révéler son identité de séropositive à la
télévision. Cette dame se nommait Sidonie SIAKA et intervenait
régulièrement pour faire des témoignages dans le cadre de
campagnes de sensibilisations. Son nom est devenu une métonymie, mais
aussi une personnification dans la société gabonaise de la
maladie du Sida.
53 Joseph TONDA, « Limites du social et
déficits d'institutionnalisation du culturel en Afrique : le spectre du
social et les esprits du culturel », Etre en société. Le
lien social a l'épreuve des cultures. Sous la dir. André
PETITAT, Laval, Les Presses de l'Université Laval, 2010, p 124.
54 Max Alexandre NGOUA, La sorcellerie du Kong
à Bitam : une manifestation symbolique de l'économie capitaliste,
Mémoire de maîtrise de sociologie, Libreville, Faculté
des lettres et des sciences humaines, Département de sociologie,
septembre. 2004.
55 Susan SONTAG, La maladie et ses
métaphores, le sida et ses métaphores, op cit, p
169.
56 Susan SONTAG, ibid, p 169.
57MAGANGA MAGANGA, La
stigmatisation-marginalisation des personnes vivant avec le VIH/Sida, dans les
familles gabonaises, Libreville, UOB, Département de Sociologie,
2011.
58 Susan SONTAG, op cit, p 14.
Il y a aussi l'expression « les quatre lettres »,
qui décrit la maladie du Sida. En effet dans le milieu populaire
gabonais, une personne atteinte du virus du Sida est qualifiée
d'être une personne atteinte par les quatre lettres qui sont le S.I.D.A.
Donc, il y a une violence symbolique qui se dégage de ces quatre lettres
disposé dans cet ordre. Nous entendons le terme violence symbolique au
sens oü Pierre Bourdieu l'entend. C'est --à- dire une violence qui
ne peut-être exercée par celui qui l'exerce et qui ne
peut-être subie par celui qui la subit que parce qu'elle est
méconnue en tant que telle59. Etre malade du Sida c'est
être étiqueté par des lettres comme un objet que l'on
spectacularise. Mais nous y reviendrons plutard.
Le Mbolou est dans la langue Kota une représentation
d'une maladie des tubercules que l'on a attribuée au Sida. En fait le
tubercule présente toute les caractéristiques d'un aliment de
bonne qualité. Seulement, dès que l'on touche ou palpe le
tubercule, il s'aplatit ou se perce sous la pression. En fait, à
l'intérieur du tubercule il n'y a plus que de l'eau noir ou une
matière putréfiée qui s'est transformée en liquide
noir telle de la cendre. Donc, l'allusion du Sida au Mbolou est une
métaphore qui compare le corps d'un sidéen à un tubercule
atteint de ladite maladie. En apparence le corps du sidéen donne
l'impression d'être en bonne santé mais bien au contraire il est
pourri de l'intérieur par le virus du Sida. Et son corps
dépérit à vu d'oeil comme dépérit un
tubercule qui est atteint par le Mbolou.
Bien que la métaphore du Sida comme « syndrome
inventé pour décourager les amoureux » apparue dans le
début des années 1990 ne soit plus utilisée, nous nous
sommes
tout de même proposé de la présenter. En
fait cette métaphore intervient dans la situation oüla
population apprend qu'il faut se protéger durant les rapports sexuels ;
qu'il faut s'abstenir
ou être fidèle à son ou sa partenaire.
« La voix sexuelle de la transmission de cette maladie,
considérée le plus souvent comme une calamité dont on est
seul responsable, est l'objet d'une condamnation encore plus vive que les
autres voies de transmission - surtout parce qu'on prend le Sida pour une
maladie non seulement de l'excès sexuel, mais de la
perversion60». C'est par rapport à cette situation de
maladie qui stigmatise les rapports sexuels que la population a imaginé
que cette maladie a été créée pour
décourager les amoureux. C'est probablement parce que « le
fléau n'est pas à la mesure de l'homme, on se dit donc que le
fléau est irréel, c'est un mauvais rêve qui va passer. Mais
il ne passe pas toujours et, de mauvais rêve en mauvais rêve, ce
sont les hommes qui passent, et les humanistes en premier lieu, parce qu'ils
n'ont pas pris leurs précautions61».
Nous avons pu, dans l'établissement de notre constat,
identifié deux expressions très utilisées dans le milieu
religieux pour décrire le Sida. Il s'agit des expressions de punition
divine, de karma.
A travers la personnification du Sida par le prénom de
Sidonie, il y a une allusion au sexe féminin. En fait le Sida ainsi
présenté est une maladie des femmes transmises par les femmes aux
hommes car la femme c'est le diable. Elle est le symbole de la
déchéance et de la trahison
59 Pierre BOURDIEU, Questions de sociologie,
Paris, Les éditions de minuit, 1984.
60 Susan SONTAG, op cit, p147.
61 Albert CAMUS, La peste, Paris, Gallimard,
coll « Folio », 1947, p 41
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du monde depuis le jardin mythique d'Eden. Le Sida, à
ce titre, serait une fois encore comparable au poison de la pomme de l'arbre de
la connaissance du bien et du mal dans le milieu religieux. A cet effet,
l'expression « punition divine » utilisée suit la logique du
Sida comme châtiment de Dieu envers la désobéissance de ses
enfants. Car sous l'axe de la religion, le sida est une « punition divine
». C'est un terme qui est récurent et propre au milieu religieux.
C'est donc une maladie de Dieu mais aussi du Diable62 ! Car «
la maladie intervient en tant que châtiment surnaturel, ou possession
démoniaque, ou résultat des causes
normales63».
Le terme karma à été rencontré
dans le milieu ésotérique rosicrucien et bouddhiste. C'est un
cercle de confrérie initiatique moderne pour le premier et une religion
pour le second. Ce terme décrit les répercutions négatives
d'une action que nous avons intentée dans un moment ou une vie
antérieure. Pour les rosicruciens souffrir d'une maladie chronique ou
aigüe, c'est être victime des conséquences de ses propres
actes. Il l'explique selon toute sorte de raisons ; de la moquerie sur un
malade à sa stigmatisation, voire à son inquisition. Bref, il y a
toujours une raison pour justifier le mal. Être malade c'est avoir
contracté une dette dans une vie antérieur.
Nous avons dans le cas de notre constat fais une analyse de
contenu de certains textes de musiciens ayant chanté sur le Sida. Ce qui
ressort de cette analyse c'est que la maladie du sida est soit une maladie du
sang, une maladie du sexe, une maladie d'amour ou une maladie de
l'infidélité.
En 1992 l'artiste Hilarion NGUEMA chanta une chanson sur le
sida. Le corpus de ce chant révèle que le sida, selon l'artiste
est « une maladie du siècle, maladie du sexe, maladie du sang,
maladie d'amour ». En fait, pour comprendre ce texte il faut le situer
d'abord dans son contexte historique. En effet, les années 1990 sont les
années les plus difficiles sur le plan de la prévention. Il
fallait d'abord faire admettre aux populations la présence effective de
cette maladie. Nous pensons que le recours à la métaphore maladie
du siècle, renvoie au souvenir de la maladie de la peste qui
décima de nombreuses populations en Europe. Lorsque l'on entrevoit la
métaphore de maladie du sexe c'est en rapport avec la maladie de la
syphilis. C'est en fait les réminiscences de la maladie de la syphilis
et son mode de contamination qui pousse à dire que le Sida est tout
aussi une maladie du sexe comme la syphilis. De manière
générale , les différentes métaphores traduites
dans le chant de l'artiste visent à présenter les modes de
contamination de la maladie et le danger de la maladie.
Dans les mêmes années 1990, il y a eu le chant de
Mackjo's qui décrivait dans son corpus que le sida est une maladie de
l'infidélité. En fait dans le texte de l'artiste, c'est le
récit d'une femme qui est agréablement surprise que son homme
puisse revenir tôt à la maison, être attentif à elle,
faire les travaux de la maison et bien entendu satisfaire pleinement son devoir
conjugale. La phrase suivante reste significative pour la suite de notre
travail à savoir : « Sida
62 Joseph TONDA, « Le Sida, maladie de Dieu, du
Diable et de la sorcellerie », Sciences sociales et santé,
Vol 25,n°4, Paris, Décembre, 2007.
63 Susan SONTAG, op cit, p 61.
grace à toi j'ai retrouvé mon mari, merci Sida
j'ai retrouvé mon mari ! " La conscience du danger de la maladie du Sida
va obliger le mari à revenir à la fidélité. C'est
donc une exhortation à la fidélité. Or cette exhortation
est l'un des slogans du Programme national de Lutte contre le Sida (PNLS). Les
autres chants sur le Sida ne s'éloignent pas de ces deux textes qui
sont, pour ainsi dire, des stéréotypes musicaux de ce
thème.
L'inventaire des différentes représentations
métaphoriques et métonymiques du Sida dans la
société gabonaise présente une richesse littéraire
et imaginative avérée. Certes, les représentations
métaphoriques et métonymiques ainsi considérées
sont dans le domaine de la littérature, mais il ne reste pas moins que
nous voulons faire oeuvre sociologique. Si ceci est notre objectif, c'est pour
comprendre les raisons des multiples représentations de la maladie et du
Sida au Gabon. Ces raisons sont en fait une profonde différence entre la
métaphore et la métonymie dans les représentations de la
maladie au Gabon.
Tout d'abord, nous devons mettre de l'ordre en nous focalisant
d'abord sur les représentations sociales. Les représentations
sociales selon Pierre MANNONI sont des producteurs de sens64. Elles
le sont parce qu'« il s'agit d'une forme de connaissance, socialement
élaborée et partagée, ayant une visée pratique et
concourant à la construction d'une réalité commune
à un ensemble65". C'est aussi, « des ensembles d'actes
symboliques codifiés, à visée fonctionnelle et pratique,
« imposés " par le groupe relativement prévisibles et
répétés selon un schéma fixé [...],
orientés vers la communication avec les puissances
surnaturelles66". Au regard de ces différentes
définitions, nous pouvons retenir que les représentations
sociales en Afrique centrale sont des formes d'institutionnalisation du sens du
spectre, des formes d'institutionnalisation du sens. Ce qui revient à
dire que les représentations sociales sont des repères qui
donnent sens aux pratiques sociales. Le propre de ces pratiques c'est qu'elles
sont traduites dans des expressions métaphoriques et
métonymiques.
En fait, notre constat nous permet de remarquer qu'il y a deux
formes de styles d'expressions utilisées pour décrire le Sida :
la métaphore et la métonymie. Mais au regard de l'inventaire
empirique que nous venons de faire il ressort que la plupart des expressions
décrites relèvent plus de la métonymie que de la
métaphore. En fait nous dépassons le simple cadre de la
comparaison pour nous retrouver dans une description imaginaire qui devient
réel. En fait, nous nous retrouvons de plein pied dans un imaginaire qui
a possédé et subjugué la société. Pas
seulement un imaginaire comme faculté de création des
images67 mais aussi, et surtout, d'une indiscernabilité du
réel et de l'irréel68.
Donc, les représentations sociales du Sida au Gabon se
servent plus de la métonymie plutôt que de la métaphore.
Ceci se justifie par le fait que les croyances au serpent mystique, fusil
nocturne, Mbumba Iyanô, Mbumba, Mwiri ou au Kôhng qui « sont
autant des figures
64 Pierre MANNONI, Les représentations
sociales, Paris, PUF, coll « Que sais-je ? », 1998, p115.
65 Denise JODELET, Les représentations
sociales, Paris, PUF, 1989, P 36.
66 Gilles FERREOL, Dictionnaire de
sociologie, Paris, Armand Colin, 1995, P256
67 Cornélius CASTORIADIS, L'institution
imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975, p 17.
68 Gilles DELEUZE, Pourparlers 1972-1990,
Paris, Minuit, 2003, p 93.
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de la mort que de la spectralisation du
social69», mettent la maladie du Sida dans une
indiscernabilité entre le réel et l'irréel. La maladie du
Sida louvoie dans les méandres des représentations sociales
gabonaises dans la quête de sens. Cependant, la biomédecine est en
lutte contre ces représentations à travers les tags, les bandes
dessinées produite par le PLIST70. A bien y penser, la
société semble tellement possédé que «
même là où existent des avancées en ce domaine, les
régressions s'imposent comme une sorte de loi générale et
abandonnent les individus à la violence des esprits du Sida, du
paludisme, des vers intestinaux, des mares, des forêts, des
rivières, etc71». La société gabonaise est
stéréotypée par un manque et un déni de solution
biopolitique. C'est ce que traduit Joseph TONDA quand il dit que « le
social en Afrique, c'est en un mot, une vaste sphère spectrale,
fantomatique, o
l' « esprit », c'est-à-dire le «
culturel », a du mal à s'institutionnaliser face aux urgences de la
vie biologique et matérielle qui l'expriment, la mettent en péril
et qui relèvent des déficits biopolitiques des pouvoirs
publics72».
Certes. Il y a évidence de manque de solutions
biomédicales mais que dire des iconographies, des publicités
contre la maladie du Sida ? Lorsqu'on regarde toutes ses propagandes contre le
Sida nous nous posons la question de savoir pourquoi l'Etat par les organismes
de lutte contre le Sida lutte-il contre les imaginaires de la maladie du Sida
?
Nous expliquons encore au Gabon les pluies au fait que «
Dieu soit entrain d'uriner » au lieu de relier ce phénomène
à une évaporation de l'eau et une accumulation de masse d'air
humide. Ou encore lorsqu'il pleut et qu'il y a du soleil au méme moment
c'est dû à un éléphant qui met bât. Les
exemples sont légion pour décrire l'état mental dans
lequel notre société se trouve. Nous nous pouvons encore regarder
toutes les représentations sur la maladie, et en particulier sur la
maladie du sida. Les métaphores de la maladie du Sida décrites
dans ce texte plus haut sont au fait de cette idée d'univers
métaphysique. Un univers dans lequel les fantômes, les bêtes
de forêts ou, tout simplement, le charisme imposent une vision du monde
quelque peu galvaudée. Cette dépréciation du monde des
idées est donc conditionnée par une production d'images et
d'imaginaires autorisées par le simple pouvoir du charisme donc de la
violence de l'imaginaire.
Si nous devons expliquer cette politique de l'Etat qui est de
lutter contre les imaginaires de la maladie du Sida, nous dirons que l'Etat
gabonais est entrain de mettre en scène le biopouvoir. Le biopouvoir est
une « technique du pouvoir sur « la » population en tant que
telle, sur l'homme en tant qu'être vivant, un pouvoir continu, savant,
qui est le pouvoir « de faire vivre73 ». C'est en d'autres
termes, pour paraphraser l'auteur, un pouvoir de régularisation qu'il
définit comme pouvoir de faire vivre et de laisser mourir. Nous voulons
décrire l'action des ONG et de l'Etat comme une forme de lutte, non plus
seulement, contre
69 Joseph TONDA, « Limites du social et
déficits d'institutionnalisation du culturel en Afrique : le spectre du
social et les esprits du culturel », Etre en société. Le
lien social a l'épreuve des cultures, p 134.
70 Voir annexes.
71 Joseph TONDA, Ibid , p 134.
72 Joseph TONDA, Op cit, p 127.
73 Michel FOUCAULT, Il faut défendre la
société. Cours au collège de France 1976, Paris,
Hautes Etudes, Gallimard, Le Seuil, 1997, p 214.
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les IST mais aussi contre les imaginaires. Et nous pensons que
le terme lutte n'est pas exagérée car, là encore, le
pouvoir métonymique du souverain sort de l'eau ou de la forét
comme le dit TONDA74. « Il s'ensuit que le rapport à la
maladie, comme le rapport à la santé [et au pouvoir] sont, dans
ce champ [de l'imaginaire], des rapports agonistiques, des rapports de combat,
de conflit, de forces, de guerre75». A cet effet, c'est donc
tout aussi une guerre, une chasse que l'Etat exerce contre les idées
confuses et irréalistes des imaginaires de la maladie du Sida.
La question des préjugés des Librevillois au
sujet du Sida peut trouver une esquisse de réponse après
l'analyse du propos précédent. Il y a une dynamique des
représentations ou des schèmes traditionnels qui ostracisent
l'objectivité de la maladie du sida au Gabon. Et la notion de Souverain
moderne proposée par Joseph TONDA n'est peut être pas exempt de
tout reproche. Car les représentations sociales, et par extension les
représentations sociales de la maladie du Sida, sont au service du
souverain car elles permettent de mettre en exergue le pouvoir des esprits de
la forét et de l'eau qui sont au service du souverain. Il faut que les
images des monstres, des fantômes, des sirènes, des hommes
panthères, des crânes76, du Mwiri, du Kôhng, des
2577 continuent d'exister car ils sont le socle du pouvoir
mortifère du souverain. Les représentations sociales de la
maladie du sida permettent de définir un peu plus encore les lieux, le
mode, le contexte et la tactique du pouvoir du Souverain moderne au Gabon.
Mais il est utile de préciser que le souverain moderne
n'est pas exempt du pouvoir et de la possession de l'imaginaire. On aurait pu
penser qu'il se trouve en dehors du phénomène des
représentations sociales, de l'imaginaire. Qu'il se serve tout
simplement des images de fantômes, de serpents, de fusils nocturnes,
qu'il les créée et les contrôle. Donc, qu'il exploite la
violence de l'imaginaire, la violence du symbolique et la violence du
fétichisme. Nous avons oublié de dire qu'il se retrouve dans la
méme situation que le sociologue sur son terrain d'étude. Il est
à la fois intéressé par les productions sociales, mais
lui-même faisant parti de ces productions. D'oü la difficulté
de faire une rupture épurée de tous préjugés. Le
souverain exploite les représentations sociales, les images et les
imaginaires. Il exploite les expressions, les mots, les sens. Sauf qu'il n'en
est pas, à proprement parlé, le créateur et, à ce
titre, luimême est dans un cycle de reproduction des imaginaires. Il est
lui-même sous l'emprise des représentations sociales, sous
l'emprise de la violence de l'imaginaire, de la violence du symbolique et du
fétichisme. Ce qui revient à dire qu'il ne contrôle rien,
mais donne l'impression de le faire afin que les administrés pensent
qu'il l'a. En ce sens que tous et chacun à la fois contribue à
l'édification des images, des imaginaires.
74 Joseph TONDA, Le pouvoir et le lieu,
Conférence a L'université Omar Bongo de Libreville le 4 mai 2011,
Libreville, UOB, faculté des lettres et sciences humaines,
Département de littérature africaine, 2011.
75 Joseph TONDA, « La santé en Afrique ou
l'esprit contre le corps », l'Homme et la maladie, p 74.
76 Lire à ce sujet Lionel Cédrick
IKOGOU-RENAMY, L'or blanc : le marché occulte et illégal du
corps humain à Libreville, Libreville, UOB, Faculté des
Lettres et des Sciences Humaines, mémoire de DEA, octobre 2010.
77 Voir page 13.
Au terme de ce constat, il semble approprié de
repréciser notre objet d'étude. Nous entendons par les
métaphores du Sida au Gabon des modes d'expression qui sont des
productrices de sens des imaginaires de la maladie du Sida au Gabon. La
particularité de ces métaphores c'est qu'ils sont produits dans
des lieux hétérotopiques. C'est à cet effet que nous
entendons par espaces hétérotopiques, un lieu dans lequel est
produit des discours sacré. C'est des lieux autres,
considérés comme des hors lieux, des lieux utopiques C'est donc
le sens des métaphores produit dans des lieux
hétérotopiques qui conduisent à la création des
imaginaires dans la maladie du Sida qui nous importent ; les raisons qui
justifient la présence de ces représentations sociales, de ces
modes d'expression, de ce marché linguistique de la maladie qui sont le
leitmotiv de notre recherche.
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